Funérailles abbé Michel Mille

Par Mgr Jacques Noyer à St-Pol

Michel, mon frère et mon ami,
C’est une partie de soi qu’on perd, quand on perd un ami, dit-on. Mais perd-on jamais un ami ? On ne le perd pas comme un papier qui s’égare dans le désordre de notre bureau. On le range comme un livre précieux, précisément pour ne pas le perdre, dans la mémoire vivante de l’humanité et de l’Eglise. Nous voulons le garder sous la main. Nous sommes ici pour attester que même si la vie nous avait éloignés, le nom de Michel réactive cette part de lui qui est en nous depuis que nous l’avons rencontré. Loin d’être un jour d’oubli, les funérailles d’un être cher offrent un moment de mémoire. Une manière de dire non à la poussière pour chanter la vie. Une manière de faire de la Croix la source de toute joie.

 

Le chemin complexe et tortueux qui a conduit notre frère Michel de St Pol à Arras en passant par Boulogne, Bruay, Calais et Berck se souvient de Michel. Chaque rencontre, chaque dialogue, chaque acte de foi partagé, chaque fidélité liée, chaque équipe animée, chaque complicité, chaque éclat de rire, chaque larme, chaque sourire a laissé une trace. Ce ne sont pas des cailloux du chemin qui permettent aux historiens d’écrire une biographie. Ces traces sont des graines qui ont été semées, qui ont grandi, qui ont fleuri et porté fruit. Apprendre que Michel a terminé le voyage nous rend tristes sans doute mais en même temps réveille en chacun ce moment d’une histoire qui se réassemble aujourd’hui comme un bouquet d’Eglise pour rendre grâce à Dieu. Chemin austère du désert devenu sous ses pas « coulée verte » d’espérance et de foi.

 

Nous nous retrouvons comme les 72 disciples que Jésus a envoyés pour ouvrir les cœurs à sa venue, après cette longue expérience missionnaire que fut notre vie. Nous nous souvenons. Nous évoquons bien entendu l’appel qui fut vite un envoi. Toute la famille Mille de St Pol entendit cet appel et avec une rare unanimité a répondu. Et chacun est parti, garçons et filles sur son propre chemin échappant ainsi à la facilité d’un suivisme moutonnier. Et toute ta vie, Michel, a été ainsi une réponse audacieuse, courageuse, à cette mission sur des terrains où peu de routes avaient été tracées.

 

Nous sommes nombreux ici à avoir entendu le même appel et le même envoi. Le « deux par deux » de l’évangile évoque moins un compagnonnage précis qu’une sorte de tension pastorale que nous avons tous ressentie parfois douloureusement. Pour ma part ma proximité avec toi, Michel, a toujours été un témoin de cette tension. Vicaire contre professeur, Cœurs Vaillants contre Scouts et Guides, Action Catholique contre éducation, monde ouvrier contre institution globalisante, catéchuménat contre formation permanente, Berck contre Le Touquet… toutes ces oppositions qui auraient pu nous éloigner l’un de l’autre , nous a toujours rapprochés. Je ne sais comment tu me voyais mais je peux aujourd’hui te dire que tous ces contre-pieds et ces contradictions, m’ont enrichi. Notre amitié finale a célébré avec reconnaissance cette marche en duo : nos pas s’encourageaient. Ils avaient le même but.

 

Avons-nous vu Satan tomber du ciel comme l’éclair ? Cette manière de parler n’était pas vraiment la nôtre mais nous avons vu en tout cas des hommes et des femmes éclairées dans leur nuit par la lumière de l’évangile. Nous savons tout le poids des structures de péché dans lesquels les hommes vivent. Mais nous avons vu si souvent des éclairs de générosité, de solidarité, de don de soi, d’amour éclairer ce monde. Nous avons nous même été surpris par la force de l’évangile et le rayonnement de la personne de Jésus dans ce matérialisme ambiant. Nous n’avons jamais cessé d’aimer ce monde. Nous n’avons jamais désespéré de personne. Nous n’avons jamais douté de cette force de vie que Jésus a mis dans nos mains.

 

Est-ce à dire que nous sommes fiers de notre bilan ? Jésus lui même nous met en garde contre une telle tentation. Si nous voulons être sérieux nous savons bien les limites de notre action. Nous savons que nous n’avons pas tout fait bien. Nous savons la fragilité de ce que nous avons fait. Nous savons surtout que l’essentiel était réalisé par une grâce divine qui échappait à notre contrôle et à nos méthodes. Qu’il suffise donc à la fin de cette mission de nous réjouir parce que notre nom est inscrit dans les cieux. Sur ta tombe tout à l’heure ton nom sera inscrit sur le marbre de la reconnaissance des hommes.

 

Je ne te promets pas que nous serons nombreux à en faire un but de pèlerinage. Pendant quelques années ton nom sera rappelé dans la nécrologie du diocèse. Et puis ce sera la poussière des archives, l’effacement de l’oubli. Je crois pouvoir évoquer ce destin qui nous attend tous sans t’offenser : ce n’était pas la gloire des hommes que tu attendais. J’entends ton rire si je t’apprenais qu’une municipalité avait décidé de donner ton nom à une rue pour t’honorer. Mais ton nom est écrit dans la paume de la main de Dieu, dans la mémoire infinie de son éternité, dans le cœur brûlant de son amour. Et là j’entends, non ton ironie, mais ta joie d’une mission accomplie. Avec toi nous partageons ta joie. Ecoute, un rire fait écho au tien : c’est celui du Père.
 

Mgr Jacques Noyer

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 5611 visites