Le synode provincial - 2ème session
Inventons les paroisses de demain.
Invité et observateur, lors de la seconde session du synode provincial, il m’était demandé d’exprimer quelques impressions sur ces deux journées fort denses. Tout d’abord, la présence de délégués d’autres Eglises, (anglicane et orthodoxes) donnait à l’assemblée une dimension œcuménique. Ce week-end était un temps fort pour la vie des Eglises diocésaines ; la motivation des délégués en était l’expression.
Assemblée religieuse et fraternelle
L’assemblée des 200 délégués, laïcs et prêtres des trois diocèses, était très fraternelle et recueillie. Les célébrations eucharistiques, l’office des Heures induisaient une dimension religieuse pour une assemblée qui a mission de faire des propositions pour les paroisses de demain. La première session avait fait apparaître une très grande diversité (divergence) dans l’expression des participants, sur la manière dont ils vivaient le présent des paroisses et percevaient leur avenir. Un travail de décantation était donc nécessaire au moment où l’assemblée cherchait à écrire les propositions d’orientations pour les paroisses : “Le livre 1, les Orientations fondamentales”. La méthode utilisée devait favoriser l’expression de tous, sans que cela ne tourne à la confrontation stérile.
S'écouter et s'exprimer
La mise en perspective des paroles de chacun se faisait par paliers successifs, d’abord en tout petits ateliers, puis en regroupant les réponses deux par deux, ensuite en cinq grandes assemblées, à partir desquelles les secrétaires rédigeraient, de nuit, raccourcie d’une heure pour cause d’horaire d’été, ce qui serait soumis à l’assemblée générale du dimanche matin. Il y eut donc beaucoup de temps d’écoute, puis de rumination silencieuse avant que chacun n’exprime son point de vue. L’essentiel ne résidait pas dans le débat, mais dans l’écoute attentive de ce que les uns et les autres portaient au fond du cœur. Mgr Ulrich avait insisté sur la nécessité de mettre à jour les tensions, de ne pas les ignorer et qu’ensuite, il faudrait affirmer les critères de discernement sur les personnes et les missions, à partir des sept éléments constitutifs de la paroisse, que le pape François avait décrits : “une présence ecclésiale sur le territoire ; un lieu d’écoute de la parole ; lieu de croissance de la vie chrétienne ; de dialogue ; de l’annonce et de l’initiation ; de la charité généreuse ; de l’adoration et de la célébration”.
Rédiger les orientations du projet
Si les deux premiers temps d’échange entre les participants ne favorisaient pas une vue d’ensemble du projet, les cinq assemblées du soir en vue de la synthèse, puis l’assemblée générale du dimanche, ont fait apparaître les points de clivage et les discernements possibles. Plusieurs courants théologiques étaient perceptibles dans l’expression des délégués, même si tous n’en avaient pas conscience. Cependant des trajectoires semblent se dessiner pour une Eglise ouverte, une Eglise qui se convertit, (référence probable à l’introduction d’Evangelii gaudium), une Eglise qui fonctionnera sur des modèles à inventer plutôt que sur la reprise des anciens schémas. Le comité de pilotage aura à rédiger les orientations en vue de la prochaine session en octobre 2014.
Les intervenants et topos
Le père Xavier Bris et Mme Bénédicte Bodart, du comité de pilotage, ont présenté une synthèse des réponses à la consultation (plus de 500 réponses de groupes et un millier de réponses personnelles s’ajoutent aux précédentes réponses). Il aurait fallu plus d'espace pour présenter deux interventions de grande qualité. La première, du père Willy Wele-Wele, présentait l’étude qu’il avait réalisée sur onze paroisses test. C’était un tour d’horizon de réalités très diversifiées dans les trois diocèses. Ce qui se fait, ce qui se vit, ce qu’on espère. Son classement en sept points peut être utile : Une paroisse qui marche, c’est-à-dire une paroisse missionnaire. Une paroisse qui annonce, célèbre, vit le service (diaconie), rassemble. L’eucharistie, centre de l’assemblée paroissiale des fidèles. Le rôle principal du prêtre, avec des chrétiens laïcs acteurs. Place des groupes divers dans la paroisse. Paroisses et dévotions populaires et, septième point : une paroisse ouverte à l’Esprit-Saint.
En conclusion il cite une phrase du pape François : “La paroisse est communauté de communautés, sanctuaire où les assoiffés viennent boire pour continuer à marcher, et centre d’un constant envoi missionnaire“.
Les paroisses dans une modernité liquide
L’intervention de Mr Arnaud Join-Lambert, de Louvain, laïc, marié, père de famille, obligeait à se décentrer du présent pour entendre comment la question de l’avenir des paroisses est travaillée en Europe et dans d’autres confessions chrétiennes. Ce fut une présentation fort bien reçue et admirée, même si le temps limité de l’intervention (journée électorale oblige !) ne permettait pas d’intégrer au fond de soi-même les nouveautés expérimentées dont rendait compte le topo intitulé “Inventer des ‘paroisses’ dans la modernité liquide”.
Son intervention aura au moins permis de rêver à d’autres modèles pour vivre l’Eglise de demain. Nous sommes encore trop marqués par le modèle prégnant de la paroisse d’abord du XIème au XVème siècle, puis du XVIème au XXème avec la place prédominante du prêtre-curé-référent… Une nouvelle paroisse se dessine ou, plutôt, une Eglise reconfigurée avec plasticité et qui peut prendre des formes très diverses… Cela demande de la docilité, de la créativité missionnaire de la part du pasteur et de la communauté. Cela suppose de se comprendre comme Eglise dans le monde actuel.
Rappeler la lettre à Diognète au moment de conclure sur l’Eglise de demain peut paraître étonnant ; rappeler l’organisation des premières maisonnées ou petites communautés (oikia) de chrétiens pour l’annonce de l’Evangile, ouvrait les esprits à dépasser l’idée de “vouloir tout couvrir” en créant un modèle utopique et illusoire de paroisse nouvelle. La dimension de ‘sortie’ et ‘d’aller vers’ laisse entendre un nécessaire lieu de rassemblement-communion (systole et diastole selon l’expression d’un délégué) : n’y a-t-il pas là un ministère de communion à mieux comprendre et exercer (ministère des jointures dira un délégué) ?
Le synode et l'évêque de Rome?
Durant ces deux journées, plusieurs fois ont été citées des paroles du pape François. Suivra-t-on ses intuitions : par obligation ou par conviction ? C’est sans doute une question à se poser. Il est reconnu que ce pape dérange. Cependant, sommes-nous prêts à lui emboîter le pas pour sortir de nos temples pour aller à la rencontre de la masse des gens sur les parvis du monde ? (Cf. premier verset de l’évangile du dimanche, l’aveugle de naissance en Jean 9.)
Abbé Emile Hennart
On trouvera l’essentiel des interventions dans le site http://synodelac.fr
La lettre de Mgr Jaeger Eglise d'Arras n°7-2014
Documents annexes
La lettre à Diognète.
"Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier…
Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers…
En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde”
Le modèle paroissial, du XIème au XXème siècle. (extrait d'une intervention)
Des études récentes montrent que la paroisse tridentine et sa systématisation territoriale ne remonte pas plus haut que le 11eme siècle, lors de la réforme grégorienne (1073-1085). Chaque fidèle catholique a un prêtre qui lui est propre (un sacerdos proprius), un curé, chargé de l'accompagner dans sa vie chrétienne pour son salut éternel. Les Constitutions imposent comme minimum la confession annuelle à ce prêtre, et la communion annuelle. L'Église catholique s'est structurée par un système de maillage territorial le plus dense possible pour que tout fidèle aie aisément accès à son sacerdos proprius. Le concile de Trente ne fait que systématiser cette option pastorale dans le plus de territoires possibles, pour les préserver de la Réforme…
Une première variante du modèle tridentin apparait lorsque les prêtres sont un petit peu moins nombreux… Moins de proximité, remplacée par plus de du prêtre, mobilité facilitée par la voiture, la 2CV ou la 4L ayant succédé au vélo du Curé de campagne de Bernanos. Ce modèle de la mobilité a aujourd'hui atteint ses limites en France.
A la mobilité du prêtre succède la mobilité des fidèles. La multiplication des paroisses confiées à un seul prêtre, la diminution du nombre de fidèles de la messe dominicale, le vieillissement des prêtres amène une sollicitation des fidèles pour se déplacer : messes dominicales itinérantes dans plusieurs églises, pastorale sacramentelle en des lieux variés, mais souvent là où réside le prêtre. Le modèle a fait illusion pendant un temps. S'il a permis de relancer une vraie vie de communauté chrétienne, il a aussi généré une dynamique centrifuge (ou papillonnage ecclésial par choix d'une autre paroisse ou communauté que la sienne théorique) et une fatigue des laïcs porteurs de ces rassemblements. Ce modèle n'a pas enrayé la diminution de la participation aux activités paroissiales.
Une troisième variante peut être désignée comme une « option concentrique », le choix qui a le vent en poupe actuellement en Europe : concentration des activités en un lieu, lieu principal d'un point de vue socio économique et, souvent, lieu de résidence du curé. Le ou les prêtres responsables portent la charge pastorale avec des laïcs dûment mandatés. C’est la grande nouveauté au tournant du millénaire. Cependant, Francois Moog a montré que même ce système d'équipe était en fait une variante ecclésiologique du modèle précédent, car ce sont toujours « quelques-uns » qui ont la charge du tout pour tous…
Le seul modèle vraiment novateur en Europe est celui dite “Poitiers” , mis en œuvre au tournant du 21ème siècle, après deux synodes diocésains, il est caractérisé par le primat de la communauté locale et l’itinérance du prêtre… En tout cas, le temps de l’Eglise au milieu du village est fini… L’enjeu pour l’Eglise est devenir une minorité qui reste catholique (ouverte à l’universel) et non refermée sur elle-même, une minorité assumée et non subie.
Arnaud Join-Lambert :