Mgr Harlé, évêque et pasteur
Thèse de doctorat de Mme Odile Broucqsault
Odile Broucqsault, cambraisienne d’origine et fauquembergoise d’adoption a consacré les « loisirs » de ses huit dernières années d’enseignement en collège à préparer la monumentale thèse sur “Mgr Jules Harlé, un pasteur du monde rural”, thèse qu’elle a soutenue samedi 14 novembre 2009 à l’Université de Boulogne-sur-Mer.
En 772 pages, 5 parties et 15 chapitres, abondamment documentés, elle retrace l’histoire de ce prêtre rural, sans diplôme universitaire, formé par l’Action catholique et imprégné de la spiritualité de l’Institut séculier des prêtres du Cœur de Jésus, devenu évêque auxiliaire, et appelé par les circonstances à assumer, un temps, le rôle d’un évêque titulaire. En explorant systématiquement le contexte des responsabilités de Jules Harlé, à chacune des étapes de son long ministère, cette thèse est une mine d’informations sur l’histoire récente de l’Eglise catholique en France. L’auteur les a trouvées en grande partie dans les fonds des archives diocésaines d’Arras, exceptionnellement ouvertes pour une période aussi récente.
Pendant 31 ans, un prêtre de son temps . 1939-1970
Né à Wirwignes le 3 février 1916 dans une famille mi paysanne, mi commerçante, Jules Harlé est vite poussé vers le sacerdoce par son curé avec l’assentiment de sa famille. Il entre à 11 ans au petit séminaire de Boulogne, et, comme il était alors de coutume, y prend la soutane en classe de Première le 17 juillet 1932. Il a seize ans ! Il entre au grand séminaire d’Arras en octobre 1934. Le cycle de six ans qu’il doit y effectuer est interrompu par le service militaire en 1935 et perturbé par la guerre. Son ordination est précipitée : sous-diacre le 9 juillet 1938, diacre et prêtre les 23 et 24 décembre 1939 au cours d’une permission exceptionnelle car il a été mobilisé dans le Génie. En juin 1940 il échappe à la captivité et, démobilisé, réussit à rejoindre le Grand séminaire pour la rentrée 1940. Après sa dernière année de théologie, il est nommé professeur à l’Institution Saint-Nicolas de Desvres. Polyvalent, on le charge, outre sa responsabilité des sixièmes, d’ouvrir un cours d’agriculture et on lui confie la paroisse de Longfossé ainsi que l’aumônerie de secteur de la JAC-JACF pour le canton de Desvres.
Prêtre du Cœur de Jésus
Comme beaucoup d’autres prêtres, Jules Harlé veut donner une ossature à son engagement sacerdotal en s’affiliant à une société de prêtres. Il choisit les « Prêtres du Cœur de Jésus ». Il en partagera toute sa vie l’élan missionnaire et la fraternité, et se pliera aux règles du groupe : prière régulière, pauvreté, obéissance au Père spirituel désigné et à travers lui, à l’évêque diocésain.
Le temps de l’Action catholique,
Après la guerre l’abbé Harlé devient l’Aumônier de la fédération du littoral de JAC-JACF ( Boulogne, Calais, Saint-Omer, Montreuil ). De 1945 à 1957, il pratique avec les ruraux la trilogie « Voir-Juger-Agir ». Il élargit rapidement son champ d’action au Mouvement Familial Rural et regroupe l’ensemble dans l’Action Catholique Rurale. Il sait promouvoir les laïcs et s’évertue à leur laisser le champ libre.
La découverte de la sociologie religieuse et la remise en cause des paroisses traditionnelles
Mgr Perrin engage le diocèse dans l’action du chanoine Boulard pour adapter les paroisses traditionnelles aux besoins nouveaux de l’évangélisation. L’abbé Harlé est un relais efficace pour éveiller ses confrères du clergé rural aux réalités sociologiques. Les premières grandes enquêtes, font émerger partout la nécessité apostolique de concevoir autrement les limites de la paroisse et sa mission. On s’achemine déjà, en 1954-1955, vers la création de nouveaux ensembles pastoraux où les prêtres travailleront en équipe pour mener solidairement l’évangélisation par milieux.
Le Curé doyen ( 1957-1963-1969 ), artisan de la réforme conciliaire
C’est dans ce contexte, qu’en 1957, l’abbé Harlé est nommé curé-doyen d’Aubigny-en-Artois. Il y anime la commission pastorale de la « zone », devient membre de la commission de pastorale rurale diocésaine, et membre de l’équipe animatrice des réunions des doyens ruraux. En 1963, Mgr Huyghe lui confie la charge de curé doyen de Samer-La Capelle-Pont-de Briques. Il devient l’âme de la refonte des doyennés dans la zone du Boulonnais rural en 1966. Il est élu en 1967 au conseil du presbytérium qui vient d’être créé.
En 1969 il reçoit la charge pastorale de Marquise, sans en être le doyen. En fait, sa responsabilité est élargie à tout le Boulonnais rural. Il est désormais coordinateur de la pastorale rurale de l’archiprêtré de Boulogne
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Pendant 21 ans, un évêque auxiliaire aux tâches multiples : 1970-1991
Mgr Huyghe choisit ce prêtre exemplaire, modeste et sans ambition personnelle, dynamique et tourné vers l’avenir, pasteur chaleureux issu et aimé de la base du clergé, pour l’aider à la refondation de l’Eglise diocésaine.
Ils veulent créer une Eglise-Peuple de Dieu où règne une co-responsabilité confiante entre prêtres, religieuses et laîcs. Ils forment ensemble un tandem soudé par leur commune adhésion à l’Institut séculier des Prêtres du Cœur-de Jésus.
De 1970 à 1979, Jules Harlé est étroitement associé à la mise en place de la pastorale conciliaire. Mais il doit gérer simultanément les états d’âme d’un clergé rural hésitant et vieillissant, ainsi que les évolutions préoccupantes du recrutement des futurs prêtres dont on cherche en tâtonnant à adapter la formation après avoir abandonné la formule du Grand Séminaire traditionnel. Il s’investit dans la création du Centre culture et foi, de la bibliothèque et des archives diocésaines, en lieu et place du Grand Séminaire d’Arras. Devenu président de la Commission d’Art Sacré et nommé par le Préfet membre de la Commission départementale des objets mobiliers, il fait réaliser l’inventaire du patrimoine religieux dispersé dans les églises et chapelles; il œuvre à la création du musée du Trésor de la Cathédrale d’Arras et à celui de la crypte de Notre-Dame de Boulogne. L’art sacré est une des formes de l’expression de la Foi.
Avec Mgr Huyghe, il participe aux travaux de Conférence des Evêques de France et s’engage dans la Commission pastorale du monde rural. De 1972 à 1977, sa bonne connaissance des problèmes du milieu et ses talents de négociateur l’amènent à jouer un rôle essentiel pour dénouer la crise qui oppose entre eux les courants du Mouvement rural de la Jeunesse chrétienne et qui les oppose à l’épiscopat. Ce grand mouvement est-il encore un mouvement d’action catholique à finalité pastorale ou n’est-il plus qu’un mouvement politique généreusement engagé pour transformer la société ?
1987, inauguration des Tourelles 1980-1984. Quand la capacité de travail de Mgr Huyghe est diminuée par l’accident dont il a été victime, Mgr Harlé est appelé à dépasser un peu plus les champs d’action d’un Auxiliaire. Il réunit, les 3 et 4 novembre 1979, la grande assemblée générale des Religieuses du diocèse invitées à s’impliquer dans l’effort de refondation. Il remplace désormais Mgr Huyghe aux Assemblées plénières de l’épiscopat à Lourdes. Il rédige le Rapport Quinquennal envoyé au Vatican pour rendre des comptes et préparer la visite « ad limina » à Rome, où il faut répondre aux questions de chaque service de la Curie ; du 2 au 9 octobre 1982, c’est lui qui conduit la délégation du diocèse d’Arras. C’est encore lui qui, du fait de la présence d’une importante Mission catholique polonaise dans le diocèse, est délégué par la Conférence épiscopale pour rencontrer les évêques polonais en 1981-1982. L’assemblée plénière l’élit, à l’automne 1982, Président de la Commission épiscopale Enfance et Jeunesse ; il y découvre les 4 mouvements de Scouts catholiques, rivaux entre eux, et qui réclament une meilleure reconnaissance par la hiérarchie ; il cherchera comment les intégrer auprès des autres composantes de la jeunesse catholique, dans une pastorale d’ensemble de l’enfance et de la jeunesse.
Il fédère les énergies pour faire de 1983 une grande année « Benoît Labre », à l’occasion du bicentenaire de sa mort.
1984-1985. Le 26 septembre 1984 Mgr Huyghe démissionne. Mgr Harlé est nommé Administrateur du diocèse. Tous les chantiers diocésains sont poursuivis. Pour Noël 1984, les chrétiens sont invités à trouver les moyens de vivre en équipe diocésaine en pays de chômage. Cette période s’achève par Festijeunes, le grand rassemblement de toutes les jeunesses chrétiennes à Fruges le 20 octobre 1985.
Quand Jules Harlé s’efface, le 19 novembre 1985 dans la cathédrale d’Arras, pour présenter Mgr Derouet, il est longuement acclamé. Redevenu Evêque auxiliaire, il est conforté par Mgr Derouet dans son rôle de Vicaire général, puis nommé directeur des Congrégations religieuses. A partir de 1986, Jules Harlé, âgé de 70 ans, ne siège plus dans aucune commission épiscopale nationale. Il concentre son action sur le diocèse. En 1987 il mène à bien la négociation qui aboutit à la création de la Maison diocésaine « Les Tourelles » à Condette. Il crée encore à Arras une Commission Jeunesse. En 1988 il est nommé responsable de la Coopération missionnaire.
Neuf ans de retraite active et rayonnante.
En 1991, atteint par la limite d’âge, il démissionne et s’installe dans une petite maison à Condette où, tout en cultivant son jardin, il reste disponible, accueille, écoute, prêche des retraites et continue à accomplir pour Mgr Derouet des missions ponctuelles et discrètes.
Il meurt le 24 janvier 1999
Dans sa thèse, Odile Broucqsault a su montrer, après des enquêtes difficiles, tant la personnalité de son « héros » est discrète et ne se laisse pas deviner facilement, toutes les facettes de la personnalité et de l’action de ce prêtre rural formé par la pratique de l’Action catholique spécialisée et nourri de la spiritualité de l’Institut séculier des Prêtres du Cœur de Jésus. Elle l’a replacé dans le contexte de l’histoire du clergé et de l’épiscopat au tournant du Concile Vatican II et des crises qu’ils ont eues à affronter et qu’il a contribué pour sa part à déminer.
Michel Beirnaert