Méditer la paix avec les textes liturgiques du carême 2018
la paix éclairée par les textes du Premier Testament entendus le dimanche :Noé (Gn9), Abraham (Gn22), Moïse( Ex20)...
Les premières lectures de ces dimanches de carême peuvent être relues comme autant de méditations sur la paix qui est "déjà donnée par Dieu : elle nous précède et nous avons à l'accueillir dans nos vies, en renonçant à la violence et au mal"...
(cit. : Vincent Blin :"Ensemble manifestons la paix" Eglise d'Arras n°3-2 mars 2018 , page 6)
L'arche de Noé
"Image de Dieu ", c'est un don ; la "ressemblance" c'est un projet...
Une tradition médiévale interprétait le périple de Noé comme un voyage intérieur. Noé entre en lui -même : l'Arche c'est son intériorité. Et ce vaisseau peuplé d’animaux purs et impurs, de bêtes domestiques et sauvages redit qu'en tout être humain coexistent des vertus et des passions, des aspirations au bien et des parts non apprivoisées. Très tôt chacun est confronté à la violence de la vie et à celle des autres ; et découvre aussi la sienne...Il faut bien le reconnaître , et voguer avec!
Mais au terme de ce voyage intérieur de 40 jours, Noé est prêt à entendre ce que Dieu cherche à lui dire : j’établis mon alliance avec "tout ce qui est sorti de l’arche". Autrement dit : ‘je vous prends comme vous êtes ; je ne rejette rien de ce qui est humain, l’important c’est ce que vous en ferez'. Dieu nous regarde tel que nous sommes aujourd'hui, parvient à y reconnaître son image , et nous croit capables d’être à sa ressemblance...
Parce qu'Il a gardé en mémoire un seul humain encore capable de justice et d'intégrité, Dieu n'a pas totalement anéantit sa création. Après le déluge son regard sur les hommes change : ce sont des rejetons portés à faire de travers - "les desseins du cœur de l'homme sont mauvais dès son enfance "(Gn, 8,21) mais qu'Il accepte tels qu'ils sont. Revenu de sa colère, il renonce à la violence : "Je ne maudirai plus la terre à cause de l'humain, et plus jamais ne frapperai tout vivant comme je l'ai fait" (Gn 8,21).
Alors si Dieu lui-même s'est laissé aller à détruire par un déluge, Il peut comprendre les humains, leurs colères, leurs tentations brutales; et s'Il est parvenu à endiguer sa propre violence, ils pourront prendre modèle sur lui...
"Noé et l'arc-en-ciel":
Après le déluge, quand la terre fut enfin sèche, quand tous furent sortis de l'arche et que Noé eût offert le premier holocauste , Dieu prit l'engagement de ne plus détruire la Terre :"Il n'y aura plus de Déluge pour ravager la terre" (Gn 9,8)...
Le monde recréé n'est peut être plus "très bon" (comme en Gn,1), mais il est tout à fait vivable, et la Terre est confiée aux hommes pour qu'elle les fasse vivre tous -"Tout ce qui se meut et possède la vie vous servira de nourriture"...(Gn 9,3).
Dieu se démarque donc des puissances hostiles. A l'encontre de représentations bien enracinées : les catastrophes naturelles ne sont pas punitions divines, la violence et la guerre ne sont pas des fatalités qui tombent d'en haut, et moins encore des prescriptions divines . Il faut chercher ailleurs : dans la violence des humains entre eux, dans la violence des hommes contre la nature, et celle qu'elle exerce en retour quand on lui manque de respect.
Ce Dieu capable de contenir sa propre violence n'en attend pas moins de ses créatures : "A chacun je demanderai compte de la vie de son frère" (...)"qui verse le sang de l'homme, par l'homme verra son sang versé; car à l'image de Dieu, Dieu a fait l'homme" (9,5-6) . Chacun est comptable de la vie et de l'âme des autres.
Pour que cet avenir soit préservé , Dieu crée pour lui-même un signe: "Voici le signe de l'alliance que j'établis entre moi et vous et avec tous les êtres vivants qui sont autour de vous, pour toutes les générations à venir : je mets mon arc en ciel au milieu des nuages pour qu'il soit le signe de l'alliance entre moi et la terre"...(Gn9,12-14).
Dieu dépose les armes; l'arc de guerre devient signe de vie . Signe cosmique, inscrit dans la profondeur du ciel et accroché à la terre, concernée toute entière. Ce n'est pas seulement avec Noé que Dieu fait alliance, mais avec l'humanité et tous les êtres vivants. Le Pape François en tire toutes les harmoniques dans Laudato Si. La paix se joue là aussi , dans une nouvelle façon d'habiter la "maison commune" les uns avec les autres.
"Le sacrifice d'Isaac"
"sacrifier le sacrifice"...
Dans la "parabole du vieil homme et du jeune", composée voici tout juste cent ans, Wilfred Owen - le plus connu des "poètes de guerre" anglais *- imagine une Parole impuissante à arrêter le bras meurtrier, qui passe outre:
"Ainsi donc Abram se leva, fendit le bois et partit
Prenant avec lui avec lui le feu et un couteau.
Et quand ils se retrouvèrent ensemble, tous les deux,
Isaac le premier-né parla et dit: "Mon Père,
Voyez ces préparatifs , fer et feu,
mais où est l'agneau pour cet holocauste?"
Alors Abram attacha le jeune homme avec des sangles et des ceinturons,
Construisit là tranchées et parapets
Et leva le couteau pour tuer son fils.
Quand oyez! Un ange le héla du haut du ciel,
Et dit : "Ne porte pas la main sur ce garçon,
Ton fils, ne lui fais aucun mal.
Regarde! Pris par les cornes dans un fourré,
Ce bélier. A sa place, sacrifie donc le Bélier d'orgueil!"
Mais le vieil homme ne l'entendit pas ainsi, et tua son fils
Et la moitié des enfants d'Europe, un par un".
Le sous-lieutenant Owen met en scène Abram et non Abraham, suggérant à quel point la guerre interminable dans laquelle il est engagé constitue un écroulement des valeurs. Le changement de nom du patriarche par ajout d'une syllabe ( de Abram à Abraham) en faisait le "père d'une multitude de nations" (Gn,17,5); "Sarah te donnera un fils tu l'appelleras Isaac et j'établirai mon alliance avec lui comme une alliance perpétuelle" ... Le retour à l'ancien nom consacre l'ampleur du désastre ; si toute la jeunesse d'Europe est trucidée, si les pères sacrifient les fils sur les autels d'un insatiable Moloch, l'alliance est rompue sans rémission.
Le poète pointait ainsi un doigt accusateur contre tous les responsables politiques et économiques plus attachés à leurs intérêts et à la poursuite de la guerre qu'aux jeunes vies qu'ils engageaient à combattre. Propos très actuel...
Le "sacrifice d'Isaac" est souvent présenté comme un renoncement divin aux sacrifices humains. En l'invitant à dépasser les formes d'une paternité archaïque, Dieu montre surtout à Abraham (et à sa descendance) ce qui doit être sacrifié : "la toute puissance d'un homme sur son semblable".
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* Wilfred Owen né à Oswestry, Shropshire le 18 mars 1893 ; tué au combat le 4 novembre 1918 à Ors (59) sur le canal de la Sambre
"Les dix commandements"
"justice et paix s'embrassent"'
"Je suis le Seigneur ton Dieu , qui t'ai fait sortir du Pays d'Egypte, de la maison d'esclavage"(Ex20,1). La première parole de Dieu est de révélation -et non de "commandement" : 'Je suis votre libérateur'... Ce qui invite à lire la suite non comme une réglementation mais comme la charte d'un peuple libre. Voilà, dit le Seigneur, dans quel esprit, avec quelles valeurs vous vivrez si vous voulez rester libres.
C'est en effet pour éviter à son peuple tout autre esclavage intérieur que sont prononcées les deux séries de paroles qui régissent le rapport à Dieu, et le rapport à l'autre. Le frère, dont on respectera la vie, et qu'on ne dépouillera pas : 'tu ne convoiteras rien de ce qui lui appartient...'
L'envie et la cupidité ne portent guère à la paix et à la sérénité, qui se vivent d'abord comme des valeurs intimes.
Dans ce monde, la conflictualité se nourrit de convoitises territoriales, économiques et financières autant que de motifs politiques et idéologiques. Depuis cent ans que de conflits internationaux ou nationaux dégagent une forte odeur de pétrole! L'accès à la terre, la concurrence pour l'eau , l'exploitation des ressources minérales sont des enjeux cruciaux en bien des endroits . "Ces soixante dernières années, plus de 40% des conflits civils étaient liés aux ressources naturelles": la guerre civile du Sud Soudan et les conflits interminables dans l'est du Congo -RDC le disent assez; et nous interrogent.
La paix s'enracine dans la justice sociale, le respect des droits humains, et la mise en oeuvre du droit international.
Rapport CCFD-TS : "Des ressources naturelles au cœur des conflits. Agir pour une législation européenne ambitieuse". octobre 2014. Il soulève notamment la question du devoir de vigilance sur les chaînes d'approvisionnement en ressources naturelles issues des zones de conflit.
"Moïse et le serpent de bronze"
"Ce qui délivre, c'est de faire face à ce qui provoqué la blessure"
Le Livre des Chroniques (première lecture) est né de la méditation des Juifs sur le passé de leur peuple: vers le IIIème siècle avant Jésus Christ, ils ont relu les événements à la lumière des Ecritures pour en discerner le sens et y déchiffrer le dessein de Dieu. Bien plus tard, Jean n'a pas procédé autrement lorsqu'il a médité sur son expérience et convoqué le curieux épisode du serpent d'airain pour évoquer le Golgotha. (Nb21;1-8 / évangile du 4ème dimanche).
La commémoration du Centenaire de la Paix pourrait se prévaloir de dispositions semblables, qui voit l'événement comme un itinéraire et entend se vivre comme anamnèse véritable :
"qu'avons nous appris des erreurs du passé? Et que faisons -nous aujourd'hui pour faire éclore la paix?"(V.Blin)
Le peuple libéré par Dieu , sourd aux mises en garde, s'est fait esclave de faux dieux et en a payé le prix (2Ch36,14-16): la terre dévastée et la déportation à Babylone. Métaphore d'une guerre mondiale où l'Europe s'est précipitée dans le malheur au terme d'une course où la surdité et l'aveuglement des responsables le disputent à l'ignorance et aux préjugés des peuples. Qui nous dit aussi que nos idoles actuelles- la course au profit n'étant qu'un visage parmi d'autres- et nos façons de traiter la planète n'augurent pas du meilleur. Refuser d'ouvrir les oreilles , les mains et l'esprit , revient souvent à créer son propre malheur.
La paix est comme un horizon qui toujours se dérobe. Lassitude et découragement guettent , comme chez les Hébreux traversant le désert. Confrontés à la répétition, à l'ennui et aux embûches, ils perdent le cap et la force intérieure; la volonté de marcher s' émousse, les reproches viennent aux lèvres, la violence couve. Moïse dresse alors devant eux le symbole ambivalent du serpent d'airain. Quiconque le regarde peut ainsi comprendre que ce signe du mal ne le séparera pas du Dieu de vie, et envisager avec espoir la route à parcourir encore.
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La mobilisation pour la paix qui anime les trois diocèses de la Province culminera dans un rassemblement international du 26 au 29 avril, qui se vit comme un itinéraire :
-D'abord « faire mémoire » - se réunir et se souvenir en des lieux consacrés (jeudi 26).
-Mais aussi « comprendre" , car le « devoir d’histoire » est le contrepoint essentiel du « devoir de mémoire » (vendredi 27, jour des colloques) .
-Et surtout « construire la paix » - passer de la réflexion à l’action aujourd'hui (samedi 28).
- Enfin "manifester" - faire savoir, célébrer et prendre des forces pour la suite (dimanche 29).
G. Jovenet, aumônier diocésain CCFD-TerreSolidaire
photographie : coquelicot ; boyau de la mort , Dixmude, juin 2015/ Geneviève Jovenet
Les images (vitraux) qui accompagnaient les textes ont été supprimées à la mi-avril