Témoignage sur les chrétiens d’Irak

Par Sourour

Eglise d’Arras a demandé à Sourour, d’origine irakienne, comment retentissent en elle les échos des souffrances des chrétiens en terre d’Islam, en particulier en Irak. Sourour a dû quitter son pays et prendre le chemin de l’exil il y a quelques années. Elle est aujourd’hui associée au service diocésain de formation permanente au diocèse d'Arras.


En ce temps de l’Avent où les chrétiens se préparent à fêter Noël, je suis invitée à témoigner de ce que vivent les chrétiens d’Irak. L’image biblique qui m’habite est celle de Marie et de Joseph à la recherche d’un endroit pour donner naissance à Jésus et pour le protéger de la violence omniprésente qui le menace.

 Bethléem, tapisserie à l’hôtellerie du patriarcat latin. Il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie.  
Bethléem, tapisserie à l’hôtellerie du patriarcat latin.
Bethléem, tapisserie à l’hôtellerie du patriarcat latin.

 

C’est avec la peur au ventre que les chrétiens d’Irak vivent. Victimes de violence gratuite, ils craignent pour leur vie et celle des membres de leur communauté. La pression est telle que chaque jour est vécu dans la peur et l’angoisse. Aujourd’hui notre communauté est frappée plus que jamais par la barbarie, et ses membres sont touchés au plus profond d’eux-mêmes dans leur identité, dans leur dignité, dans leur existence et dans leur droit à la citoyenneté.


Proche Orient Proche Orient   

Les chrétiens d’Irak sont issus d’une Eglise autochtone de la Mésopotamie (région entre les deux fleuves : le Tigre et l’Euphrate) dont l’expansion s’est faite indépendamment de l’empire romain. Dès le 1er siècle, nous avons été évangélisés par deux saints : Mar Addaï et Mar Mari, tous deux disciples de Saint Thomas.


La communauté est héritière d’une très vaste et très grande culture marquée Hamurrabi Stèle assyrienne  
Hamurrabi
Hamurrabi
par les différentes civilisations qui vivaient dans cette région des fleuves : les empires sumérien, akkadien, babylonien, assyrien, persan, grec et enfin au XVIIIème siècle l’empire Ottoman.


La Mésopotamie, terre du monothéisme, est celle des premiers mythes et des traditions ethniques ; le lieu des grandes villes : Sumer, Akkad, Assur, Ninive, Babylone … ; elle est aussi le lieu privilégié où les Sumériens avaient placé le paradis d’Eden ; celle de la terre d’Ur-Chaldée, racine d’Abraham où les récits bibliques ont vu le jour…


Assyrie Tablette cunéiforme  
Assyrie
Assyrie
Héritiers de toutes ces traditions, cultures, langues et pour beaucoup polyglottes (grec, araméen, hébreux, persan, arabe etc. …), lors des dix premiers siècles de notre ère, les chrétiens d’Orient ont joué un rôle important dans la traduction des textes scientifiques (médecine et astronomie) et philosophiques, traduits du grec au syriaque (araméen) puis en arabe. En effet, ils commencèrent à étudier des œuvres philosophiques grecques et à les utiliser dans les débats théologiques. Ils furent réputés pour leur rôle dans la sauvegarde de cet héritage philosophique et scientifique. Ils fondèrent les premières écoles théologiques : EDESSE, NISIBE, HARRAN et par la suite rendirent possible la transmission et la traduction en arabe des écrits grecs. 


  Descendants des Assyro-Chaldéens qui habitaient cette région depuis plus de trois mille ans, les chrétiens d’Orient sont les héritiers du passage des Apôtres, les héritiers de cultures millénaires, les légataires d’empires oubliés. Ils incarnent ce mélange et ce lien historique et culturel avec le passé, avec le message évangélique.

 

Sourour Sourour   Notre communauté chrétienne a grandi dans le berceau de l’humanité, puis, elle est devenue au fil du temps une minorité faible et éclatée « la nouvelle diaspora ». Au 7ème siècle, avec l’arrivée de l’Islam, elle s’est continuellement trouvé confrontée à des difficultés, notamment pour affirmer son identité. Aujourd’hui, pour les chrétiens, vivre en Irak est devenu impossible. Nous ne sommes plus tolérés dans notre propre pays. Si nous refusons de nous convertir à l’islam, nous sommes massacrés par les groupes intégristes qui pullulent. Les derniers événements relatés par la presse en sont la preuve. La menace plane quotidiennement sur chaque chrétien resté au pays. Et la peur et l’angoisse de voir mourir les leurs existent également pour ceux qui sont exilés en terre étrangère, ayant tout quitté.

 

Les Eglises d’Irak, dans leur diversité linguistique et liturgique, se sont toujours trouvées confrontées à des discriminations et à des souffrances, que ce soit avant ou après la chute du régime dictatorial, ce qui explique les vagues migratoires depuis des décennies. Depuis l’arrivée de l’Islam, pour survivre, nous avons sans cesse été contraints de vivre des situations de compromis par manque de liberté. L’Eglise a toujours joué un rôle de médiateur. En effet, pour sauver la communauté chrétienne de la violence et de l’extermination, les autorités ecclésiales ont été forcées de composer avec les pouvoirs politiques.


Abou Gosh Minaret  
Abou Gosh
Abou Gosh
Les chrétiens d’Irak ont toujours été considérés comme des citoyens de second degré. Leur identité a été mise en péril à travers leur histoire et leur vécu avec l’Islam. Et pourtant c’est d’eux que dépendaient en grande partie l’éducation, l’ouverture à d’autres cultures, l’évolution et le développement du pays.


Leurs efforts de poursuivre des études universitaires et leur volonté d’obtenir des diplômes et des qualifications sont une manière digne de s’imposer et de s’affirmer pour ne pas être totalement exclus dans la société musulmane où les droits des minorités sont quasiment inexistants.
Si, comme le rappel l’article 3 de la déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sureté de sa personne. », alors pourquoi les chrétiens d’Irak n’auraient-ils pas le « droit du sol » ? Pourquoi leur liberté est-elle bafouée ? Pourquoi l’intolérable discrimination s’est-elle transformée en violence sanglante ? Pourquoi tant de haine déversée sur une communauté qui ne demande qu’à vivre dans la dignité et la paix ? Pourquoi ?


 Dès sa naissance, Jésus fut lui aussi exclu. En donnant son Fils à toute l’humanité, Dieu offrait la paix au monde. Avec cet enfant de la paix et avec ce petit garçon de 3 ans qui, avant d’être lui-même assassiné, a vu tuer son père lors de l’attentat dans la cathédrale de Bagdad (cf. lettre des sœurs de Bagdad, site web du diocèse d’Arras), avec lui et avec tant d’autres, moi aussi, j’ai envie de crier : « Ça suffit ! Ça suffit ! ».

Sourour....