2. Intervention de Ch.Theobald -15h.

La pédagogie de l'initiation... déployée en trois étapes... en vue d'une conversion personnelle et ecclésiale

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2ème conférence de Christoph Théobald, après-midi
 Au cœur du projet diocésain de catéchèse


10sciples logo20 10sciples logo20  Ce matin, il a été déjà question de votre projet diocésain de catéchèse. J’ai tenté de vous présenter la démarche spirituelle qui sous-tend ce projet et la « mutation profonde de nos manières d’être » qu’il propose. Deux aspects ont été plus particulièrement mis en relief. D’abord la définition même de la catéchèse, telle qu’elle est rappelée dans le petit lexique qu’on trouve en annexe du projet : « Catéchèse : vient du mot grec katêchein qui veut dire : faire résonner une parole à l’oreille de quelqu’un. La catéchèse consiste donc, au sens littéral, à faire résonner la Parole de Dieu ». Mais celle-ci est adressée à l’homme d’aujourd’hui, à « toute personne, enfant, jeune ou adulte, désirant commencer, redécouvrir ou poursuivre un chemin de foi » ; c’est le deuxième aspect souligné ce matin. Nous sommes mêmes invités à entendre et à distinguer la voix vivante de l’Evangile de Dieu, cette nouvelle d’une bonté radicale toujours nouvelle, au milieu des bruits de ce monde ; nous ne cessons alors d’écouter ces voix de manière nouvelle ; et fréquemment, l’Evangile nous revient de manière inattendue de la bouche de tant de femmes et d’hommes avec lesquels nous œuvrons, ici dans le département, sur les dix terrains d’humanité symbolisés par les dix portiques au sein même de la Cathédrale.


Cet après-midi, nous allons entrer ensemble et progressivement dans les détails du projet diocésain de catéchèse. Dans une première partie, nous revenons à son orientation globale : c’est à dire à la pédagogie d’initiation, choisie par les évêques de France, et aux acteurs de cette pédagogie que vous ête. Après cela, nous traverserons les trois chapitres du texte qui déploient les trois étapes de la démarche catéchétique : reconnaître l’Esprit à l’œuvre dans le monde et dans le cœur et la vie des hommes ; se mettre au service de la relation entre Dieu et les hommes ; aider nos communautés à se ressourcer pour que la catéchèse y trouve un milieu nourricier. Dans une troisième partie, je présenterai quelques « passages » ou transformations très concrètes, déjà amorcées mais à opérer maintenant plus résolument. « Le projet nous pousse en effet, dit l’introduction, à entrer en action et à ouvrir de nouveaux chantiers ».

 

I. La pédagogie de l’initiation et ses « acteurs »…
 

Commençons donc par rappeler, avec votre texte, que, pour caractériser aujourd’hui la responsabilité proprement catéchétique de l’Eglise, les évêques de France ont fait en 2005 le choix de la pédagogie d’initiation. Voici la définition de cette pédagogie, rappelée dès les premières phrases de votre projet : « Une pédagogie qui relève de l’initiation est une démarche qui cherche à réunir les conditions favorables pour aider les personnes à se laisser initier par Dieu qui se communique à eux ». Avant de parler de la remarquable répartition des « rôles » dans cette définition qui fait de Dieu lui-même l’acteur principal de l’initiation, prenons quelques instants pour comprendre le sens humain de la pédagogie d’initiation ; démarche qui existe en effet dans toutes les grandes cultures.

 

1. le sens humain de la pédagogie d’initiation


1. Les anthropologues nous l’apprennent : à la différence de l’animal, l’être humain est radicalement inachevé quand il naît, et il le reste tout au long de son existence. Cet inachèvement constitutif fait appel à notre capacité à faire confiance en la vie, à y croire ; je l’ai noté ce matin. Il y a des « seuils » décisifs à passer dans une vie humaine : de l’enfance à l’adolescence, de l’adolescence à l’âge adulte, le temps où les enfants quittent le nid familial et quand nous prenons notre retraite, le passage du troisième au quatrième âge… à chaque étape nous sommes appelés à laisser la peur devant l’inconnu céder la place au simple courage d’être et de vivre ; toutes les cultures le savent en accompagnant précisément ces passages décisifs par leurs rites d’initiation.


Notre propre tradition, la tradition biblique, est bien consciente de l’inachèvement de l’être humain qu’elle considère comme une chance. Nous connaissons bien la première page de la Bible qui dit de l’homme qu’il est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, de Celui dont nous n’avons pas le droit de nous faire une image (selon l’interprétation du Deutéronome) : comme il nous est interdit de nous faire une image de Dieu, nous n’avons pas non plus le droit d’enfermer l’homme, telle femme, tel homme, dans l’image que nous nous faisons de lui ; l’éducation ne peut jamais se réduire à un formatage, un dressage ; elle est l’initiation du petit d’homme, de l’enfant et de l’adolescent à donner lui-même soi-même progressivement forme unique à son existence.


Or, personne ne peut donner forme à sa vie en étant seul, personne ne peut franchir seul les seuils décisifs de la vie et de sa maturation. Pour chacun de nous, ces « nouvelles naissances », supposent déjà des relations, parentales ou autres, qui nous précèdent : nous sommes réellement engendrés à faire confiance, par d’autres qui nous ont fait confiance, sans toutefois que la responsabilité de notre propre décision de croire ou de ne pas croire en la vie puisse nous être enlevée. Qui ne se souvient d’avoir entendu une parole décisive d’un autre ou d’avoir vu dans son regard bienveillant la possibilité de faire soi-même le pas qui coûte ! A certaines étapes de notre existence, il nous paraît suffisant de vivre sur la vitesse acquise ; mais à des moments de passage ou de crise, l’acte de foi inaugural en la vie doit être réactivé. Dans ces situations, nous avons vraiment besoin de personnes capables de susciter la foi ou de la ressusciter ; nous avons besoin de « passeurs ». L’initiation à la vie est impensable sans ces personnes, « passeurs » ou « aînés », qui nous ont précédés sur l’autre rive et nous signifient qu’il nous est possible de passer à notre tour.
 

2. Une nouveauté radicale : l’accès à l’intimité de Dieu

 

2. La pédagogie de l’initiation, choisie par nos évêques, s’appuie sur ce sens humain de toute initiation. Mais elle introduit une particularité, une nouveauté radicale : l’enjeu de cette initiation spécifique est en effet l’accès à la foi en Dieu et en Christ et non seulement à la foi en la vie. Rappelons ce que nous avons entendu ce matin : l’Evangile, cette Nouvelle d’une Bonté radicale et toujours nouvelle ne peut avoir que Dieu lui-même pour origine parce que cette Parole est si exorbitante dans un monde traversé par le mal qu’aucun homme ne peut la prononcer en son propre nom. Et si nous la prononçons, si nous faisons effectivement retentir cette voix à l’oreille de nos interlocuteurs, rien ne garantit que ceux-ci accèdent à la foi et reçoivent cette parole, prononcée par une femme ou un homme, comme Parole même de Dieu. Encore faut-il qu’ils éprouvent en eux-mêmes le travail de cette Parole : travail déjà en route bien avant qu’ils aient entendu l’Evangile, travail de l’Esprit en eux qui les fait accéder, du plus profond d’eux-mêmes, à la foi. Certes nous devenons croyants grâce à l’annonce de l’Evangile mais Dieu seul peut opérer ce « passage » parce que lui seul peut habiter notre intimité et nous donner accès à sa propre intimité, à sa Bonté radicale et au bonheur caché en Lui.


C’est pour cette raison que la définition de la pédagogie de l’initiation fait de Dieu le seul initiateur. L’enjeu ultime de cette pédagogie est, nous dit la définition, de « réunir les conditions favorables pour aider les personnes à se laisser initier par Dieu qui se communique à eux ». Je reviendrai, bien sûr, à ces conditions qu’il nous revient de réunir. Mais arrêtons-nous pour le moment à ce qui fait vraiment la spécificité de l’initiation chrétienne : le respect absolu de l’initiative de Dieu. A la suite du concile Vatican II, la définition dit même que Dieu désire se communiquer lui-même à chacun de nous. Je ne sais pas si vous réalisez la radicalité de cette affirmation qui se trouve au début du deuxième chapitre de votre projet : « En effet, l’initiative est toujours du côté de Dieu qui se révèle et qui se donne en son Fils mort et ressuscité ; l’Eglise en est elle-même sans cesse bénéficiaire ». Dieu n’a rien à nous révéler de ce que le génie humain pourrait un jour trouver et réaliser par lui-même ; il n’a qu’une seule chose à nous dire, une seule chose à nous révéler et à nous communiquer : c’est Lui-même et Lui-même comme notre destinée. Or, il a tout dit ! Il a tout donné, il s’est en effet donné lui-même – que pourrait-il d’ailleurs donner de plus grand que lui-même ? – Il a donc tout donné et tout dit en Jésus de Nazareth qui est pour nous la présence de l’Evangile de Dieu.


Désormais Dieu peut donc se taire, comme celui qui n’a rien à rajouter à ce qui est dit, une fois pour toutes : bienheureux silence, bienheureuse discrétion de Dieu qui respecte jusqu’au bout notre liberté pour que nous puissions accéder librement et gratuitement, par le Christ, à sa propre intimité : un repos intérieur, une paix indicible, discrètement joyeuse, se répand alors dans notre cœur habité par une liberté sans nom. C’est ce que la phrase suivante du début du deuxième chapitre de votre projet note avec concision : « La démarche de foi est la réponse libre et joyeuse de chacun, qu’il soit prêt à se mettre en marche ou déjà en chemin derrière le Christ ». Laissons, un instant, libre cours à notre étonnement face à tant de chemins de foi, infiniment plus différenciés qu’autrefois. Certes, quand des catéchumènes nous parlent de leur parcours ou quand nous faisons, chacun, mémoire du nôtre, nous reconnaissons que telle ou telle personne - laïc, religieuse, prêtre, « passeur » ou « ainé » - a joué un certain rôle, même décisif, dans notre accès à Dieu. Mais en dernière instance, la surprise face à ce qui est arrivé, à eux et à moi, face à ce que nous sommes devenus et l’expérience de la disproportion entre le rôle joué par d’autres et ce qui nous est donné de vivre intérieurement, chacun de manière unique, tout cela nous aide à réaliser et à confesser que c’est Dieu lui-même qui est à l’origine de notre foi.

 

3. Rôle des "acteurs" de la pédagogie d'initiation
 

3. le rôle à la fois nécessaire et modeste que les « acteurs » de la pédagogie d’initiation, catéchistes et accompagnateurs, ont à jouer
Nous comprenons alors. Le texte dit bien qu’il leur revient de « réunir les conditions favorables pour aider les personnes à se laisser initier par Dieu qui se communique à eux ». A ne pas percevoir ce rôle à la fois nécessaire et modeste, nous risquons de nous culpabiliser quand les résultats de nos efforts de transmission nous semblent être modestes, oubliant alors qu’il y a un « intransmissible » dans la foi et que Dieu seul initie le croyant et l’attire à lui. Ou nous risquons à l’inverse de nous décharger sur la liberté de l’initiative de Dieu et négligeons que nous avons précisément à mettre en œuvre des conditions favorables à l’engendrement de la foi par Dieu.


Quelles sont alors ces conditions ? Pour une part, je les ai déjà énumérées ce matin, dans la troisième partie de mon intervention. C’est la cohérence de notre vie chrétienne - et j’ajoute : notre capacité d’avouer nos incohérences - qui constitue l’ « autorité » des acteurs de la pédagogie de l’initiation. Si nous tentons de dire ce que nous pensons et faire ce que nous disons, si une certaine empathie – sympathie et compassion pour autrui – commence à prendre place en nous, si, par surcroît, une liberté par rapport à nous-mêmes et par rapport à notre vie limitée se fraye son chemin en nous, alors quelque chose de « l’autorité » du Christ lui-même peut transparaître à travers nous et rayonner autour de nous. Rappelons-nous le début du récit évangélique : « Jésus les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes » (Mc 1, 22).


Votre projet diocésain de catéchèse invite en effet les communautés chrétiennes, avec leurs catéchistes et accompagnateurs, à se mettre à l’école du Christ et à réunir ensemble les conditions favorables à l’initiation à la foi. Outre la cohérence dont il vient d’être question, plusieurs de ces conditions spirituelles sont alors soulignées dans le deuxième chapitre du texte :


D’abord : « reconnaître que "dans la catéchèse, le destinataire doit pouvoir se manifester comme un sujet actif, conscient et coresponsable, et non comme un récepteur silencieux et passif" ». Cette place déterminante donnée au destinataire de la catéchèse découle de ce qui vient d’être dit de l’initiation, tant sur le plan humain qu’au niveau proprement catéchétique : personne ne peut répondre de sa foi à la place d’un autre.
 

Ensuite : « se rappeler – continue le projet – que l’Evangile convertit tout aussi bien celui à qui il est annoncé que celui qui l’annonce. "Faire une proposition catéchétique demande de se considérer soi-même comme un disciple en chemin à la suite du Christ". Cette inversion du mouvement vers l’autre, ce retour sur soi découle également de ce qui vient d’être dit de l’initiation divine et de ce qui a été suggéré, ce matin, de la voix vivante évangélique qui nous revient fréquemment de la bouche de tel étranger : c’est l’étonnement de ce que Dieu fait en autrui qui est une école pour nous, qui relance notre propre conversion ; chacun ici peut en témoigner.
 

La troisième et dernière des conditions spirituelles de l’initiation est précisément le retour a « Dieu lui-même qui a déposé l’expérience de foi au cœur de l’homme ou de la femme » : « être témoins de l’action de l’Esprit chez ceux à qui l’Evangile est annoncé et en rendre grâce ». La prière d’action de grâce et de louange achève cet ensemble de conditions spirituelles de l’initiation chrétienne – « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance » (Lc 10, 21). C’est en réunissant ces conditions favorables pour l’initiation d’autrui par Dieu, que nous accédons vraiment à l’intimité avec le Christ et à l’intimité de Dieu : « Le but définitif de la catéchèse, lisons-nous tout au début de votre projet, est de mettre quelqu’un non seulement en contact mais en communion, en intimité avec Jésus-Christ ».


Gardons, comme ce matin, quelques instants de silence pour intérioriser ce qui vient d’être proposé : « Qu’évoque pour moi le mot "initiation" ? Comment puis-je vivre ma mission d’ « aîné dans la foi » dans ma relation avec celles et ceux qui me sont « confiés » ?

 

(I. La pédagogie de l’initiation et ses « acteurs »…)

II. … pédagogie déployée en trois étapes…


Si la pédagogie de l’initiation est un choix qui est commun à l’ensemble de l’Eglise de France, le déploiement de cette pédagogie en trois étapes est une originalité du projet catéchétique de l’Eglise en Pas-de-Calais. Regardons donc maintenant plus en détail les trois chapitres de ce projet.

 

Les trois chapitres, un seul chemin


1. Les titres seuls de ces trois chapitres forment déjà un chemin et nous introduisent dans une progression : 1. L’Esprit de Dieu est à l’œuvre dans le monde ; 2. Dieu à l’initiative de se communiquer aux hommes ; 3. Le Christ fait de nous ses disciples et ses apôtres. L’Esprit de Dieu – Dieu lui-même en son désir de se communiquer à nous – le Christ : la Trinité est la trame discrète de votre projet : certes, il faut parler du mystère de la Trinité en catéchèse ; mais il est plus important encore que nous ouvrions l’accès à ce Dieu : commencer par l’Esprit Saint, c’est alors ouvrir très largement nos portes et regarder d’abord et avant tout notre monde, tel qu’il est en profondeur aujourd’hui ; poursuivre notre parcours en nous ouvrant à l’initiative même de Dieu, c’est remonter vers l’origine de tout ; et terminer par nous considérer comme disciples et apôtres du Christ lui-même, c’est respecter notre positionnement particulier en Eglise au sein de ce département.
Mais le Christ - qui arrive seulement dans la dernière des trois têtes de chapitres - est là dès le point de départ de notre démarche catéchétique : c’est lui en effet qui nous envoie dans ce monde et nous invite à regarder celui-ci avec ses yeux (1) ; c’est à son école que nous apprenons à laisser toujours à Dieu l’initiative de nous initier (2) ; et c’est encore lui qui nourrit ses disciples et apôtres en Eglise (3).

 

2. la même démarche


2. Quand on regarde donc de plus près ces trois chapitres, on découvre qu’ils sont tous structurés par la même démarche. Il faut d’abord apprendre à regarder ce qui se passe effectivement : (1) partir de quelques constats quant à la vie du département ; (2) prendre en considération l’initiative même de Dieu ; (3) contempler la diversité des chemins de foi et prendre en compte notre besoin effectif d’être nourris dans la foi. A partir de ces constats, le texte nous invite à entrer dans un nouvel « état d’esprit » ; c’est la deuxième partie de chaque chapitre, partie qui porte sur notre conversion. Il en est beaucoup question aujourd’hui. De là découle chaque fois – dans chacun des trois chapitres - une orientation précise avec toute une série de propositions concrètes ; nous sommes alors sur « les nouveaux chantiers à ouvrir » dont parle l’introduction du projet. A l’arrière-plan de cette triple démarche, on peut deviner les trois étapes de la grande pédagogie de l’Action catholique : voir – juger – agir. Mais l’ensemble est transformé, sans doute parce que la pédagogie d’initiation est davantage sensible à l’action unique de Dieu et aux récits évangéliques qui nous font entrer dans l’école du Christ.
 

3. La logique du projet

 

Parcourrons maintenant brièvement chacun des trois chapitres pour mieux comprendre la logique secrète du projet.

 

  • 3. 1 Le premier chapitre commence donc par un regard sur la vie dans le département, et en propose un diagnostic nuancé. Vous constatez des fragilités et des solidarités : « précarités, pauvretés, déchirure du tissu social, fermetures d’entreprises, inquiétudes devant l’avenir, solitude des personnes âgées, mais aussi des solidarités de proximité ou plus larges, un tissu associatif où sont engagés de nombreux bénévoles ». Vous notez que les « conditions de vie laissent peu de disponibilité aux enfants et aux adultes pour le temps gratuit, pour le questionnement, pour le dialogue » ; mais vous repérez aussi des « attentes qui viennent d’un désir profond », attentes qui se traduisent dans le questionnement éthique de beaucoup et dans les questions sur le sens de la vie. Ces constats sont portés par votre conviction que l’Esprit est à l’œuvre « dans cette réalité des hommes et des femmes du Pas-de-Calais ».

Encore faut-il « entrer dans un état d’esprit » qui permet de le percevoir : il faut apprendre à regarder ce monde avec les yeux du Christ ; de cela, il était très largement question ce matin. Cette conversion conduit alors vers une première orientation : « vivre le dialogue avec nos frères et oser annoncer avec douceur et respect, dans un esprit de gratuité, la foi qui nous fait vivre ». On retrouve ici le double mouvement centripète et centrifuge – accueillir et rejoindre -, retracé ce matin, avec quelques insistances très concrètes ; je n’en nomme que quelques unes : « Se donner des temps de partage sur ce qui fait la vie du monde qui nous entoure… Favoriser et proposer des initiatives qui permettent l’information, la réflexion, le débat sur le sens de la vie… être présent dans les lieux de la vie sociale… valoriser l’art contemporain qui peut être chemin de sens et de foi… etc. Cette présence multiforme et cette hospitalité diaconale dans ce département est le socle indispensable qui sous-tend toutes les autres initiatives de proposition de la foi.

 

  • 3. 2 Le deuxième chapitre fait alors un pas de plus et précise maintenant, sur fond du double mouvement – accueillir et rejoindre – la pédagogie d’initiation. On commence de nouveau par considérer ce qui se passe effectivement quand on se met au service de la relation entre Dieu et les hommes, avec la ferme conviction que c’est Dieu qui a l’initiative de se communiquer aux hommes ; et on précise ensuite « l’état d’esprit » qu’il faut adopter si l’on veut effectivement se mettre à l’école du Christ pour apprendre de lui comment servir la relation entre Dieu et les hommes. De ces deux points, il a été largement question dans la première partie de cet exposé. Il en découle une deuxième orientation : « proposer des chemins de catéchèse au service de la relation entre Dieu et les personnes ». Là encore, trois insistances concrètes ou appels accompagnent cette orientation diocésaine ; elles intègrent, toutes les trois, l’extrême diversité des points de départ pour accéder à une relation avec Dieu : « Aujourd’hui, les personnes s’éveillent ou se "réveillent" à la foi à tout âge. Il n’y a pas d’âge pour devenir disciple du Christ. D’où une catéchèse ordonnée à toutes les étapes de la vie ». – Aujourd’hui, la conscience d’appartenir à l’Eglise ne va plus de soi ! D’où la proposition de temps de catéchèse communautaire dans le cadre du rassemblement dominical, au fil de l’année liturgique ». – Aujourd’hui, beaucoup de personnes n’entrent en relation avec l’Eglise qu’à l’occasion des sacrements. D’où l’importance de faire de la pastorale sacramentelle un lieu d’évangélisation et de catéchèse ».

Je pense que vous lirez très attentivement les propositions de mise en œuvre qui sont jointes à cette orientation : elles peuvent vous donner quelques idées pour avancer dans votre manière d’accueillir la nouvelle situation très diversifiée de ceux qui accèdent à la foi. Nous la vivons par moment comme dispersante, voire éprouvante ; mais c’est Dieu qui se manifeste dans ces accès à la foi si multiples, ne cessant de nous surprendre par les initiatives qu’il prend à travers celles et ceux que nous accueillons ou que nous rejoignons.
 

  • 3. 3 Pour vivre cette situation tout à fait nouvelle de l’initiation à la foi, nous avons besoin de nourriture solide. C’est de cela que traite le troisième chapitre qui se tourne vers les acteurs de la catéchèse que nous sommes, les disciples du Christ et ses apôtres, réunis en Eglise. Le constat qui ouvre ce dernier développement est simple : regardons nos propres chemins pour mieux saisir ce qui peut mettre en route nos contemporains et ce qui peut nourrir la foi. On peut penser à des lieux – la famille, des mouvements, l’école -, mais aussi à des épreuves ou à tel événement décisif de notre vie. Ce sont toujours des rencontres vraies qui suscitent alors le meilleur en nous : des « passeurs » ou des frères et sœurs ainés éveillent notre foi et nous font progresser ; des moyens éprouvés nous sont offert en Eglise : méditer et partager la Parole de Dieu, célébrer les sacrements, en particulier l’Eucharistie. « Nous avons besoin d’homélies consistantes, continue le texte, de lectures, de formation, de relectures, d’appels à rendre compte de notre foi par un engagement dans le monde ou dans l’Eglise, etc. ».

Notre propre expérience nous enseigne donc et nous invite, une fois encore, à aller plus loin et à entrer dans un nouvel « état d’esprit » : « cultiver des relations de fraternité, de gratuité, d’amitié les uns avec les autres » et « faire l’expérience d’une vie de communauté ». Cette invitation est tout à fait décisive pour l’ensemble de votre projet. Il y a comme une inversion ou une conversion à vivre : certes, les catéchistes ont besoin de se nourrir eux-mêmes au sein des communautés dont ils font partie ; mais ces communautés, il faut aussi les faire vivre. Et dès la première page, le texte affirme que « la responsabilité catéchétique consiste également à former des communautés ». Pourquoi ? Parce que dans ces communautés « se donne à voir et à goûter l’expérience que nous faisons partie d’un peuple où tous suivent le Christ et se soutiennent mutuellement ».


De là découle une troisième orientation : « former sans cesse une Eglise qui offre à la catéchèse un milieu nourricier ». « Sans cesse… » parce que ce travail n’est jamais achevé une fois pour toutes. De nouveau votre projet introduit ici toute une série de propositions concrètes qui méritent d’être étudiées : elles portent sur des manières d’activer les liens intergénérationnels au sein de vos communautés et avec les mouvements, aumôneries et autres groupes de spiritualité ; elles concernent la vie liturgique ; elles donnent des conseils quant à la nourriture quotidienne de la foi : la lecture savoureuse des Ecritures, par exemple dans vos maisons d’Evangile, et vos propositions de formation.


Vous l’aurez remarqué : il y a un lien intime entre ces trois étapes de votre projet : une manière hospitalière de vous situer dans votre département, une façon d’engager une pédagogie d’initiation qui contemple l’œuvre de Dieu infiniment diversifiée en ceux et celles que vous rencontrez, tout en vous mettant au service de son initiative, la formation d’un milieu nourricier pour donner à voir et à goûter concrètement ce que Dieu fait en ce monde. Nous pourrons donc à nouveau prendre quelques instants de silence et nous interroger : « Comment est-ce que je me situe par rapport aux trois étapes du projet de catéchèse : attention à l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans le cœur et la vie des hommes, service de la relation entre Dieu et les hommes, ressourcement de nos communautés pour que les catéchistes y trouvent un milieu nourricier, pour eux-mêmes et ceux qu’ils accompagnent ? Est-ce que je privilégie une de ces étapes ? Est-ce que je veille à les parcourir toutes les trois, les considérant toutes les trois comme essentielles ? »

 

(I. La pédagogie de l’initiation et ses « acteurs »…,)
(II. … pédagogie déployée en trois étapes…)


III. … en vue d’une conversion personnelle et ecclésiale


Dans ces quelques réflexions conclusives je voudrais prendre un peu de distance par rapport à la démarche catéchétique elle-même et honorer notre difficulté de nous tous à prendre réellement en compte la situation actuelle de l’Eglise, à ne pas l’aborder en terme de « crise » mais à la comprendre dans la perspective d’une mutation heureuse : une figure d’Eglise est en train de disparaître ; une autre est en train de naître. Cette mutation pose de réelles difficultés aux gens de ma génération si habitués à comprendre le « catéchisme » comme une démarche qui s’adresse aux enfants et qui relève surtout de l’enseignement. D’où l’appel à la conversion qui retentit avec tant de force dans votre projet.

 

  • 1. D’abord une conversion de nos mentalités, voire de notre manière de situer la démarche catéchétique dans une perspective plus large ou surtout plus ouverte. L’introduction résume ces « passages » déjà amorcés mais à opérer aujourd’hui plus résolument par tous ; le résultat de votre réforme en dépend. Voici ce que nous lisons : « Ce projet nous conduit à opérer des passages :
    - d’une catéchèse qui s’adresse uniquement à l’enfance à une catéchèse pour tous les âges ;
    - d’une catéchèse seulement par âge à une catéchèse pour tous les âges ;
    - d’une catéchèse conçue surtout comme enseignement à une catéchèse qui, sans négliger cet aspect, se met au service de la rencontre du Christ ;
    - d’une catéchèse où les catéchistes sont les seuls acteurs à une catéchèse qui est portée, avec les catéchistes, par les communautés chrétiennes ;
    - d’une catéchèse où l’on fait seulement confiance à notre désir et nos capacités de transmission à une catéchèse où l’on fait confiance à Dieu premier initiateur, aux catéchisés déjà travaillés par une soif, et à nous-mêmes pour accompagner et favoriser la rencontre ».
     
  • 2. Cette conversion de nos mentalités et de nos manières de faire n’est possible que grâce à « une mutation profonde de nos manières d’être ». Seul l’Esprit de Dieu peut ranimer en nous les braises de l’ardeur même de Dieu : feu dont Jésus disait qu’il voudrait tant qu’il soit déjà allumé (Lc 12, 49), feu qui brule discrètement dans le cœur des disciples d’Emmaüs, feu qui se propage à la Pentecôte, chacun pouvant entendre désormais les autres annoncer en leur propre langue une même Nouvelle de bonté radicale, toujours nouvelle. Sans ce baptême de feu, sans cette énergie divine, il nous est impossible d’entrer toujours plus résolument dans la perspective inouïe qui nous est proposée. Cette vision exige en effet que nous soyons [être] humblement présents sur les dix chantiers du département évoqués aujourd’hui ; elle exige que nous portions [porter] ensemble la responsabilité catéchétique, en suscitant des partenariats entre communautés paroissiales ou autre, mouvements, établissements d’enseignement, services de l’Eglise, tout en respectant infiniment ce que Dieu donne effectivement à chacun et à nous tous ; elle exige que nous déployions [déployer] toute notre créativité et notre doigté pour ouvrir des portes et laisser Dieu entrer à l’improviste dans nos cœurs et visiter votre département.


Avant de conclure, une fois encore quelques instants d’interrogation silencieuse : « A quelle conversion suis-je appelé aujourd’hui, individuellement et avec la communauté à laquelle j’appartiens ? »

 

Conclusion :


Le souffle de Dieu anime nos braises et fait monter en nos cœurs et entre nous la flamme de l’Evangile quand nous chantons ensemble et entrons dans le dialogue divin qu’il nous propose : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples !», nous demande le Christ. « Allons donc, à travers le monde », répondons-nous, « annonçons l’Evangile aux hommes d’aujourd’hui ».


Je ne sais pas, chers amis, si vous avez remarqué que les six strophes de ce cantique reprennent les trois étapes de votre projet diocésain de catéchèse, chaque étape étant repris dans deux strophes. « Ecoutons tous les bruits du monde : les pleurs, les joies et les cris qui grondent (pensons au dix lépreux de l’Evangile d’aujourd’hui). Ouvrons nos cœurs à toutes ces vies ! Regardons le monde avec les yeux du Christ ». Vient alors, dans la deuxième strophe la toute première orientation du projet : ayant d’abord ouvert nos cœurs, nous pouvons aussi ouvrir nos portes et nos fenêtres, entrer en dialogue avec nos frères, portés par la conviction que l’Esprit est déjà à l’œuvre : « à nous de suivre, nous interpelle le cantique ; osons annoncer la foi qui nous fait vivre ! »
 

La troisième et quatrième strophe – regardez bien le texte ! – nous font vivre la deuxième étape du projet catéchétique, à savoir la pédagogie de l’initiation : « Comme Jésus, faisons-nous serviteur de la Bonne nouvelle de Dieu Amour, au service de nos frères et sœurs : dans leur relation avec Dieu, chaque jour ». Pour entrer dans ce service, nous pouvons compter sur le fait d’avoir déjà entendu la Parole. Si nous « la laissons réellement retentir dans nos vies, nous sommes inévitablement conduits à suivre les Douze et à accompagner d’autres, « ceux qui rencontrent le Christ ».


C’est une aventure exceptionnelle mais possible et à la mesure de chacun, à condition de trouver de la nourriture solide pour notre foi ; c’est ce que chante la cinquième strophe qui – vous l’avez compris – nous introduit dans la troisième étape du projet diocésain, la nourriture elle-même étant proposée dans la sixième strophe : Partager la Parole, la méditer, se réunir, prier et célébrer, vivre au quotidien l’amitié et la paix : Donner de l’Eglise un visage ensoleillé ». C’est ce que, cher amis, je vous souhaite de tout cœur en vous remerciant pour votre écoute si attentive

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Christoph Theobald s.j.*

Arras, le 10 octobre 2010

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 5418 visites