"Prévention-résolution des conflits : "construire la paix"
version intégrale de l'intervention de Samuel Pommeret (chargé de Mission CCFD-Terre Solidaire / Partenaires : Grands Lacs Africains) journée de formation 14 janvier 2018
Journée de formation CCFD-Terre solidaire diocèse d'Arras
dimanche 14 janvier 2018
Intervention de Samuel POMMERET
Chargé de mission CCFD- Terre Solidaire
Partenariat International /Région Grands Lacs Africains
"Construire la paix... "
"Comment le CCFD-Terre Solidaire agit-il pour construire la paix ?" ...L'invitation de la Délégation Diocésaine posait d'abord cette question, en même temps qu'elle invitait à diverses déclinaisons appuyées sur des exemples africains.
"Construire la paix", la question se pose en effet dans de nombreux pays d'Afrique, qui procurent autant d'exemples de la manière dont un conflit naît, se vit, évolue, et de la façon dont on peut essayer d'en sortir.
En fait, le sujet invite aussi à réfléchir plus avant sur nos propres représentations (l'idée que nous nous faisons des conflits, de leur origine et de leur issue possible), et qui interroge nos sociétés...
1. Le CCFD -Terre Solidaire face aux conflits
Le rapport d'orientation 2014- 2020 [1] a consacré l'idée d'un CCFD-Terre Solidaire "acteur de développement et de solidarité internationale" qui "participe d'une dynamique de transformation sociale", ici et là-bas. "Travailler à l'instauration d'une paix durable au service du développement" constitue l'un de ses champs d'action thématiques. Le conflit est une réalité inhérente à la vie sociale, que l'on risque bien de rencontrer dans l'action solidaire comme ailleurs, qui peut dégénérer et faire obstacle au développement. Le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires se proposent alors d’accompagner les sociétés civiles dans la recherche de solutions et leur consolidation, par des démarches et moyens pacifiques.
Le conflit : une réalité complexe
Les définitions courantes du conflit retiennent des traits pertinents pour ce propos. Le définir comme une "opposition entre personnes ou des entités, chargée d'émotions: frustration, colère, agressivité, violence", souligne à la fois la divergence entre des antagonistes et la charge émotionnelle du désaccord , qui n'est pas pure rationalité. Exprimer le conflit comme "contradiction ou incompatibilité entre des hommes, peuples, croyances, affiliations " dit à la fois la gradation des oppositions -du simple désaccord au choc des opinions ou des intérêts- et la multiplicité des sources possibles d'incompréhension.
Prévenir ou résoudre des conflits implique beaucoup de monde : des intéressés eux-mêmes aux institutions de tous ordres, et jusqu'aux états ; bref l'ensemble des composantes d'une société. Prévention et résolution s'inscrivent aussi dans la durée. Le conflit déborde toujours et laisse des traces ; il marque les individus, les territoires, les mémoires.
Aussi doit -on choisir ses mots avec circonspection. La notion onusienne de "zones en post-conflit" par exemple, laisse à penser que la situation est revenue à la normale -ou peu s'en faut- que le conflit est dépassé et ses causes laissées derrière soi. Or ce n'est pas forcément le cas. La résolution d'une ligne conflictuelle entre adversaires n'est pas synonyme de règlement global et durable. Et le feu peut couver sous la cendre : dans certains cas, les raisons structurelles de la crise -souvent anciennes, enracinées, ignorées plutôt que vraiment abolies ou traitées- entretiennent une conflictualité latente qui peut un jour dégénérer. La société ivoirienne, par exemple, si elle paraît sortie de la crise politico-militaire ouverte, est-elle totalement guérie?
Prévention et résolution des conflits:
La prévention des conflits est un travail sur les causes des tensions ou les facteurs de rupture, passés ou à venir, dans des conflits de toute nature (économique, sociale, politique) et de tout calibre. Il n'est pas rare qu'un même conflit conjugue plusieurs dimensions, plus ou moins articulées. La prise en compte du respect des droits humains, des diversités culturelles et des processus démocratiques est ici essentielle.
La résolution des conflits suppose une analyse de la situation, de ses enjeux et acteurs, et la recherche d'une voie de sortie possible, qui passe par des processus de réconciliation. Il est alors question de justice, de reconnaissance des dommages et des traumatismes causés, d'acceptation, de deuil, de réparation.
La fréquente superposition de motifs au sein d'un même conflit et les différentes phases qui le rythment invitent à l'envisager dans toute sa complexité. La vision large du CCFD est notamment attentive à l'emboîtement des échelles (les différents niveaux où s'articulent et s'expriment la conflictualité) et aux expressions spatiales du conflit. Ainsi de la "logique de bastion" (retranchement des uns, interdiction aux autres) qui apparaît par exemple dans les événements du quartier PK5 à Bangui; c'est une expression physique, économique, et symbolique du rejet ou du déracinement.
La démarche consiste à proposer une sortie de crise différente de la tournure formelle (celle des institutions) ; une modalité alternative dans le processus de recherche et d'acceptation de la solution; un recours méthodique à l'arbitrage, la conciliation, la médiation, la négociation, ou toute combinaison de ces moyens.
Mais pas de paix sans justice :
La démarche de résolution ne blanchit pas pour autant ceux qui se sont rendus coupables d'exactions au cours du conflit. Elle ne tient pas lieu de justice. Loin d'être un blanc-seing pour ceux qui ont du sang sur les mains, elle laisse toute sa place à l'exercice d'une justice nationale ou internationale, dans la mesure où le territoire concerné en a les moyens politiques et économiques.
Au Rwanda, après le génocide des Tutsis, il a fallu faire preuve de pragmatisme devant l'importance de la tâche. Les planificateurs, organisateurs et leaders présumés du génocide ont été déférés devant la justice internationale à Arusha (Tanzanie) ; les cas graves - meneurs régionaux et auteurs d'atteintes aux personnes ayant entraîné la mort- ont été confiés à la justice nationale; enfin une multitude d'acteurs locaux, accusés ou suspects d'atteintes aux personnes ou aux biens ont été présentés aux tribunaux populaires « gaçaça ». Inspirés des assemblées villageoises traditionnelles ils ont ménagé des rencontres -douloureuses et nécessaires - entre victimes et bourreaux souvent destinés à cohabiter à nouveau; en dépit de leurs imperfections, ils ont posé quelques jalons en vue d'une réconciliation nationale à terme.
Dans le même ordre d'idée, la Commission vérité et réconciliation a sans doute évité le pire à l'Afrique du Sud post-apartheid. [2] Le processus a notamment permis pendant trois ans une certaine confrontation entre des acteurs du régime et des victimes qui pouvaient enfin dire leur souffrance et leur chagrin.
Si la justice fait défaut, on peut craindre qu'il n'y ait vraiment de paix. Des pays vivent encore avec les marques douloureuses de conflits passés, faute d'avoir pu ou su mettre en place des processus permettant une réelle réconciliation. Il suffit que l'un des deux camps adverses ne reconnaisse pas ses propres crimes pour qu'une rancœur sourde ou déclarée fasse son chemin. Le reproche a été émis à propos des tribunaux rwandais qui ont exclu les exactions commises par le Front Patriotique Rwandais dont la victoire a mis fin au massacre. En Côte d'Ivoire, les "commandants de zone" pro-Ouattara n'ont pas rendu de comptes pour les abus commis sous leur autorité.
En République Centrafricaine, déchirée par une guerre civile depuis fin 2012, tout reste à inventer en matière de justice; la demande est forte, mais le système judiciaire est quasi inexistant.[3]
2. Le conflit Centrafricain : quelques repères et leçons
Le cas centrafricain appelle un développement particulier puisque la délégation diocésaine du Pas-de-calais a souhaité que cette intervention entre en résonance avec le numéro spécial d'OKAPI intitulé "En Centrafrique avec les artisans de la paix". [4]
Il est aussi instructif à bien des égards.
Un conflit latent, enraciné :
Un livre récent présente la République Centrafricaine, issue de l'Oubangui-Chari colonial comme "le pays qui n'existait pas". [5] Une "invention française", constituée de bric et de broc, où la métropole n'a jamais vraiment investi. Quand cette "Cendrillon de l'Empire" accède à l'indépendance en 1960, le pays a tout pour se déliter ...
Marqué d'emblée par une profonde instabilité politique, ponctuée de multiples coups d'état, le pays a connu une succession de régimes autoritaires (l'empereur JB Bokassa reste une image emblématique pour beaucoup de Français). Faute de légitimité démocratique les hommes politiques ne résistent pas à la tentation " d'ethniciser" le soutien à leur cause. Mal gouvernance, inertie, confusion des intérêts publics et privés et népotisme contribuent à la faiblesse de l'état.
Les lignes conflictuelles et les origines de la crise sont déjà en place: l'affaiblissement de l'agriculture, l'accaparement mafieux des richesses et une pauvreté massive ; ‘l'ethnicisation’ de l'armée et la "gestion tribale" des ressources; l'aveuglement des élites, l'indifférence de la capitale et les déséquilibres régionaux ... Mais jusqu'en 2007 l'intervention française et les rafistolages politiques désamorcent les bouffées de violence.
Un conflit religieux ?
Le conflit ouvert éclate fin 2012, quand plusieurs mouvements d'opposition et de rébellion du Nord s'unissent pour former la Séléka ("coalition"), qui se dit représentante de la minorité musulmane victime de discriminations. Appuyée par des mercenaires étrangers et quelques brigands, elle s'empare de Bangui et renverse le président en exercice. La succession d'exactions, razzias et massacres qui s'exerce alors aux dépens des populations majoritairement chrétiennes suscite en retour la création de milices d'auto-défense (anti- balaka : anti-machettes). L'appartenance religieuse devient prétexte à rétorsions ; la haine entre communautés s'installe et alimente le cycle des représailles. Au départ, comme souvent, il s'agit de politique; mais le conflit cristallise les sentiments d'appartenance.
L'intervention française Sangaris (décembre 2013-octobre 2016) évite sans doute le pire, sans parvenir à neutraliser totalement les bandes armées. La visite du Pape François à Bangui (novembre 2015) ouvre la voie à un relatif apaisement. Des ennemis d'hier apprennent depuis à revivre ensemble; des jeunes de toutes confessions, dépassant les logiques d'affrontement, tentent de retisser des liens sociaux. Un référendum constitutionnel esquisse une autre voie et le retour à la légalité institutionnelle est consacré par l'élection à la présidence de Faustin Archange Touadéra (février 2016).
Un apaisement qui n'est pas synonyme de fin de conflit:
Le retour à la légalité ne suffit pas, faute de s'accompagner d'un véritable processus de discussion dans lequel les acteurs de terrain obtiendraient tout ou partie de ce qu'ils espèrent. Les réunions organisées au sommet pour trouver des accords de désarmement des factions et de réconciliation nationale se succèdent sans réels effets. Des pans entiers du territoire restent donc hors de contrôle de l'état; des groupes armés d'obédiences diverses[6] entretiennent toujours l'insécurité dans les régions.
Reste encore à remédier aux fractures à l'origine de la crise ; et à aborder la question des réfugiés - plus de 500 000 centrafricains ont fui au Cameroun, au Tchad et en RD Congo- et des personnes déplacées, plus nombreuses encore. Vastes chantiers en perspective pour un "état failli"[7] , qui peine à remplir ses fonctions essentielles.
Un autre éclairage sur la conflictualité :
Aux pires heures des conflits armés, les commentateurs convoquent volontiers la notion de "situation génocidaire" pour souligner la dynamique d'opposition violente entre deux groupes irréconciliables. En fait cette expression est dépourvue de signification juridique et, le plus souvent, inappropriée : la situation visée ne recèle pas de risque réel de destruction délibérée et radicale d'un groupe ethnique pour ce qu'il est.
En revanche, on sous-estime souvent la compétition pour l'accès et le contrôle des richesses. Elle joue pourtant un rôle crucial dans la conflictualité latente, comme dans le déclenchement et la persistance des conflits ouverts. "Richesses" pouvant ici désigner aussi bien, selon les lieux et circonstances, la mainmise sur une ville, l'exploitation d'une mine, le contrôle d'une route, l'appropriation du bétail ou le contrôle des terres.
En Centrafrique, les factions sont ainsi très présentes dans les zones d'extraction du diamant ou de l'or ; elles rivalisent pour le contrôle d'un quartier ou d'une route, partout là où s'exerce le prélèvement d'une 'rente' sous une forme ou une autre.
Les conflits trouvent toujours un terrain propice dans un contexte général de pauvreté, de sous-emploi des jeunes, de déliquescence de services publics déjà bien minces, d'absence ou d'impuissance de l'état.
3. Partenaires en action : des jeunes artisans de la paix
Comment le CCFD- Terre Solidaire travaille-t-il avec ses partenaires à la prévention et à la résolution des conflits? On retient ici deux exemples spécifiques, qui mettent les jeunes sur le devant de la scène.
Les conflits les impliquent souvent au premier chef, à la fois victimes et acteurs. Certes, il y a là une raison démographique : les jeunes sont majoritaires au sein des populations concernées. Mais cela ne signifie pas qu'ils s'y imposent : trop souvent en Afrique, ils peinent à trouver leur place économiquement, socialement, culturellement. Il arrive alors que le conflit offre une voie pour faire son trou, accéder aux ressources, à une forme de reconnaissance et de respect. Pour certains, les armes sont une forme de socialisation; une manière de se construire une identité guerrière et une existence, comme les jeunes gens des milices Maï Maï du Congo oriental, qui mettent en coupe réglée le petit territoire qu'elles contrôlent.
Quand la Centrafrique s'est embrasée, les jeunes se sont retrouvés en première ligne, manipulés, poussés à s'entretuer. Ils jouent aussi un rôle moteur dans l'apaisement et la reconstruction.
PIJCA Centrafrique : désamorcer la violence et préparer l'avenir
La Plateforme interconfessionnelle des jeunes Centrafricains -PIJCA- qui regroupe 18 associations, rassemble des jeunes des différentes religions unis par un même objectif : désamorcer la violence et préparer l'avenir. Ils ont fait le pari audacieux de former des médiateurs capables d'agir localement.
Ces associations viennent s'insérer dans un réseau complexe d'acteurs situés à des différents niveaux. On doit ici en citer quelques-uns. L'Archevêché de Bangui et la Plateforme de paix inter-religieuse[8]; quand tout s'écroule, il reste l'Eglise, son inscription dans le paysage, sa capacité d'organiser, de mettre en réseau, de maintenir des liens et d'ouvrir des possibilités de dialogue. Les " personnalités de base" - prêtres ou pasteurs, imams, notables, chefs coutumiers et autres référents communautaires - souvent isolées, en quête de soutien, avec lesquelles il convient de travailler.
Cela ne résume évidemment pas toutes les parties prenantes. Impossible d'ignorer les combattants de l'ex-Séléka aujourd'hui divisée, et des milices anti-balaka, soit autant de "seigneurs de guerre" plus ou moins installés dans le "business de guerre". Ce qui rappelle opportunément que la manière de sortir d'une crise ne consiste pas à faire la morale, mais à passer des compromis et à distribuer des intérêts; cela relève avant tout des instances politiques.
Cela dit, il faut aussi "déconstruire" la guerre pour construire la paix; et là, c'est le registre de la PIJCA.
Penser autrement :
Personne ne naît combattant ; la guerre et la violence se construisent, dans les têtes. Alors il faut bien travailler sur les imaginaires, les habitudes de pensée, les manières de voir et de dire ; travailler sur ce qu’Amin Maalouf a appelé les "identités meurtrières" [9] et se demander pourquoi l'affirmation de soi s'accompagne de la négation d'autrui, constitué en adversaire.
Quand on a connu que l'injustice et qu'on est attaqué se développe vite un sentiment de repli sur ce qui ne peut pas vous être arraché -l'identité. Celui qui est confronté à la violence développe en retour des réactions de rejet, de détestation de l'autre et des aspirations à la vengeance: "on me tue pour ce que je suis, alors je tuerai l'autre pour ce qu'il est". C'est bien ce que racontent les jeunes témoins de la PIJCA présentés dans le numéro spécial d' OKAPI .Ainsi Josette -21 ans , protestante- quand "mon grand frère a été tué à Km5 , j'ai été remplie de haine à l'égard des musulmans" , ou Carmelle -27 ans , catholique : "quand mon oncle a été tué , les parents ne voulaient plus entendre parler de réconciliation". Leur prise de conscience et leur engagement s'apparentent à une conversion.
Les partenaires du CCFD qui aident les acteurs locaux à se décentrer, à penser la situation autrement, entreprennent une tâche nécessaire et difficile, à la fois pour eux et pour les participants. Oser réfléchir par soi-même, hors de son groupe d'appartenance, c'est risquer de se mettre en danger par rapport à sa propre communauté. C'est affronter la complexité des sentiments humains et des réactions : un combat contre soi-même, ses propres colères ou ses certitudes, une confrontation à l'incompréhension des proches, à la méfiance et à l'hostilité des adversaires.
REJA, au Burundi : de la parole individuelle à l'intelligence collective
Au Burundi -dont l'histoire est pétrie de violences interethnique- la manipulation politique des jeunes est aussi monnaie courante, qui conduit souvent à la détestation réciproque. Le Réseau des organisations de jeunes en action -REJA, partenaire du CCFD - cherche au contraire à promouvoir une culture de citoyenneté responsable, qui rejette peur de l'autre, discrimination et violence.
Il faut pour cela poser le cadre d'un dialogue, trouver des espaces pour confronter les points de vue, mettre à jour des oppositions, dans le respect mutuel. Ce qui ne va pas de soi dans ce pays. Il ne suffit pas de dire à quelqu'un : "viens, tu rencontreras ton ennemi", il faut aussi lui garantir qu'il sera en sécurité. Le choix des lieux est donc crucial ; une mosquée, une église peuvent mettre en confiance.
Mis en contact les uns avec les autres les jeunes réalisent en se racontant qu'ils partagent une même histoire de souffrance, une même pauvreté, une même désespérance parfois. Cet "effet miroir" vaut prise de conscience pour une jeunesse en mal de reconnaissance.
Le temps de la parole qui se débloque est une première chose. Il faut encore qu'elle se libère vraiment pour atteindre une expression vraie, sincère et sans détour. Il n'est plus temps d'en rester à des généralités, mais de travailler à construire une intelligence collective. Au-delà de l'interrogation personnelle légitime ("qu'est-ce qui pousse l'autre à me vouloir et à me faire du mal?"), se découvrent un contexte commun, une situation objective, une posture collective et critique.
Une "bonne parole" qui "descend d'en haut", est généralement inefficace. Les méthodes d'éducation populaire qui font appel à l'expérience vécue, sont plus opérantes. Mettre sur la table l'histoire de chacun, constater qu'elle est terriblement similaire à celles des autres, et réfléchir à partir de là peut mener plus loin.
Il n'y a pas de formule magique du"vivre ensemble"...
Le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires ne sont pas dans la posture de "celui qui sait". S'il n'y a pas de recette toute faite, il est possible de construire des modalités temporaires et évolutives de relations pacifiées, culturellement compréhensibles et acceptables par les protagonistes. Le CCFD ou celui qui agit en son nom, sans abandonner son propre référentiel (les valeurs de l'Association et ses propres convictions démocratiques ou citoyennes), doit se mettre à l'écoute de sociétés civiles porteuses de spécificités sociales et culturelles qu'on ne saurait ignorer.
La jeunesse est un groupe "stratégique" : il était bon qu'on y insiste ici. Ajoutons que la paysannerie, souvent, en est un autre. Dans l'est du Congo (RDC) par exemple, le CCFD et ses partenaires travaillent sur la pression et les conflits fonciers, qui cristallisent une conflictualité latente; se greffe là-dessus une question identitaire. En Colombie, après l'accord de paix, la restitution des terres aux paysans déplacés par le conflit reste un enjeu majeur. En Centrafrique, les tensions liées aux transhumances transfrontalières et les frictions entre agriculteurs et éleveurs nomades étaient une préoccupation récurrente. Se pose aujourd'hui la question du retour et de la protection des Peuls[10], obligés de fuir pour échapper aux voleurs armés et à la vindicte de la population chrétienne, qui les jugeait complices des "milices musulmanes".
Pour conclure :
Dans la résolution des conflits, le CCFD-Terre Solidaire n'est pas à proprement parler acteur: il ne règle pas le conflit lui-même, et prends bien garde à ne pas en devenir partie-prenante. Précaution élémentaire : le tiers qui intervient dans une bagarre a toute chance de voir les deux adversaires se retourner contre lui... Mais aussi conception réfléchie :
- de sa position : se sentir responsable, mais sans rentrer dans le conflit;
- de son rôle: faire en sorte que le conflit de quelques-uns ne devienne pas le conflit de tout le monde, embrasant un pays entier ;
- d'une manière de faire : mettre en oeuvre une méthode qui accompagne, crée des espaces de rencontre, favorise le dialogue.
Appelé à intervenir par un tiers- une Eglise, une association, ou des acteurs de la société civile - le CCFD développe avec des partenaires locaux une méthode et des moyens qui sont proposés aux acteurs : ceux qui créent le conflit ont à charge de le résoudre, de construire ou reconstruire un contrat social. Il y faut de la constance, parfois de l'endurance, comme le montre l'exemple de la Colombie, apaisée après 50 ans de conflit armé[11] .
Prise de notes et mise en forme : Guy Jovenet et Jean Yves Six.
[1] "Pour une terre solidaire et fraternelle", Rapport d'orientation 2014-2020. Voir chap.3: Les missions , et chap. 4 : Les champs d'action thématiques.
[2] La Commission , créée en 1996 , présidée par Mgr Desmond Tutu , prix Nobel de la Paix, a procédé à une vaste recension des violations des Droits de l'Homme commises sous le régime d'apartheid , entre 1960 et 1994. La loi promettait une amnistie à ceux qui , ayant agi sur ordre, viendraient "confesser" leurs exactions, sans rien omettre.
[3] Peut-être y verra-t-on un jour fonctionner une instance de type "vérité et réconciliation" , et une organisation du même genre que celle du Rwanda : cour pénale internationale, justice ordinaire, et formes de régulation sociale traditionnelle dans certaines parties reculées du pays .Voir revue "Faim et Développement" n°293, mai-juin 2016; pages 12-14.
[4] Magazine OKAPI : "En Centrafrique avec les artisans de la paix" . Réalisé par "Les opérations spéciales" de Bayard avec le magazine Okapi (à destination des 10-15 ans) , en collaboration avec le CCFD-Terre Solidaire ; novembre 2017.
[5] Titre du livre de Jean Pierre Tuquoi : "Oubangui-Chari , le pays qui n'existait pas", La découverte, 2017
[6] "l'ex-Séléka" a éclaté dès la fin 2013 en plusieurs factions rivales, qui balancent entre conflit et alliance . Ces groupes seraient les principaux bénéficiaires des barrages routiers où la taxation des transporteurs et des voyageurs procure d'importants revenus. Les rivalités existent aussi dans l'autre camp ; par exemple entre les "anti-balaka" du NO et le groupe rebelle '3R'.
[7] la notion "d'état failli" (ou déficient) n'a pas vraiment de définition officielle mais elle sert de plus en plus souvent à décrire des pays où rien ne fonctionne correctement parce que l'état ne parvient pas à assurer ses missions essentielles, particulièrement le respect de l'état de droit. La Centrafrique a été qualifiée par certains auteurs "d'état fantôme", n'ayant jamais vraiment exercé partout sa puissance légitime, incapable encore d'assurer la sécurité physique et matérielle de ses citoyens sur un territoire qui n'est plus "national" que de nom.
[8] Fondée en 2013 par l'archevêque, cardinal Dieudonné NZAPALAINGA , avec l'imam et le pasteur de Bangui.. On estime que 80% de la population centrafricaine est chrétienne (pour plus de moitié protestante); s'y ajoutent 10% de musulmans et 10% d' animistes.
[9] Titre d'un essai paru chez Grasset en 1998
[10] Les Peuls, peuple d'éleveurs nomades, répandus dans toute la zone soudano-sahélienne, du Sénégal jusqu'au Soudan , de religion musulmane sont arrivés en Centrafrique à partir des années 1920 , où ils étaient souvent perçus comme une communauté extérieure, agressive, non intégrée . Ces Peuls M'Bororo se sont massivement réfugiés au Tchad ou au Cameroun, ou déplacés dans l’est du pays, près de la frontière du Soudan.
[11] processus dans lequel étaient fortement engagés les partenaires du CCFD notamment le CINEP (Centre de recherche et d'Education Populaire)