la Mondialisation :Conference Rene Valette Formation novembre 2011 à Arras

CR détaillé de la Conférence de René Valette (notes de G. Jovenet et JY Six) formation novembre 2011 à Arras I. la mondialisation fait majeur de notre temps II. Irréversible, mais pas acceptable telle quelle... III. des repères pour fonder un engag

 

Formation CCFD 2011 Formation CCFD 2011  Le CCFD a tenu sa journée annuelle de formation sur la compréhension  de la mondialisation au-delà des seules questions économiques et financières. L'intervenant était René Valette Président national du CCFD entre 1988 et 1993. Il a été vice-recteur de l’université catholique de Lyon. De la mondialisation, Benoit XVI , disait que la globalisation, autre mot pour mondialisation, a rapproché les hommes mais ne les a pas rendu frères. C‘est sans doute une raison pour s’indigner !

 

Mgr Jaeger Formation CCFD 2011 Formation CCFD 2011  
Mgr Jaeger Formation CCFD 2011
Mgr Jaeger Formation CCFD 2011
Monseigneur Jaeger a partagé quelques instants de son temps avec les participants: "Heureux d’être au milieu de vous. Cette journée est d’autant plus importante que nous entrons dans la démarche Diaconia 2013 qui nous invite à nous réinterroger sur la signification ecclésiale et humaine de la solidarité, qui se vit à beaucoup de dimensions, près de nous, loin de nous. Merci pour votre contribution habituelle à la vie et la mission habituelle du CCFD".


Conférence de René Valette 

 

René ValetteFormation CCFD 2011 Formation CCFD 2011  
René ValetteFormation CCFD 2011
René ValetteFormation CCFD 2011
René Valette est professeur émérite et vice recteur honoraire de l’Université catholique de Lyon ; ancien président du CCFD-Terre Solidaire, il a publié en 2011 « Le goût d’un monde solidaire. L’engagement d’un chrétien » (les éditions de l’atelier/ éditions ouvrières).

 

« Dans une chronique publiée par le journal « La Croix » (27 juillet 2011), l’économiste B. Perret présente deux expressions qui lui paraissent les plus représentatives de cette année 2011 : « indignez-vous ! » et « démondialisation ». La première fait écho au petit livre à succès de Stéphane Hessel ; la deuxième peut être reçue comme une autre manière de penser et de conduire une mondialisation qui nous boucule . Toutes deux nous posent à tout le moins de bonnes questions : dans le monde complexe d’aujourd’hui, avons –nous de bonnes raisons de nous indigner ? La mondialisation peut elle emprunter d’autres voies que celles qui sont les siennes depuis trente ans ? Peut-elle notamment unir les humains au lieu de déchirer le tissu qui les relie ?
Afin de répondre au mieux en un temps limité à la demande du comité diocésain, le propos s’organisera en trois parties …

 

I. La mondialisation, fait majeur de notre temps :

 

La mondialisation, phénomène complexe et multiforme, fait l’objet de nombreuses définitions. Elle peut toutefois se caractériser simplement par un double processus…

 

Une extension des échanges à toute la planète :

La multiplication des échanges concerne pratiquement tous les états de la planète à des degrés divers, à une dizaine d’exceptions près (des états « fermés » comme la Corée, ou qui échangent peu, par contrainte ou par choix comme Cuba , ou le Bouthan).
Au sein des 193 états membres de l’ONU, la quasi-totalité de la population est affectée par la mondialisation, qui touche tous les aspects de la vie quotidienne. Au cours d’une soirée sur la solidarité, Jean Boissonnat avait précisé que la « première mondialisation » du XVI ème siècle avait concerné tout au plus 5% de la population mondiale ; aujourd’hui, on peut soutenir que c’est le pourcentage des habitants de la planète qui ne sont pas touchés par la mondialisation contemporaine…L’impact n’est certes pas identique pour un trader londonien et pour un Pygmée de la forêt centrafricaine, mais à des degrés divers et de façon différente, l’un et l’autre sont concernés.

 

L’intensification des échanges de toute nature.

Les échanges industriels et commerciaux et l’amplification des mouvements de marchandises sont le trait le plus connu de la mondialisation ; ces flux dominants ne sont pas pour autant exclusifs.
D’importants flux de personnes se concrétisent par des migrations d’une grande diversité d’échelle, et de motifs : économiques certes , avec tous ceux qui vont chercher ailleurs des conditions de vie moins précaires, mais aussi politiques ; encore que parfois la frontière soit bien floue entre réfugiés politiques et réfugiés économiques ; et que dire des « réfugiés climatiques », dont le nombre est sans doute appelé à croître (la politologue Susan George estime qu’ils seront 150 millions dans les décennies à venir).
L’essor du tourisme international en est une autre facette : l’organisation mondiale du tourisme prévoit 1560 millions de franchissements de frontières en 2020. La sociologie des voyageurs aériens s’est modifiée aussi bien dans la migration temporaire de loisirs (part croissante des personnes âgées) que dans les déplacements professionnels (part croissante des cadres moyens, techniciens, ouvriers qualifiés, commerciaux, délégués par leurs entreprises pour rencontrer une filiale, un fournisseur, ou sonder un nouveau marché).

 

Si les échanges de capitaux et de services ont pris l’importance que l’on sait (environ 1500 milliards d’euros circulent chaque jour), il faut se garder d’oublier la multitude des flux d’information de tout genre qui parcourt la planète. Qu’ils accompagnent ou concrétisent les échanges économiques, ou bien qu’ils émanent des médias, ils se caractérisent désormais par l’instantanéité de la transmission et la rapidité de diffusion.


Place doit aussi être faite aux échanges de produits culturels (qui ne sont pas moins dissymétriques que les autres), et à la circulation des idées, des valeurs, des modes et de certaines représentations sociales (comme l’idée qu’on se fait de la beauté) ; elle se matérialise par la quasi universalisation des normes et des produits et une homogénéisation relative des consommations (par exemple : vestimentaire avec le « jean » ; ou dans le domaine alimentaire).Il faut encore mentionner les circuits d’échanges illégaux et les marchés parallèles : trafics d’êtres humains, d’armes, de stupéfiants se déploient à l’échelle du globe. On ajoutera enfin les transferts de virus, et de pollution.

 

Fruit conjugué du « rétrécissement de l’espace » (lié à l’évolution des moyens de communication) et du « décompartimentage » (des marchés notamment), la mondialisation contemporaine multiplie donc les interactions entre les lieux et les gens ; elle en accroît la portée et les effets (les conséquences d’un phénomène donné peuvent être ressenties très loin du lieu où il survient). Ces ruptures ne sont pas évidemment pas dépourvues d' effets sociaux et culturels…

 

II. La mondialisation est irréversible…mais elle n'est pas acceptable telle quelle
 

Quel jugement pertinent peut-on porter sur la mondialisation, en se référant aux principes éthiques de l’enseignement social de l’Eglise ?

 

Des effets positifs, réels ou potentiels :

Nul ne peut contester qu’elle a des effets positifs. Ainsi, dans le monde, la mondialisation a globalement contribué à faire reculer la grande pauvreté, à en juger par certaines données statistiques convergentes. Le nombre de pays très pauvres est passé de 55 à 25 entre 1990 et 2010 ; le nombre de personnes en situation de grande pauvreté (disposant d’un revenu inférieur à 1.25 $ par jour) a diminué de 500 millions d’individus : elles sont 1.5 milliards au lieu de 2 milliards.


Toutefois, les choses sont plus compliquées que ne le laisserait penser cette réduction numérique, comme l’indiquent notamment la persistance préoccupante de la malnutrition ou le creusement des inégalités entre les pays et au sein même des pays.

 

Parce que son contenu n’est pas prédéterminé, la mondialisation ouvre d’autres perspectives. Elle pourrait nous aider à passer de la rencontre de l’étranger vécue comme une confrontation, une menace ou une agression à une rencontre placée sous le signe du renouvellement des rapports humains. Elle peut en effet nous accoutumer à la différence, appréciée pour ce qu’elle est ; et même à la percevoir et à la vivre comme une diversité acceptée, source d’enrichissement. L’autre, en effet, nous enrichit de sa différence : il nous révèle une part d’humanité que nous ne connaissions pas (un visage de l’homme, et un visage de Dieu que nous n’avions pas); il élargit nos horizons, nous rend plus réceptifs à une vision de l’humanité. Dans le même mouvement, le vis-à-vis nous donne une conscience plus aiguë de ce que nous sommes, de nos enracinements, de nos appartenances et de nos limites.
 

 

Cela dit, la rencontre interculturelle et le rapprochement des sociétés civiles ne sont pas dépourvus d’embûches ou d’aspérités, qui, pour être surmontées, appellent la réunion de trois conditions favorables : une « mobilisation spirituelle » (qui en éclaire la signification et l’alimente en énergie), une volonté politique ou un projet mobilisateur (comme ce fut le cas par exemple lors de la réconciliation franco-allemande) et des conditions concrètes matérielles ou sociales propices.

 

la mondialisation, source d'inégalités

La qualité d’une société se reconnaît à l’attention qu’elle porte aux plus fragiles. Cela se vérifie à plusieurs échelles : de la famille jusqu’à la nation (cette communauté d’individus qui partagent un destin commun et acceptent les règles communes d’un vivre ensemble). A cet égard, on peut considérer que notre pays grandit en fraternité lorsqu’il instaure la couverture maladie universelle ; de même quand il se dote d’une loi faisant obligation à toutes les communes d’offrir 20% de logements sociaux, pour subvenir aux besoins et promouvoir la mixité sociale. La paix sociale s’accommode mal de la cohabitation séparée des ghettos et des résidences sélectives protégées, pas plus que la fraternité réelle ne tolère l’exclusion. L’idée que les plus fragiles soient « perdants » est contraire à l’idéal de fraternité universelle, qu’on le réfère au Christ ou à certain humanisme.


Aussi la mondialisation actuelle n’est-elle pas acceptable en l’état, dans la mesure où elle se fait au détriment des populations les plus vulnérables, dans notre pays et dans le monde. Les écarts se creusent entre les pays « gagnants » et ceux qui le sont moins ou pas du tout ; par exemple, l’américain moyen est aujourd’hui 60 fois plus riche que le tanzanien moyen , alors que c’était 40 fois en 1990. Sans doute y –a-t-il aujourd’hui des « hors monde », de ces pays qui n’intéressent personne s’ils n’ont pas de pétrole ou de matières premières stratégiques. Les inégalités s’affirment aussi au sein même des pays, entre les couches de population bénéficiaires et les « perdants ». Dans les « pays émergents » eux-mêmes, la population la plus vulnérable (essentiellement rurale) a vu ses conditions de vie se dégrader ; les écarts se creusent entre les régions comme entre les catégories sociales : en 2007, le revenu des 20% de Chinois les plus riches était 17 fois plus important que celui des 20% les plus pauvres ; en France, cet écart serait de 4,2.

 

l'absence d'espérance, source de déchirements

Les inégalités et les frustrations qu’elles engendrent écornent toujours « le vivre ensemble », au sein d’un pays comme entre les nations. Aussi la réduction des disparités serait-elle un gage de paix.


Les sentiments d’injustice, d’humiliation, de désespérance encouragent le repli sur soi et les réflexes identitaires ; ils créent un terreau propice aux discours et aux comportements extrêmes. Cela peut se vérifier à l’échelle internationale (parmi d’autres, l’expérience palestinienne le dit assez), mais aussi chez nous. Une partie au moins des incivilités et des actes de vandalisme constatés dans les quartiers périphériques de nos grandes villes, mais aussi en zone rurale, ne sont pas indépendants des effets négatifs de la mondialisation économique et de la concurrence généralisée sur l’emploi et les revenus. Le "vivre ensemble" suppose que chacun se considère comme membre à part entière de la société. Ceux qui se perçoivent comme sans avenir sont plus facilement tentés par les attitudes déviantes et moins enclins à respecter les règles de fonctionnement d’une société où ils peinent à trouver leur place.


Il en va de même à l'échelle internationale. Longtemps, le danger pour une nation était considéré comme venant d'un autre pays clairement identifié comme adversaire. Actuellement, les auteurs potentiels d'actions terroristes peuvent parfaitement être des ressortissants du pays-cible ou de pays considérés comme amis ou alliés, comme le montre l'exemple du 11 septembre 2001.

 

D’autres raisons encore incitent à rechercher une « autre mondialisation »…

La plus évidente est celle qui sous-tend les réflexions actuelles sur le « développement durable » : notre planète est-elle capable de supporter une croissance économique sans limite, et la terre pourra-t-elle accueillir dans de bonnes conditions les générations à venir ?


Si le paramètre démographique semble moins prégnant en raison du ralentissement de la croissance démographique mondiale, la question se pose avec une acuité accrue en raison de la croissance économique que connaissent des pays extrêmement peuplés comme la Chine ou l’Inde. L’amélioration relative du niveau de vie (pour une partie de la population) entraîne une consommation accrue, à commencer par celle des produits alimentaires ; l’achat de produits manufacturés en nombre croissant provoque un besoin considérable de matières premières et une consommation grandissante d’énergie, déjà stimulée par l’intensification des transport . Cela se paie d’une explosion des rejets et pollutions ; en outre, l’exploitation des ressources naturelles -trop souvent guidée par des considérations à courte vue et le seul profit- est source de dégâts sociaux et environnementaux. Il y a là aussi des enjeux humains de bien commun, de solidarité et de justice.
Le mode de vie des milieux privilégiés occidentaux, perçu comme un idéal –et présenté comme tel- peut-il vraiment être reçu et se généraliser partout ? Difficile de le soutenir, sauf à disposer de plusieurs planètes! N’est-ce pas là offrir comme modèle une norme de consommation qui n’est ou ne sera sans doute pas accessible à tous ? Cette vision matérialiste de l’existence et de la réussite, fondée sur la consommation, est-elle la seule qui soit envisageable ?

 

En somme, la mondialisation en son cours présent et avenir, a des aspects positifs ; mais elle paraît aussi grosse de désordres sociaux et d’impasses écologiques, anthropologiques et spirituelles. Dans son encyclique « l’Amour dans la Vérité », Benoît XVI exprime cette réalité en écrivant : « la société toujours plus globalisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères ». L’éthique autant que le réalisme politique invitent à en infléchir le sens.

 

III. Des repères, pour fonder un engagement :

 

Où puiserons- nous les repères susceptibles de fonder, d’orienter et de nourrir notre engagement pour la solidarité, complémentaire à la justice, et pour la promotion d'une mondialisation plus soucieuse d'équité ?


Retour aux sources

Les fondements spirituels de l’engagement chrétien pour la justice et la solidarité se lisent dès les premières pages de la Bible : aussi peut –on entrer dans le propos à partir de deux citations du livre de la Genèse.
« Dieu dit : « faisons l’homme à notre image, comme à notre ressemblance » (…) Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il le créa » (Gn, 1,26-27)
L’homme est une icône de Dieu, ce qui fait dire à tout chrétien que, puisqu’il y a du divin en lui, l’homme est doté d’une extrême dignité. Si nous méditions chaque matin ce passage de l’Ecriture, notre regard sur l’autre en serait quotidiennement purifié par cette certitude que "l’autre" est porteur de divin ; chaque rencontre, chaque visage nous dirait quelque chose de Dieu.
Il est bien sûr d’autres passages dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament qui soulignent la grandeur et la dignité humaines ; le plus signifiant réside dans le fait que Dieu s’est fait homme en Jésus Christ. Le Christ a conféré ainsi à la condition humaine une dignité incomparable ; et nul ne peut mépriser le monde ou s’en désintéresser puisque cette terre a été créée et habitée par Dieu.
Affirmer la dignité de tout être humain, cela engage : pour le chrétien, cela suppose de continuer le travail de création entamé par Dieu …

« Qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre » (Gn 1, 26) … « Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28)


Dieu crée l’homme créateur ; il l’associe à la création et lui confie la tâche d’achever ce qu’Il a commencé. Redoutable imprudence ? Folle confiance ? En tout cas, amour infini pour l’homme.
Ce passage de la Genèse est parfois reçu comme « irresponsable » , par exemple par tel militant écologique alarmé par la croissance démographique ou les « dégâts du progrès »…La réponse démographique n’est pas simple ; mais c’est un contresens de lire la Genèse sans tenir compte du contexte dans lequel elle fut rédigée (une population mondiale de 150 millions d’habitants, une forte mortalité tout juste compensée par une fécondité forte ; des techniques d’exploitation et de mise en valeur peu efficaces exigeant beaucoup de bras).Si l’on se réfère au contexte actuel, la citation peut être lue ainsi : « compte tenu de l’accroissement récent et à venir de la population mondiale, ayez une position responsable »...En outre, la Bible révèle un visage de Dieu père (père/mère) qui veut le bien de ses enfants et de leur descendance ; la citation peut donc se lire aussi : « soumettez la terre pour qu’elle soit accueillante aux vivants d’aujourd’hui et de demain », en sorte que chacun ait sa part des biens de la terre. Réaliser cette tâche, c’est œuvrer pour la « destination universelle des biens ».

 

Voilà donc quelques principes fondateurs : Création, dignité, et aussi alliance (puisque pour aménager et gérer la terre dans un sens fraternel nous ne sommes pas seuls: Dieu a fait alliance avec nous). Ils sont riches d’implications.


Ainsi, la reconnaissance de la dignité de chaque homme change notre relation aux plus petits d’entre eux. L’enseignement social de l’Eglise pose donc une « option préférentielle pour les pauvres ». L’expression est maladroite à certains égards : « option » ne renvoie pas à une possibilité éventuelle qu’on adopterait ou pas au gré de sa fantaisie ; cette « option » là n’est pas optionnelle, ni facultative . Peut être vaut-il mieux dire comme Mgr Decourtray « une orientation pratique pour les pauvres », enracinée dans une attention active aux situations vécues et aux mécanismes qui les engendrent. Autrement dit, une attention concrète aux plus fragiles, sensible à toutes les formes de pauvreté : à la pauvreté économique, il faut ajouter la maladie et la totale dépendance, la solitude, l’incapacité d’aimer, la désespérance …

un chemin balisé

D’autres passages de l’Evangile sont particulièrement remarquables dans leur manière d’indiquer la route à emprunter pour qui veut marcher à la suite du Christ. A nouveau, retenons–en deux, parmi d’autres.

« Or, Jean, dans sa prison avait entendu parler des œuvres du Christ. Il lui envoya de ses disciples pour lui dire : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? ». Jésus leur répondit : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont guéris et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres et heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute » (Luc, 7, 18-23)


Le signe de Dieu présent parmi les hommes, c’est bien que ceux qui souffrent de l’une des multiples formes de pauvreté trouvent des raisons d’espérer, que les exclus se voient réintégrés dans la communauté humaine et remis debout.

 

Le deuxième texte, c’est le Jugement Dernier selon Matthieu au chapitre 25 (34-41) : « Venez les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier , et vous êtes venus me voir » (…) En vérité je vous le dit, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »
Texte particulièrement fort. Notre sort ultime n’est pas lié d’abord à la piété, mais à des actes concrets : il est ici question de choses terre-à-terre. Dieu s’identifie à l’affamé, au malade, au prisonnier ; ou plutôt, plus que cela : Dieu est l’affamé, le malade, l’étranger.

 

se situer, pour être et pour agir

Celui qui pense et organise sa vie en référence au Dieu des chrétiens ne peut donc que vouloir pratiquer le choix préférentiel pour les pauvres. Cette préférence active est d’ailleurs indispensable pour que se réalise la « destination universelle des biens ». Pour traduire cette notion, le CCFD avait choisi dans les années 1970 la formule « la terre est à tous » : des esprits chagrins y ont vu un plaidoyer pour la collectivisation de toutes les terres ! Plus tard est apparue une expression plus pédagogique : « les fruits de la terre sont à tous ». On peut formuler aussi comme ceci : « il y a désordre inacceptable – et persistance de « structures de péché » dirait Jean Paul II- tant que sur terre un seul homme manque du nécessaire, matériel ou spirituel ».


Notre tâche n’est pas achevée tant qu’un seul humain est privé de ce minimum de biens. C’est une formidable utopie, à proposer aux hommes d’aujourd’hui ; vivre cette expérience donne du sel et du sens à une vie. Personne ne devrait se soustraire à cet engagement de fraternité, pour la justice, qui s’accommode de formes différentes selon les âges, l’état des forces, les enracinements sociaux, etc.


Toute propriété est frappée d'une "hypothèque sociale"

Travailler pour la destination universelle des biens est une tâche à laquelle nul ne devrait se soustraire. Cela pose inévitablement à chacun la question du statut de la propriété privée. Dans la lignée de Saint Thomas d’Aquin, l’enseignement social de l’Eglise est là-dessus très clair : la propriété privée est légitime, valable et nécessaire. Elle assure à chacun un indispensable espace d’autonomie personnelle et familiale conforme à la dignité de la personne ; elle stimule l’exercice de la responsabilité et ouvre des possibilités d’action.


Toutefois, selon les mêmes sources, la propriété privée n’est pas sacrée (ce qui est sacré, c’est l’homme). L’usage que l’on fait de ce qu’on possède n’est acceptable que s’il n’est pas un obstacle à la destination universelle des biens. Saint Thomas d’Aquin va jusqu’à dire que si le pauvre ne peut manger à sa faim il peut voler, rappelant ainsi que chacun doit pouvoir disposer du nécessaire pour vivre dignement. L’épisode déroutant de l’ouvrier de la onzième heure (Mt 20,1-16), qui, faute d’être embauché ne travaille qu’une heure mais reçoit le même salaire que ceux qui ont peiné toute la journée pourrait faire crier à l’injustice : on peut opposer que celui là a les mêmes besoins que les autres, et qu’ils doivent être satisfaits.


Le choix préférentiel pour les pauvres peut aussi gêner des personnes qui ne se considèrent pas comme pauvres. On peut les rassurer : il n’y a pas de discrimination de Jésus vis –à- vis des non-pauvres. Et qui peut se considérer comme riche ? Joseph Folliet aimait dire que le riche, c’est celui qui a de l’avoir, du savoir, du pouvoir et des relations ; au pauvre tout cela fait défaut. Le Christ lui-même n’était dépourvu ni d’un métier, ni de savoir, ni d’influence, ni de relations dans toutes les sphères de la société ! Mais cela ne l’enferma jamais, ne l’encombra jamais, ne l’empêcha jamais d’être proche des petits, des marginaux, des impurs.

"jamais on a eu autant besoin de porteurs d'espérance"

Face à ma propre richesse, trois attitudes sont possibles. La première, incompatible avec l’Evangile, considère que grâce à mes richesses je me tirerai toujours d’affaire : « le bateau coule mais il n’y a place que pour moi dans le canot de sauvetage ». A l’opposé, la deuxième cherche à vivre au plus près des plus modestes, quitte à tout quitter ou presque pour être authentiquement frère des plus petits ; c’est notamment l’option des congrégations religieuses.


Le troisième choix consiste à faire en sorte que jamais nos richesses (entendues au sens large) n’encombrent nos chemins, et qu’elles ne servent pas qu’à nous-mêmes : elles peuvent être porteuses d’espoir, de libération, de fraternité. Ainsi, disposer d’une épargne de précaution est légitime ; mais au-delà de cette épargne raisonnable, on peut soit rechercher une efficacité maximale de ses placements pour soi même, soit faire en sorte qu’ils aient une utilité sociale, sous la forme de placements- partages ou d’investissements solidaires. De même, accorder une place dans ses achats aux produits du commerce équitable est une manière de contribuer à l’épanouissement d’une authentique capacité d’autonomisation des paysanneries du Sud.
Les pistes d’engagement possibles sont de plusieurs ordres ; elles sont toutes animées par la conviction que tout geste qui crée une relation fraternelle contribue à changer le monde.


Notre époque est rude et notre monde bien rugueux ; pourtant notre vocation de croyant en la résurrection est bien de dire l’espérance - de vivre en « passeurs d’espérance »- car nous savons que notre Dieu est amour et vie en plénitude ; le terme de l’Histoire, ce n’est pas la haine, mais le Royaume, ce n’est pas la mort mais la vie. "

 

Ce compte rendu a été établi à partir des notes prises par Jean Yves Six et Guy Jovenet ; les intertitres ont été ajoutés ; les citations bibliques ont été reprises sous leur forme exacte, telles qu’elles figurent dans le livre de R. Valette.

 

 

Annexe : "Je crois" du pasteur Michel Wagner

 

En guise de préambule, comme pour donner la tonalité de son intervention, René Valette a cité le « je crois en Dieu » du pasteur Michel Wagner ; en voici le texte :

 

« Je crois en Dieu
Le Seigneur qui est, qui était et qui vient.
Je crois notre histoire habitée, soulevée, fécondée
Par le Seigneur vivant.
Dans sa Parole, heureuse, nouvelle, Il m’attend,
Dans les cris du pauvre et de l’affamé Il m’attend,
Dans les gestes du prisonnier et du rejeté,
Il m’attend…Il me parle, mystérieux visiteur,
Dont le souffle de vie me fouette le visage,
Avec mes frères je sais qu’Il habite notre
Aujourd’hui

 

Je crois avec tous les hommes d’hier
Qui défrichèrent sa trace dans l’histoire.
Peuple libéré de la servitude et tancé par les prophètes
Peuple chanteur de psaumes et sage de proverbes,
Avec les foules palestiniennes
Et les apôtres, témoins de sa voie humaine
J’entre dans ce grand cortège qui suit le nazaréen
Paul de Tarse, François d’Assise, Luther, Jean XXIII
Martin Luther King et tous les autres
Qui n’ont pas cru en vain

 

Je crois, dans le bruissement du monde,
Entendre les coups qu’Il frappe à ma porte
Discerner les pas silencieux de Celui qui vient.
C’est pourquoi au chevet des malades et des agonisants, je prie
Avec tous les opprimés et les torturés…je crie,
Avec tous les passionnés…je cherche et avec les lutteurs, je milite
Car Il vient ! Celui-là
Qui rompt toutes les résignations
Et suscite les responsabilités
Et dont le projet fait pâlir tous les programmes.
J’attends le Vivant, dont la résurrection a pour nom
Espérance

Je crois au Seigneur, celui d’aujourd’hui, d’hier et de demain. »


Repris dans « Le goût d’un monde solidaire », pp. 48-49

 

GJ 2011

 

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 5446 visites