L'Eglise face au système économique et financier : les "considérations pour un discernement éthique"...

Résumé du texte (2018) publié par la Congrégation de la foi et le dicastère du développement intégral

 

"Oeconomicae et pecuniariae quaestiones"...

 

"Considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel" (2018)

 

Donné à Rome  le 6 janvier 2018 par la  Congrégation pour la doctrine de la foi et le  Dicastère pour le service du développement humain intégral ;  publié  le jeudi 17 mai 2018.

Version intégrale accessible sur www.vatican.va

 

 

RESUME

 

 

I. Introduction :

 

 Le texte  précise d'abord sa perspective et ses intentions.

 

                                      "Allier savoir technique et sagesse humaine"

 

Les problèmes économiques et financiers retiennent plus que jamais l'attention "en raison de l'influence croissante des marchés sur le bien -être matériel d'une bonne partie de l'humanité" (§1). Les  mécanismes économiques ne sont pas en mesure, à eux-seuls, de garantir la qualité humaine du bien-être en question... Cela « requiert un fondement éthique clair »,  d'ailleurs "réclamé par ceux qui travaillent dans le système économique et financier".

 

Eclairer la raison, inviter au discernement avisé, cela fait partie "des tâches principales de l'Eglise." (§3). Et cela vaut dans le domaine économique comme dans "toutes les sphères de l'action humaine" : "aucun espace  dans lequel agit l'homme  (...) ne peut rester imperméable à une éthique fondée sur la liberté, la vérité, la justice et la solidarité". (§4).

Tout activité humaine est en effet  "appelée à produire des fruits  en disposant équitablement des dons mis originairement par Dieu à la disposition de tous", et aussi conviée "à développer les semences de bien inscrites dans toute création".

 

                                                            Les enjeux

 

L'indéniable croissance du  bien -être économique mondial depuis 70 ans, s'est accommodée d'inégalités accrues au sein des différents pays comme entre les nations (§5). La pauvreté et la faim ne sont pas encore vaincues.

La récente crise financière aurait pu être l'occasion d'une réflexion économique nouvelle et d'une régulation financière plus sérieuse. Cela n'a pas vraiment été le cas. "Au contraire un égoïsme aveugle semble parfois prévaloir, limité au court terme", faisant fi du bien commun, excluant tout partage.

 

Ce qui est donc en jeu,  "c'est le véritable bien-être de la plupart des hommes et des femmes de notre planète, qui risquent d'être mis de plus en plus en marge (...) tandis que certaines minorités exploitent  et se réservent les immenses ressources et richesses dans l'indifférence  à la condition du plus grand nombre " (§6).

 

 

C'est d'abord la tâche des « opérateurs compétents et responsables" que "d'élaborer de nouvelles formes  d'économie et de finance dont les pratiques et les règles visent le progrès du bien commun et le respect de la dignité humaine". Du moins l'Eglise  peut-elle apporter sa pierre à l'édifice en entreprenant une nécessaire réflexion éthique, et en appelant au discernement.

 

 

II.  "Considérations élémentaires de base"     

 

Des principes connus : l'enseignement social de l'Eglise

 

Toute réalité ou activité humaine "vécue dans le respect de la dignité humaine et orientée vers le bien commun est une chose positive" (§8). Cela "vaut pour toute institution humaine",  donc pour l'économie... Ainsi, les moyens dont se servent les marchés "sont tous moralement admissibles" à partir du moment "où ils ne portent pas atteintes à la dignité des personnes et ne font pas fi du bien commun" (§13).

 

Toutefois, "pour fonctionner correctement",  l'économie (comme les autres sphères de l'activité humaine) a besoin d'une orientation fondamentale : elle "a besoin de l'éthique", et même d'une "éthique amie de la personne" fondée sur une "juste vison de l'homme" (§9) et de son "caractère relationnel".

 

Dans cet esprit, les stratégies économiques  doivent viser surtout (et avant même la croissance des bénéfices) "la qualité globale de la vie ainsi que le bien -être, qui, pour être tel, doit toujours être intégral, c'est-à-dire celui de tout l'homme et de tous les hommes"  (§10).

 

Du coup, le progrès économique ne se mesure pas seulement avec des critères quantitatifs  comme la croissance des échanges ou du PIB : on  "doit également prendre en compte la qualité de la vie qu'il produit et l'extension sociale du bien -être qu'il diffuse" (§11). L'évaluation du bien-être  doit donc intégrer  des paramètres "tels que la sécurité, la santé, la croissance du "capital humain", la qualité de la vie sociale et du travail."

                       

Les dérives de la  finance au centre du propos

 

La finance  n'est pas a priori diabolisée.  Le crédit est présenté comme "une fonction sociale irremplaçable". La financiarisation du monde des affaires, en facilitant aux entreprises l'accès aux capitaux, "est en soi quelque chose de positif" (§15).  L'argent lui-même "est en soi un bon outil, comme c'est le cas de beaucoup de biens dont dispose l'homme". Mais le système financier actuel, puissant et omniprésent, abrite  aussi des  égoïsmes et des abus   qui lui donnent "une puissance de nuisance sans égal pour la communauté" !

 

Le système se dévoie quand  les transactions spéculatives attirent les capitaux en trop grand nombre, "les soustrayant ainsi aux circuits vertueux de l'économie réelle", quand "le revenu issu du capital porte  atteinte au revenu issu du travail", quand le crédit  est "exposé à des risques excessifs" ou perd de vue sa fonction sociale (§15-16).

 

"Ce qui est moralement inacceptable, ce n'est pas le simple fait de faire un gain, mais celui d'utiliser à son avantage une inégalité pour générer des profits importants au détriment des autres; c'est de faire fortune en abusant de sa position dominante au détriment d'autrui ou de s'enrichir en nuisant au bien-être collectif… " (§17). Ainsi des pratiques spéculatives  de fonds d'investissement  qui provoquent une baisse artificielle du prix des titres de dette publique sans se soucier des conséquences sur l'économie et les projets d'aménagement des pays visés.

 

La spéculation "risque aujourd'hui de supplanter toutes les autres finalités majeures qui sous-tendent la liberté humaine". Elle fermerait ainsi les horizons de notre société en portant atteinte "au  patrimoine de valeurs qui fonde la société civile, lieu de coexistence pacifique, de rencontre, de solidarité, de réciprocité et de responsabilité en vue du bien commun".(§17) Que serait un monde où des mots comme "efficacité, "concurrence", "leadership", "réussite" occuperaient tout l'espace de notre culture civique?

 

                                    

III. "Des orientations concrètes et spécifiques"

 

Le texte propose un certain nombre d'orientations précises afin de mettre l'éthique en pratique[1]. 

 

Une régulation supranationale des marchés :

 

Livrés à eux-mêmes, les marchés, financiers et autres, ne visent pas le bien commun. Ils ne sont pas en mesure de se réguler par eux-mêmes. (§13): Les marchés ne sont  capables ni de produire les conditions qui leur permettent de se développer dans les règles (cohésion sociale, équité, confiance, sécurité, lois...), ni de corriger leurs effets négatifs (inégalités, dégradation de l'environnement, insécurité sociale, fraudes ...).

 

Il est souhaitable que les pouvoirs politiques et économico-financiers, distincts et autonomes, recherchent ensemble la réalisation d'un bien destiné au plus grand nombre  (§12 - 21). La mise en place d'une régulation supranationale des marchés financiers en est l'une des facettes: "une coordination stable, claire et efficace entre les différentes autorités nationales de régulation, avec la possibilité, et parfois la nécessité de partager en temps opportun des décisions contraignantes."(§21)

                       

Une gestion  financière assainie, plus transparente:

 

Pour éviter les crises, il serait opportun de séparer nettement au sein des banques, les activités  de gestion du crédit et d'épargne ordinaires, de l'activité de "pur business"  (§22). Les clients devraient d'ailleurs être  en mesure de voir si leur propre capital a été utilisé  ou non à des fins spéculatives. Les banques devraient en outre  se doter de comités d'éthique.

Certains instruments financiers opaques et instables sont "de moins en moins acceptables d'un point de vue éthique" (§26) : certaines titrisations (subprimes) et des "produits dérivés" (credit default swaps), plus largement les produits "auxquels ne peuvent être rattachés aucune valeur tangible" ou qui alimentent des bulles spéculatives. La crise financière de 2007-2008 a révélé leur dangerosité.

 

 

                                               La lutte contre l'évasion fiscale :

 

"Plus de la moitié du commerce mondial est effectué par de grandes structures qui réduisent leur charge fiscale en transférant les revenus d'un siège à l'autre, selon leur convenance: ils procèdent au transfert des profits dans les paradis fiscaux, tandis que les coûts  sont envoyés dans les pays ayant une fiscalité élevée". En outre, on ne peut taire que les " espaces off-shore sont devenus plus d'une fois des lieux habituels de blanchissement de l'argent"sale", c'est-à-dire fruit de produits illicites…"(§30).

Au bout du compte, " le contournement fiscal de la part des principaux acteurs du marché, notamment des grands intermédiaires financiers, représente une ponction injuste" (§31) qui soustrait des ressources importantes à l'économie réelle et prive les pays en développement d'une partie de leurs revenus.

                       

Réintroduire  l'éthique au cœur de l'entreprise:

 

Le texte rappelle l'attachement de l'Eglise à l'idée de responsabilité sociale de l'entreprise.

L'entreprise représente "un véritable corps social intermédiaire avec sa culture propre et ses pratiques" qui règlent son organisation interne et affectent aussi  « tout le tissu social ». Là où cette culture se résume au culte du profit et au seul service des actionnaires (au détriment des autres acteurs de l'entreprise) prévaut aussi l'ignorance de l'éthique et des exigences du bien commun.

Il est souhaitable d'agir à la racine -au moment de la formation  des futurs dirigeants, dans les grandes écoles- en prévoyant "de façon non marginale ou accessoire, mais bien fondamentale", des formations qui "amènent à comprendre l'économie et la finance à la lumière d'une vision complète de l'homme"  et  qui enracinent une culture entrepreneuriale  "qui tienne compte de tous les acteurs" (§23).

 

                             Un regard responsable sur la consommation et l'épargne :

 

Tout consommateur peut "voter avec son portefeuille". La pratique des achats est une " forme de choix que nous opérons", qu'on essaiera  d'orienter vers "des biens résultant d'un processus moralement honnête".

Même considération pour la "gestion des épargnes personnelles, en les orientant par exemple vers des entreprises qui fonctionnent selon des critères clairs, inspirés d'une éthique respectueuse de tout l'homme et de tous les hommes" (§33).

 

                                                           Conclusion :

 

Face à la situation actuelle, nous pourrions être tentés de penser que nous n'y pouvons pas grand 'chose avec nos pauvres forces, et "de nous résigner au cynisme".

En fait, "chacun de nous peut faire beaucoup" (§ 34), "surtout s'il ne reste pas seul". De nombreuses associations de la société civile représentent "une réserve de conscience et de responsabilité civile dont on ne peut se passer". Nous sommes tous "appelés à veiller comme des sentinelles de la vie saine" et à "orienter notre action vers la recherche du bien commun, en la fondant sur des principes fermes de solidarité et de subsidiarité".

 

Chaque geste, si insignifiant ou fragile qu'il paraisse, s'il est orienté vers le bien, "s'appuie sur Celui qui est le Maître de l'Histoire"...

 

Guy Jovenet, aumônier diocésain

 

Note :

[1] Orientations en partie familières aux sympathisants du CCFD-Terre Solidaire, notamment depuis la réflexion  sur le partage des  richesses et le financement du développement, dans le cadre de la grande relecture sur "Le sens du développement" (2008-2010). On en retrouvera trace sur ce site diocésain : CCFD / rubrique : Thématiques  / sous-rubrique :Développement-mondialisation/ CR Financiarisation ,"Notre obole dans l'économie mondialisée".