Chrétiens en terres hostiles
Eglise d'Arras n° 21-2014
Chrétiens en terres hostiles
Lire le message du pape aux chrétiens d'Irak
Les déclarations du pape dans l’avion au retour de Turquie s’ajoutent à plusieurs signaux d’alarme concernant les dégradations des conditions de vie des chrétiens en de nombreux pays, principalement sous influence de l’Islam. Faut-il parler de terrorisme, faut-il parler de fondamentalisme ? Ce sont les mots retenus par le pape François : “Il serait beau que tous les leaders musulmans, les leaders politiques, les leaders académiques disent clairement, condamnent clairement le fondamentalisme et le terrorisme”.
Alors que, pour certains, l’espace sacré est un simple carré de terre délimité par quatre murs et appelé Temple, pour d’autres, dont les chrétiens, tout hommes est une histoire sacrée. N’avons-nous pas, nous aussi, à nous réapproprier la notion du sacré autrement qu’en termes d’exclusion ?
Adorer en esprit et en vérité, en tout lieu.
« Le lieu où tu te tiens est un lieu sacré ! » Cette parole prend place dans le récit du buisson ardent (Exode 3), quand Moïse est interpellé par Yahvé. Cette citation est susceptible de deux interprétations qui conditionnent le sens de ce qui est sacré. Une première interprétation est de vouloir limiter l’espace que Dieu vient de désigner par “lieu où tu te tiens”. Bientôt on pourra faire une délimitation autour de ce lieu, entre l’espace sacré ici désigné et le reste, qui serait non sacré. A l’intérieur, le domaine de Dieu et, à l’extérieur, le reste ou profane… Une seconde interprétation, moins terre à terre, consiste à comprendre que le lieu dit sacré est tout espace où Moïse et son peuple posent et poseront le pied. C’est une manière d’honorer la Parole en forme de promesse reçue par Abraham : “En toi seront bénies toutes les familles de la terre”. Quand Abraham puis Moïse se déplacent, n’entrainent-ils pas avec eux la bénédiction de Dieu sur ces lieux où ils passent ? A l’autre bout des Ecritures, l’homélie d’Etienne avant son martyre semble conforter cette interprétation : “Le Seigneur n’habite pas dans des temples faits de main d’homme…” (Actes 7). Pour les chrétiens, que sont devenus les ‘espaces sacrés’ comme le Saint des saints à Jérusalem ? La Samaritaine en a reçu la réponse : « L’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne (Garizim) ni à Jérusalem pour adorer le Père. L’heure vient où vous adorerez le Père en esprit et en vérité. Jérémie, cinq cents ans auparavant, parlait déjà de la Parole de Dieu inscrite au fond de notre cœur…
Des guerres de religion, à la liberté religieuse.
Jusqu’à l’édit de Constantin (313), les chrétiens n’avaient pas droit de cité dans l’empire romain. Certains persécuteurs croyaient même rendre honneur à Dieu en tuant les disciples de Jésus. Il semblerait que, par la suite, les chrétiens aient fait la chasse à ceux qui ne croyaient pas en Jésus, inversant la problématique d’exclusion précédente. Il faudra bien des siècles pour que progresse la notion de liberté religieuse. L’imposition de la rouelle jaune pour les Juifs du Royaume de France par saint Louis (1269) et l’interdiction de certains métiers ; l’édit de Nantes, puis la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV (1685) ; la saint Barthélémy et bien d’autres exactions au cours des siècles témoignent que la liberté religieuse ne fut pas chose aisée à admettre. Chacun voulait imposer sa loi, non par le débat, mais par le combat. La prise de possession des Amériques par les européens au XVIème siècle, l’implantation des européens en Afrique sub-saharienne au XIXème siècle, la relance de la notion de croisade par le président Bush-père sont autant d’illustrations de la raison du plus fort, plus efficace que le service du plus faible. Il n’est pas étonnant que l’un des motifs de rejet de Vatican II par Mgr Lefebvre soit la liberté religieuse. Il voulait maintenir l’ordre ancien contre la majorité des pères conciliaires : “Le saint Concile demande aux catholiques, … d’examiner avec le plus grand soin à quel point la liberté religieuse est nécessaire, surtout dans la condition présente de la famille humaine” (Dignitatis humanae, §15)
…..
Les chrétiens persécutés
Les médias attirent aujourd’hui notre attention sur les persécutions contre les chrétiens en Syrie, en Irak, au Nigéria. Une récente production : “Le livre noir de la condition des Chrétiens dans le monde”**, relève que la religion chrétienne est la plus persécutée dans le monde. On aurait tort d’accuser tel ou tel livre, l’Ancien Testament ou le Coran, la laïcité ou tel système politique d’être aux sources des persécutions ; c’est du cœur de l’homme que naissent les pensées de violences et leur mise en œuvre. Ce n’est que récemment que se fait la prise de conscience des violences contre les chrétiens parce que chrétiens. 70 contributeurs ont recueilli et rassemblé des témoignages à travers le monde. Plus qu’une question de liberté religieuse c’est aussi l’existence même d’une civilisation et de ses valeurs qui est atteinte. 150 à 200 millions de chrétiens sont menacés. Pressions sociales, répressions d’appareils d’Etat, surveillance, intimidations et assassinats, les auteurs dressent un tableau des persécutions subies par les chrétiens dans le monde. Au Proche-Orient, en Afrique subsaharienne ou en Asie, les chrétiens y sont ciblés par des groupes armés, des organisations terroristes et même des états. Or la vérité ne se dévoile jamais par la force, mais par l’amour…
Le pape François en Turquie
Il n’est pas étonnant que le pape François ait insisté sur la situation des chrétiens en Syrie, Irak et ailleurs, lors de son voyage en Turquie, même si ce n’était pas le but premier de son déplacement. Avec le patriarche orthodoxe Bartholomée, puis avec le grand mufti d’Istanbul, il a posé des gestes significatifs, pour “aller au-delà” de la séparation, entre Constantinople et Rome pour promouvoir l’unité entre les chrétiens de confessions différentes ; plus encore pour que se développe le dialogue entre les différentes religions qui se réfèrent à un Dieu unique. En ce sens, il confirme la ligne tracée par Jean-Paul II à Assise, continuée par son successeur Benoit XVI. Les massacres perpétrés contre les chrétiens et les Yézidis en Irak, dans une mosquée au Nigéria contre des populations civiles, ne peuvent que susciter la révolte et l’écœurement. François et Bartholomée ont uni dans une déclaration leur préoccupation commune pour la situation en Syrie, en Irak et dans le Moyen-Orient. Ils ont réagi contre l’indifférence de beaucoup et appelé tous ceux qui ont une responsabilité dans le destin des peuples pour qu’ils intensifient leur engagement pour toutes les communautés qui souffrent.
(conclusion)
Chrétiens en terres hostiles ?
On ne peut résumer les origines des guerres et conflits locaux à un simple conflit de civilisation ou de motivations religieuses divergentes. D’autres intérêts : matières premières, volonté de pouvoir, commerces, extrêmes pauvretés, héritages des exactions passées, faiblesse des pouvoirs en place, peuvent amener le cœur de l’homme à entretenir la violence. Méfions-nous des évidences erronées savamment entretenues dans la presse occidentale et faisons effort pour analyser des stratégies dont les dimensions religieuses ne sont que la façade.
Le premier geste du pape argentin en Europe fut de se déplacer à Lampedusa, à l’été 2013. Depuis, la liste s’est allongée, des morts qui fuient des terres rendues hostiles par des volontés humaines. Chrétiens, Musulmans ou animistes, ils appartiennent à cette même humanité qui a droit à la dignité d’homme (cf. discours à Strasbourg) et, pour nous chrétiens, dignité de fils que Dieu aime.
E.H.
** “Le livre noir de la condition des Chrétiens dans le monde”, Sous la direction de J-M Di Falco, T. Radcliffe et A.Riccardi, XOéditions 2014 ; 24,90 €