Défendre l’accès à l’eau pour tous (1) : l’eau agricole
L’accès à l’eau est une condition nécessaire pour vivre et produire en milieu rural. Garantir cet accès à une agriculture familiale qui répond aux enjeux de sécurité alimentaire, d’équité sociale et de durabilité, est depuis longtemps une préoccupation majeure du CCFD-Terre Solidaire.
1.POSITIONS
L’agriculture utilise 70% de l’eau douce consommée par an dans le monde. La relation entre l’eau et le modèle agricole est donc déterminante pour la planète. Or, l’agriculture intensive et les pratiques agro-industrielles pèsent lourdement sur les ressources en eau- et sur la vie des communautés paysannes, que menacent aussi les appétits d’autres acteurs économiques (comme l’industrie extractive).
La pression sur cette ressource vitale est de plus en plus forte. Soixante pour cent de la nourriture mondiale provient de cultures pluviales (qui dépendent des précipitations et se contentent des apports pluviométriques annuels). L’irrigation est cependant essentielle pour améliorer les rendements et faire face à la demande alimentaire croissante.
Dans ces conditions, en 2050, la consommation mondiale de l’eau devrait être 20 à 30 % plus élevée qu’aujourd’hui, dans un contexte modifié par le dérèglement climatique et son cortège d’altérations négatives. La sécurité alimentaire pourrait en pâtir : d’ici 2050, quarante pour cent de la récolte mondiale de céréales serait susceptible de disparaître du fait du manque d’eau.
Il est donc urgent de changer de modèle agricole pour contenir la demande d’eau et gérer mieux la ressource. De ce point de vue, les savoir-faire collectifs et traditionnels des paysanneries sont plus respectueux en matière de gestion durable de l’eau. Ce qui n’est pas forcément contradictoire avec l’introduction de techniques de collecte et d’irrigation innovantes.
Défendre et sécuriser les droits des paysans à l’eau agricole, promouvoir une agriculture paysanne diversifiée et soucieuse de la ressource, lutter contre les effets du dérèglement climatique, représentent donc pour le CCFD-TerreSolidaire des enjeux majeurs.
Ce n’est pas simplement affaire de soutien technique et financier à des projets concrets portés par des acteurs locaux, comme ceux qu’on expose un peu plus loin à titre d’exemples . Cela implique aussi qu’on soutienne dans les régions concernées deux revendications portées par les partenaires locaux :
-la mise en place d’une gouvernance de l’eau concertée au niveau local (accès collectif, gestion en entretien des infrastructures), et soutenue par des politiques publiques agricole et de gestion territoriale ;
-l’accroissement des investissements publics, en intégrant l’accès à l’eau agricole dans les plans nationaux de développement et de réduction de la pauvreté.
A l’échelle internationale, le CCFD soutient en outre l’idée et la mise en place d’une autorité mondiale de l’eau.
Pour en savoir plus :
https://ccfd-terresolidaire.org/nos-combats/eau-2913
2. PARTENAIRES EN ACTION :
L’une des critiques adressées très tôt aux « projets de développement» venus « d’en haut » c’est la vision d’une paysannerie passive et cantonnée aux tâches subalternes sur laquelle reposaient implicitement nombre d’entre eux. Le soutien à des projets de développement définis et conduits par les intéressés eux-mêmes dans le cadre d’un partenariat a été la règle d’or du CCFD-TerreSolidaire dès le début des années 1970.
Les deux premiers exemples de partenariat ici présentés sont africains -ce n’est pas vraiment une surprise.Non que l’Afrique manque d’eau partout ou même dans l’absolu : elle dispose d’importantes ressources, notamment souterraines –mais n’utilise que 4 % de son potentiel pour tous les usages courants -agriculture, énergie, satisfaction des besoins humains- d’abord faute de maîtrise technique. C’est plutôt le continent des paradoxes, qui conjugue abondance et pénuries. Nombre de partenaires du CCFD-TerreSolidaire étant confrontés aux fortes variabilités des précipitations dans l’espace et dans le temps qui marquent une partie du continent, le cas du partenaire éthiopien a paru emblématique, tout comme le cas de l'oasis tunisienne.
Le troisième exemple est sud-américain. L’Amérique Latine est en effet plus concernée qu’on ne l’imagine par la question de l’eau agricole. Le modèle dominant de développement agricole est en effet très gourmand ; les suspects habituels -soja ou canne à sucre- ne sont seuls en cause : la progression récente de la culture irriguée de l’avocat en témoigne (Pérou, Chili, Mexique).Les problèmes sont aussi liés à la mauvaise répartition ou à la mauvaise gestion de la ressource. En Equateur 1% des exploitations agricoles absorbent 67 % du débit national –grandes plantations bananières en tête. Au Chili l’eau a été privatisée sous le régime dictatorial ; des droits de propriété ont été distribués gratuitement, qui peuvent être vendus comme des actions, ce qui a favorisé accaparements et spéculations. Ailleurs encore, ce sont les conflits avec une industrie extractive prédatrice qui occupent le devant de la scène et confrontent les communautés rurales à la raréfaction et à la pollution de la ressource.
OSRA , Ethiopie (Oromo Self Reliance Association)
OSRA (Association pour l’autosubsistance des Oromos) est une organisation non-gouvernementale créée en 1995 qui travaille dans la région de l’Oromo - à l’Est du pays- à renforcer les capacités de production et de développement autonome. L’association est partenaire du CCFD depuis 2005, où sa devise éveille un écho familier : « Help people to help themselves !» (aider les gens à se prendre en charge).
L’incertitude pluviométrique est caractéristique d’un pays exposé à de grandes sécheresses qui menacent la sécurité alimentaire. Les petites exploitations dominantes sont très vulnérables aux aléas climatiques, faute le plus souvent de dispositif d’irrigation.
La question de la disponibilité en quantité et en qualité concerne aussi l’approvisionnement en eau pour boire et se laver. Les femmes et les enfants peuvent consacrer deux à quatre heures par jour à la « corvée d’eau ».
Les actions d’accès à l’eau ne consistent pas seulement à creuser des puits ou des forages, à installer pompes et abreuvoirs. OSRA est attentif à la dimension sociale ou sociétale du changement. L’opération offre en général aux communautés paysannes une expérience de gouvernance participative. Les puits ou les fontaines libèrent les femmes de lourdes tâches et accroissent le temps productif, disponible pour des activités nouvelles comme le maraîchage. L’accès à une eau potable a de plus modifié les conditions d’hygiène et de santé.
Sur le site national on retrouvera avec intérêt un article sur OSRA signé Thierry Brésillon (mise à jour 2013): « Banque de céréales et accès à l’eau potable…» qui expose les données du problème climatique éthiopien et l’action de l’association. Le Dr Alemayehu, président d’OSRA, y redit toute l’importance de l’accès à l’eau pour la petite paysannerie des hauts-plateaux :
https://ccfd-terresolidaire.org/projets/afrique-subsaharienne/ethiopie/banques-de-cereales-et
« Association de Sauvegarde de l’oasis de Chenini » (Tunisie)
En Tunisie le CCFD-TerreSolidaire est partenaire de « l’Association de sauvegarde de l’oasis de Chenini » (région de Gabès) qui regroupe des agriculteurs du lieu soucieux de freiner la dégradation de leur écosystème et de préserver l’avenir. L’approche se veut globale, respectueuse de la complexité, avant de mettre en œuvre des actions prioritaires : techniques agronomiques respectueuses des sols, gestion raisonnée de l’eau, actions de développement durable (tri et compostage) :
https://ccfd-terresolidaire.org/projets/maghreb/tunisie/sauvegarder-l-oasis-de-313
Une video «Alimenterre » montre les lieux et le projet en deux petites minutes (c’est la présentation d’un documentaire de 37 mn sélectionné pour le festival 2018): https://www.alimenterre.org/l-agroecologie-dans-l-oasis-de-chenini-preserver-ensemble-0
Un diaporama (du à la DD72) propose une présentation simple et imagée :
AS-PTA, Brésil (Assistance et services –Programme de Technologies alternatives)
«Assistance et services à des projets d’agriculture alternative » joue le rôle de prestataire de services au sein d’une importante ONG brésilienne –PTA, qui fédère tout un réseau d’o.n.g locales.
AS-PTA opère auprès des petites exploitations d’agriculture familiale. Sa mission principale est de lutter contre la faim et la pauvreté en mettant en œuvre des actions de développement durable et de formation.
Dans la région sèche du Nordeste, AS-PTA apporte notamment son savoir-faire technique dans le domaine de l’eau : captage et conservation de la ressource, techniques de petite irrigation.
Depuis trente ans, AS-PTA a développé deux programmes de construction de citernes destinées à récupérer les eaux de pluie. Le premier –« un million de citernes »- fait l’objet d’une évaluation sous forme de vidéo brève (2’11) : https://ccfd-terresolidaire.org/projets/ameriques/bresil/un-million-de-citernes-6569
Le second programme (commencé en 2009), nommé « une terre, deux eaux » fait l’objet d’un article récent signé Jean Claude Gerez :
« Brésil : agroécologie prospère en milieu aride » (juillet2021)
https://ccfd-terresolidaire.org/nos-publications/edm/2021/317-juin-2021/bresil-agroecologie-7043
L’installation de nouveaux dispositifs a été l’occasion de sensibiliser et former les familles à des pratiques agricoles plus respectueuses de la nature et des ressources. Pour diffuser ces idées, Assistance et Services s’et inspirée d’une stratégie de contacts et d’adoption dite « paysan à paysan.
Ce qui frappe, au-delà de l’amélioration des conditions de vie économique des familles paysannes c’est la dimension collective de la démarche. Le développement du territoire est pensé et mis en œuvre par les acteurs locaux, en particulier les femmes à la fois comme agents et bénéficiaires de le transformation.
photographie J.C Gerez/ccfd-ts : « citerne construite dans le cadre du programme
« Terre et eau » soutenu par AS-PTA »
Le CCFD -Terre Solidaire n'a jamais été enthousiasmé par les grands programmes-barrages ou aménagements hydrauliques de grande ampleur- qui ne sont pas toujours des réussites ou des réalisations adaptées. En Afrique, les périmètres irrigués lancés à grand frais dans les années 1970 n’ont pas donné les résultats escomptés, ou bien ont dû se réadapter (l’expérience de l’Office du Niger au Mali est assez éclairante de ce point de vue). A vrai dire, les grands barrages servent avant tout à produire de l’électricité; ils sont parfois très sous-employés (le barrage d’Inga près de Kinshasa), et les usines prévues n’ont pas toujours été eu rendez-vous.
Le temps des grands barrages associés à des projets de développement industriel et agricole est sans doute un peu passé, mais il n’est pas tout à fait clos. Les projets récents ou en cours ne brillent pas tous par leur transparence ou le souci d’informer les populations locales. Le projet de complexe hydroélectrique de Xalalà au Guatemala est conduit sans associer les 10 000 personnes qui pourraient être concernées par sa mise en place ; l’absence d’informations empêche d’évaluer les impacts réels, humains et écologiques.
Tous les projets posent la question de savoir à qui profitera le programme et suscitent souvent des oppositions. Les partisans du projet de déviation partielle du fleuve San Francisco dans le Nordeste brésilien avancent que le détournement de 2% des eaux vers deux canaux principaux, puis tout un réseau secondaire, permettrait de fournir de l’eau potable à plus de 2 millions de foyers ruraux. Pour les opposants, ce chantier permettrait surtout à l’agriculture industrielle de se développer plus encore en exploitant les bonnes terres pour des cultures d’exportation, aux dépens des communautés locales.
Sur la question de l’eau potable voir dossier suivant:
Défendre l’accès à l’eau pour tous (2) : l’eau potable
Note : les données chiffrées citées en début d'article sont des données ONU/FAO ; repris dans : « Mobilisation » n°80 (journal des donateurs CCFD-TerreSolidaire) janvier 2020