Hommage à l'abbé Pierre Queste

Homélie de l’abbé Deleflie lors des funérailles

Homélie en « souvenirs » de l’abbé Pierre Queste, prononcée  par René Deleflie, le 4 août 2017, pour ses funérailles. 

 

"Les deux lectures choisies expriment l’espérance humaine : le prophète Isaïe annonce un festin à ceux qui ont faim, la paix à ceux qui font la guerre, la dignité enfin à ceux que la vie a humiliés.

La deuxième lecture, prise dans l’Evangile de Marc, met en scène le patron de notre ami Pierre, Pierre. Ce dernier voit que Jésus n’a pas l’air pressé de faire son Royaume. La tentation de désespérer guette les disciples : c’est  le début de la tentation. On a tout quitté pour te suivre, on t’a fait confiance, mais qu’y gagnerons-nous ? On  a quand même laissé des choses importantes : femme, parents, famille, une famille, une terre.

 

A la fin de la vie d’un prêtre, ce sont parfois des questions de ce genre qui nous habitent : Qu’est-ce qu’il a gagné à faire tout ça, il finit seul,  sans famille proche, un métier de mendiant comme disait l’un de mes oncles ! Il n’a pas trop d’argent pour vivre, il meurt dans une chambre d’hôpital. Il se demande : comment cela finira-t-il ?

Je mentirais si je vous disais que nous n’avons jamais eu la petite morsure de jalousie en voyant parfois un ménage heureux, des enfants qui sourient, des parents heureux, entourés… Il est probable que Pierre fut touché l’une ou l’autre fois par ces pensées. Pierre, permets moi de rappeler un peu du passé.

 

 La pieuse générosité des débuts.  Pierre, je l’ai vu arriver la même année que moi au Grand séminaire. Nous étions voisins de chambre. Pierre était sérieux, écrivait de sa fine écriture des pages et des pages de cours ; il bossait,  intervenait peu. Il avait souvent avec lui son ami de Saint-Vaast, Georges Dubuisson. Ensemble, ils s’habituaient peu à peu aux bruits, au vocabulaire  et aux jeux du séminaire, aux études aussi. Mais ce n’était pas leur tasse de thé ! Ils étaient pieux cependant, attentifs et discrets. Il avait institué une sorte de solidarité pour que nous nous aidions les uns et les autres. J’étais avec Pierre.

Puis le Service militaire nous a séparés, Je les revis plus tard, déjà au bord de l’ordination. Comme tout le monde, ils parlaient d’action catholique, d’équipes, de révision de vie. C’était les trente glorieuses pour l’Eglise aussi. Ils parlaient en même temps de curés autoritaires, de vicaires révoltés. Il grondait déjà un petit vent révolutionnaire.  Des échos nous revenaient de leur aventure algérienne, mais chez eux, comme auprès des autres civils, par la suite, de cette guerre, nous n’avons pas appris grand-chose.

 

Formation intellectuelle, le début de la formation pastorale.

    Ils ne furent pas ordonnés à la cathédrale d’Arras avec leurs copains (La classe pourtant comptait beaucoup pour eux). Le supérieur de Saint-Vaast, à Béthune, voulait que les séminaristes, formés avant le Bac à Béthune, soient ordonnés à Béthune. On lui permit cette gloriole ; Pierre l’a toujours regretté.

 

Puis commença pour eux la grande aventure de la vie sacerdotale au milieu du monde à partir de 1959. Les deux copains furent séparés définitivement.

 

Des galops d’essai. Après quelques petits tours dans l’Audomarois et Lumbres, Pierre s’est retrouvé au travail dans le Sud Artois, chez nous. C’est là qu’il y demeura le plus longtemps.

Vingt-quatre ans en suivant, faisant alterner le souci des paroisses, les activités, travaillant en lien avec les jeunes du Bapalmois et de Bertincourt. Le MRJC, le CMR le faisaient rencontrer et pratiquer les jeunes et moins jeunes des secteurs. Pierre était jeune, fringant et élégant, soucieux de sa mise, on ne peut pas lui retirer. Il bougeait beaucoup, de village en village, de soirée en soirée.

En s’essuyant les pieds sur le paillasson d’Haplincourt, il s’installa dans les locaux de Bertincourt, que Lucien avait laissés pour rapprocher son lieu de naissance. Mademoiselle Louis ne l’avait pas charmé. !

 

 Ce fut alors pour lui, je crois, l’âge d’or des prêtres : Gérard Cottigny, Lucien Dupuis, Auguste Joly, Pierre, animaient les paroisses, les villages, les jeunes, organisaient des ballades en vélo, en autobus, campaient comme ils pouvaient. Les règlements concernant la sécurité n’avaient pas atteint leur niveau d’aujourd’hui. Aujourd’hui, on ne pourrait rien faire. Même l’abbé Mordelet à Metz-en-couture, emmenait des enfants à Vaulx-les-Auxi et les faisait coucher dans une grange. Et c’était bien !

En 1988, Pierre fut envoyé à Fruges. Il y fit de son mieux pendant 6 ans. Puis il revint dans le Sud Artois, dans la paroisse de Croisilles avec résidence à Wancourt. C’est là que la première atteinte de la maladie le malmena.

Il avait exprimé la nostalgie de ses premières années. On le fit revenir sur Bertincourt où étaient passés Yves Delmotte et Joseph Veret.

 

 Le prêtre qui nous revint en 97 ( cela fait 18 ans) n’avait plus la forme d’autrefois. Il savait encore froncer les sourcils à une fausse note, grogner sur un programme de chant, faire la tête. Mais il allait surtout voir les malades qui aimaient ses passages réguliers. Un service très important et très évangélique !  Puis les visites s’espacèrent, la voiture toujours impeccable sortit moins, Pierre sentait la vieillesse s’installer.

Il eut la chance de trouver Mme Thérèse Solem pour l’accompagner I0 ans, chez lui, puis chez elle. Il avait un petit chez-soi qu’il appréciait. Il y avait retrouvé une famille.C’est de là qu’il est parti il y a très peu de temps pour l’hôpital qui ne le laissa pas revenir.

 

Au revoir, Pierre, tu as bien vécu au milieu des hommes de ton temps, tu t’es comporté en Pasteur, tu as suivi longtemps tes paroissiens, ceux qui s’étaient confiés à toi, les enfants du caté, que ton froncement de sourcil effrayait un moment, tes confrères ( comme tu disais) qui t’accueillaient volontiers, tes expressions de joie, tes paroles simples, tes scrupules de liturgie, ton souci des jeunes et ta mémoire des prénoms…ta foi simple et sans problèmes majeurs, une foi que tu dois à ta famille, et que tu as su faire passer par ton amitié.

Ta fin fut difficile, mais courte. La conscience ne t’a quitté que par moments. Le Seigneur t’a fait cette grâce. Tu vas retrouver tes ancêtres croyants, ta sœur religieuse, tes amis prêtres, les paroissiens que tu as aidés, tes nombreux amis. Le croirais-tu ? Tous ceux que tu as baptisés, mariés, aidés gardent souvenir de toi.  Tu as battu un record ; tu as passé 42 ans dans le secteur Sud  : la moitié de ta vie.!  Voilà les biens que Jésus promettait à Pierre… Et puis il y a ce que disait un jeune prêtre des petites soeurs des pauvres : « l’homme dont la maladie s’appelle Jésus, n’en guérit pas ».On l’aime, c’est tout ».

Merci de tout ce que tu as fait pour nous. Pierre, veille encore sur nous si tu veux.  Au revoir ! "

 

René Deleflie