Défendre l'accès à l'eau pour tous (2): l'eau potable

                Le CCFD-Terre solidaire défend l’idée d’un développement qui passe par des « changements structurels dans l’économie mondiale et les valeurs qui les sous-tendent » et  par la promotion des droits fondamentaux. Les cinq droits qui « garantissent une vie digne » s’inscrivent dans la dynamique des Droits de l’Homme : droits à l’alimentation, à la sante, au travail, à l’éducation et au logement. Ils figurent dans la Déclaration Internationale des Droits de 1948, et dans le « pacte » qui en découle (pour leur donner valeur opératoire) dits « droits PESC » (droits sociaux et culturels) signé par plus d’une centaine de pays.

                Pour être effective, la promotion de ces droits implique une mise en œuvre concrète, Un droit à l’alimentation qui s’applique vraiment appelle une maîtrise des ressources par les populations paysannes concernées : techniques agricoles et savoirs, mais aussi la terre et l’eau, surtout là où elle manque. De même, pour être opérant, le droit à la santé oblige à s’attaquer aux causes des maladies par une amélioration de l’accès à l’eau potable et aux systèmes d’assainissement non-polluants.

                Avoir accès à l’eau pour boire et se laver est officiellement reconnu depuis une dizaine d’années comme faisant partie des droits humains. Mais la mise en œuvre concrète de ce droit est loin d’être partout effective. Deux milliards de personnes sont toujours privées d’eau potable dans le monde et quatre milliards souffrent de pénurie d’eau au moins pendant un mois par an. Un certain nombre de partenaires du CCFD-TerreSolidaire sont donc toujours au travail sur ce chantier là, particulièrement en milieu rural.

 

                                1  CCFD-Terre Solidaire   et  DROIT A L’EAU

 

La comparaison à vingt ans d’écart de deux affiches sur l’eau est significative d’une prise de conscience. L’affiche CCFD de 1983 est une belle image, expressive et colorée ; le ton est assez neutre et le propos  général ; « l’eau c’est la vie », personne ne dira le contraire et il était bien temps à l’époque de prendre conscience de ce qu’elle a de précieux chez nous comme ailleurs.  En revanche, l’affiche de 2005-2006, plus radicale et réaliste pose à sa manière une question cruciale : quelle est la vraie nature de l’eau ? Un bien marchand  - ou un bien public mondial pour lequel chaque être humain dispose d’un droit d’accès imprescriptible et inaliénable ?

 

                            1983 Affiche 1983 Affiche                         2006 notoriete eau 2006 notoriete eau  

 

L’ONU avait  proclamé  les années 1980  comme « la décennie de l’eau ».En 2002, un autre pas a été  franchi  quand le sommet mondial sur le développement  tenu à Johannesburg se termine par un engagement solennel des états à diviser par deux le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable. Pour atteindre cet  « objectif du millénaire », le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a lancé un vaste programme  international. Le bilan dressé en 2015 recense de nets  progrès et se félicite de ce que  depuis 1990 « 2 milliards de personnes supplémentaires aient accès à l’eau » ; il  reconnaît en revanche qu’ « il reste beaucoup à faire en matière d’assainissement. »

 

C’est en  2010 que  les Nations Unies ont reconnu le droit à l’eau potable et à l’assainissement  comme un droit fondamental « essentiel à la jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme». Une autre résolution adoptée en 2015 est venue préciser le contenu de ces droits. Le droit à l’eau potable est ainsi un droit d’accès -sans discrimination, physique (concret) et un coût abordable- à un approvisionnement suffisant en eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques. Le droit à un équipement sanitaire est défini dans des termes semblables : un accès dans tous les domaines de la vie, hygiénique et sans risque, socialement et culturellement acceptable,  garant de la dignité.  La même année 2015  a été lancé le Programme de Développement Durable qui fixe 17 objectifs de développement durable visés à l’horizon 2030.

 

 2. POSITIONS:

 

Bien entendu la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable est plus compliquée qu’elle n’a l’air  et l’expérience a montré depuis longtemps  que les approches purement techniques  ne suffisaient pas.

 

Solidarité et solvabilité :

 

             Sur l’affiche de la campagne 2005, le ton faussement compatissant du « désolé l’eau potable est trop chère pour toi » asséné à un jeune africain vise précisément un continent où il faut bien constater à l’époque la faillite des opérateurs  publics de distribution de l’eau potable, souvent mal gérés, qui n’ont pas pu faire face à l’augmentation de la demande. Avec la ‘crise de la dette’ des années 1980-1990, la diminution des ressources de l’Etat et la mise en œuvre des plans d’austérité qui s’ensuivent, bon nombre de ces opérateurs ont été privatisés et le recours aux concessionnaires privés s’est imposé.

                Ces firmes détiennent  la majorité des marchés dans les grandes villes, sur lesquelles elles ont concentré leurs efforts, laissant aux campagnes le soin de se débrouiller. Elles ont aussi  recentré leurs investissements sur la partie solvable de la population.  Le service est très supérieur à ce qu’il était, mais seulement pour ceux qui peuvent payer. S’ensuit une différenciation croissante entre les quartiers et les individus, les plus pauvres se trouvant de fait exclus et obligés d’acheter au coup par coup de petites quantités à des vendeurs privés ou contraints de puiser à la rivière  , sans garantie de potabilité- au contraire.

            Ces réalités interrogent les pratiques des ONG. Peut-on sur le terrain garantir à chaque être humain le droit à une eau de qualité sans jamais poser la question des moyens à mobiliser pour le financer et l’entretenir- en particulier dans les contrées où la culture de «l’eau gratuite » reste très forte comme en Afrique ? Le bien public est-il nécessairement gratuit ? Sans recettes l’entretien n’est plus assuré, les équipements se dégradent, et le système entier part à vau-l’eau.

 

complexités:

 

             Il ne suffit pas de monter une pompe ou de creuser un puits (et de s’en aller).  En réalité, la moindre innovation entraîne une sorte de réaction en chaîne qui touche d’autres domaines en amont ou en aval du seul approvisionnement. Elle est porteuse de transformation sociale.  Au-delà de son impact direct, l’installation d’un puits ou d’une borne –fontaine suscite d’autres dynamiques. Combiné à une éducation à l’hygiène, l’accès à l’eau  propre contribue à réduire  les maladies et faire reculer la mortalité infantile. Les femmes libérées d’une partie de leurs corvées  peuvent développer de nouvelles  activités rémunératrices, qui leur donnent davantage d’autonomie et  bénéficient à la famille (en permettant  par exemple d’envoyer les enfants régulièrement à l’école). Si la population est associée à l’entretien et à la gestion peuvent naître  de nouveaux modes de participation ou la création  de systèmes de micro -crédit . La réalisation d’un projet de développement  –fût-il modeste – conduit donc   à  anticiper et  démêler tout un écheveau  d’effets, de causes et de conséquences.

 

          La dimension sociétale s’accentue encore quand le projet est l’occasion d’une expérience de gouvernance participative. Un exemple béninois développé par de Bruno Angsthelm (chargé de mission Afrique, 2011)  montre ainsi comment on passe d’une action  menée pour faire face à un besoin urgent à un projet  durable construit  par  les acteurs communautaires, institutionnels, associatifs et privés.

Dans une localité  proche de Cotonou, un premier effort d’équipement à l’initiative de l’évêché (avec le soutien du CCFD et Misereor, son équivalent allemand)  avait permis  en 1985 d’accéder à l’eau potable. Vingt ans après, le diocèse devenu le premier distributeur d’eau dressait un bilan mitigé. L’accès à la ressource restait inégal et le réseau était souvent défaillant, faute d’entretien. Une partie des habitants boudait le réseau diocésain pour aller chercher  une eau moins chère auprès de particuliers qui vendaient  l’eau tirée des puits et fontaines publiques créées par l’Etat dans quelques cantons ! Dans tous ces projets, les populations avaient été tenues à l’écart de la gestion de l’eau ; elles en méconnaissaient donc les contraintes et refusaient de payer.

Le CCFD a donc travaillé à la réhabilitation du réseau (extension des canalisations, installation de bornes fontaines, nouveau château d’eau), en coopération avec la municipalité, le syndicat des eaux d’Ile-de-France et Emmaüs international. Mais il l’a fait sur des bases très différentes, notamment par la mise en place d’un dispositif de gestion communautaire et d’une assemblée communale de l’eau qui rassemble tous les acteurs, consommateurs compris.

         C’est dans l’esprit du temps. Même les bailleurs de fonds internationaux (banque mondiale, Union européenne, etc) n’acceptent plus de financer des « petits projets » à caractère caritatif ; ils ne se contentent plus de schémas techniques, mais  exigent une vision claire d’une politique de l’eau conduite avec les autorités municipales  et la participation active des populations.

 

Mise à jour 2023 :

sur le site national , faites connaissance avec  la campagne 2023  « Journée mondiale de l’eau »

https://ccfd-terresolidaire.org/campagne/journee-mondiale-de-leau-2023/

 Quels sont les enjeux de cette  journée mondiale de l’eau ?  quelles actions pouvons- nous mener ?  Et d’autres vidéos  qui présentent des partenaires en action, en Tunisie , en Guinée ...

 

3. PARTENAIRES EN ACTION   

 

Le CCFD-TerreSolidaire travaille avec des organisations locales qui aident les plus vulnérables à accéder à une eau sûre et de qualité.

 

                                     SERJUS, Guatemala (« Services Juridiques et Sociaux »)

 

L’Amérique Latine ne manque pas d’eau : elle dispose du tiers des ressources en eau de la planète, et pourtant l’accès à l’eau potable reste un problème pour 55 millions de ses habitants, et bien davantage encore n’y ont qu’un accès précaire. De fortes inégalités sociales pèsent sur la situation. C’est le cas au Guatemala.

 

Créée en 1987  SERJUS  lutte (dans un contexte difficile) pour la sécurité alimentaire  des familles rurales, en particulier celle des enfants. Pour améliorer les conditions de vie, elle a suscité la création de la Coopérative « Fruits de la Forêt » (qui fédère des associations de producteurs ou de productrices) qui récolte, transforme et commercialise des fruits jusque là totalement négligés.

Sa mission ne se limite pas au seul combat contre la malnutrition infantile ; le droit à la terre  est une préoccupation majeure, tout comme la garantie d’un droit à l’eau effectif pour les communautés confrontées aux appétits d’intérêts puissants : projets hydroélectriques, grandes plantations et mines qui contaminent  la ressource.

 

Cette âpre lutte des communautés locales  pour l’accès à l’eau est racontée et expliquée par Vilma Juliet Sot Chile  (coordinatrice de projets  pour l’association SERJUS) dans un article récent  (mise à jour 2020) intitulé : « Nous voulons une économie de la vie et non de l’accumulation» :

https://ccfd-terresolidaire.org/projets/ameriques/guatemala/guatemala-droit-eau-6432

SERJUS tente de faire voter un droit à l’eau ; parcours semé d’embûches tant les pressions sont fortes pour privatiser l’eau –«ce qui dans les faits est souvent déjà le cas »…

 

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                                                           Nomad08 (Tunisie)

 

L’Afrique  dispose de ressources en eau abondantes, en surface (lacs et grands fleuves)  et dans ses nappes aquifères. Mais  à la  disponibilité est très contrastée  d’une zone à l’autre s’ajoute une insuffisance générale d’infrastructures de collecte, de traitement, de distribution et d’assainissement. Quarante pour cent de la population n’a pas accès à l’eau potable et les maladies hydriques figurent parmi les premières causes de mortalité.

 

Au nord du continent, la Tunisie n’était  pas le pays le plus mal loti. Le taux d’accès à l’eau potable est de 100% en ville et 93 % en milieu rural  (contre un tiers en 1985).

Mauvaise gestion, réchauffement climatique et surexploitation de la ressource sont pourtant  en train de faire  de l’eau l’un des enjeux  vitaux de la question sociale en Tunisie.

C’est l’objet d’un article récent  de Thierry Brésillon (mars 2021) :

https://ccfd-terresolidaire.org/actualites/egalite-elles-bougent/tunisie-les-femmes-6854

 

Proclamé par la Constitution de 2014, le droit à l’eau  est dans la pratique de plus en plus difficile à garantir.  Les progrès accomplis, très réels (le taux d’accès à l’eau potable est de 100% en ville et 93 % en milieu rural), risquent d’être compromis par la diminution des ressources, le coût élevé du service, le vieillissement des infrastructures et le manque d’investissement.

Les femmes sont les premières touchées, dans toutes leurs servitudes domestiques. Mais aussi les premières à se mobiliser.

 

L’association Nomad08- créée en 2012 par des jeunes du bassin minier tunisien, au sud-ouest du pays-  vise à défendre les droits économiques  sociaux, culturels et environnementaux, notamment le droit à l’eau. C’est pour défendre le droit d’accès de tous –citadins et ruraux - qu’elle a mis en place un Observatoire tunisien de l’eau (2016).  A travers des enquêtes et des visites, l’observatoire recueille des données sur le système de gestion et ses  faiblesses (les coupures  d’eau ne sont plus inconnues) ; il réalise des études et forme les citoyens.

Pour Nomad08 l’eau est un bien commun qui doit être  préservé et équitablement distribué ; l’association milite avec d’autres  pour que le Code des Eaux national ne soit pas soumis aux seules  logiques marchandes.

 

       Tunisie /ph. Brésillon Tunisie /ph. Brésillon  

 

On trouvera sur le site national d'autres exemples , tel que :

Lucille Rothquel (SPP, Afrique du sud) mène la lutte pour l’eau et les droits des laissés pour compte  à Ithemba,  enclave rurale semée d’habitat précaire de la banlieue du Cap

https://ccfd-terresolidaire.org/nos-publications/edm/2018/306-octobre-2018/afrique-du-sud-l-enjeu-6229

 

 

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  NOTE :

Les objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) des Nations Unies désignent huit objectifs  que les états  signataires s’accordent à essayer d’atteindre à l’échéance 2015.  Eradiquer la faim et l’extrême pauvreté, faire reculer l’illettrisme et la mortalité infantile, améliorer les conditions sanitaires sont quelques-uns de ces objectifs. Le bilan (inégal) a été établi dans un rapport en  2015. La même année a été lancé le Programme de Développement durable qui fixe 17 objectifs à l’horizon 2030.

 

 

 

 

 

 

 

  

Article publié par Guy Jovenet - CCFD Terre Solidaire • Publié • 822 visites