"paix et vivre ensemble": trois éclairages
L'Assemblée Régionale Hauts de France -9 octobre 2021- a été l'occasion d'une première présentation de ce "champ d'action" , thème de formation régionale 2022
CR ASSEMBLÉE RÉGIONALE HAUTS DE FRANCE DU CCFD-TerreSolidaire: ARRAS LE 9 OCTOBRE 2021
Tables rondes de l’après-midi
(présentation/animation M. Drevelle et G. Jovenet)
« Paix et vivre ensemble » constitue l’un des quatre « champs d’action » retenu par « L’Appel pour une terre solidaire » (Rapport d’orientation 2021-2027). C’est aussi le thème proposé par la région pour l’année qui vient. « Le champ d’action est immense » souligne le rapport d’orientation. Il concerne en premier lieu « la lutte contre toutes les injustices pour que tous les êtres humains aient accès à une vie digne ». Mais pour que la paix soit durable, « elle doit s’appuyer sur la mise en œuvre des conditions du ‘vivre-ensemble’ qui assure le respect de tous et de chacun ».
Pour aborder ces sujets nous recevons trois invités qui vont éclairer chacun une facette de la question :
Charlotte KREDER, chargée de mission au CCFD-TerreSolidaire pour l’Afrique australe et Madagascar
François BAUSSON, chargé de mission ECSI et public chrétien Carême,
Jean-François DUBOST, nouveau directeur du plaidoyer du CCFD-Terre Solidaire
Chacun dispose de 20 minutes, pour compléter notre information dans le registre qui est le sien ; exposé suivi d’un temps de questions- réponses.
Le CCFD-TerreSolidaire a choisi de travailler à une culture de paix « en luttant contre toutes les formes de rapport de domination » : domination de l’être humain sur la nature, mais aussi domination de l’homme sur la femme…C’est par là que nous commençons.
1. Charlotte Kreder a travaillé en Afrique du sud et au Mozambique sur la question du patriarcat, à partir du constat selon lequel il n’est pas possible d’avancer sur « paix et vivre ensemble » s’il y a de l’oppression et de l’injustice.
Un partenaire emblématique :
Le sujet est introduit par une vidéo réalisée par « WoMin » (note1) [https://womin.africa/fr/polluters-plunderers-the-roots-of-africas-crises-animated-short-film-series/] qui illustre la violence de l'exploitation minière et de l'économie extractiviste sur les populations et les écosystèmes. Ce constat rejoint celui du Rapport d’Orientation : la justice économique et sociale inclut la lutte contre le patriarcat.
Le concept de genre étudie les rapports sociaux hommes-femmes, qui impliquent des rapports de pouvoir liés au patriarcat. Les femmes sont affectées aux tâches reproductives, au soin de la famille, et au travail domestique, au bénévolat aussi ; les activités productives et la politique concerneraient plutôt les hommes. Le féminisme tend à faire reconnaître cette soumission des femmes et le fait que leur travail non rémunéré contribue au développement économique et à la croissance.
Le lien entre patriarcat et modèle économique :
L’extractivisme désigne un processus d’extraction massive de matières premières, peu regardant quant à la confiscation de la terre et de l’eau, la finitude des ressources, l’environnement, la perte de contrôle démocratique, l’opacité des transactions, la corruption. Il peut être assimilé à une forme de colonisation dans la mesure où le rapport de forces est inégal ; les entreprises s’imposent de force avec l’aide des états et la militarisation. Les coûts sociaux et environnementaux ne sont pas pris en compte et les conséquences sont irréversibles.
La perspective du genre pointe les effets de ce processus sur les femmes, atteintes différemment du fait de leur rôle social. Si elles sont expulsées des terres elles n’ont pas de compensation. Leur charge de travail augmente (par ex. aller chercher l’eau plus loin du fait de la pollution) et elles sont plus exposées à la violence et l’insécurité.
En beaucoup d’endroits, existent bien des lois visant en principe à réguler l’activité locale des multinationales minières. Mais elles ne sont pas vraiment respectées ; les entreprises les contournent ou ne tiennent pas leurs promesses (en matière d’équipement scolaire ou sanitaire par exemple). Le recours à l’intimidation n’est pas inconnu (« listes noires »).
Deux visions qui s’affrontent:
La vision libérale ne remet pas en cause le système, mais cherche parfois à « l’améliorer » ou à en limiter les effets, par exemple en proposant aux femmes de trouver des emplois salariés.
Une vision africaine féministe vise au contraire à donner aux femmes un accès aux ressources afin qu’elles puissent subvenir aux besoins de leur famille.
Cette vision là se déplie selon 4 axes (note 2):
- Soutien de mouvements de femmes (locaux ou de plus grande portée) dans le secteur des énergies renouvelables ;
- Consentement préalable aux projets d’exploitation-mise en valeur, et droit de dire non aux projets nuisibles ;
- Mise en évidence des relations entre le développement extractif et militarisation, qui expose les femmes au viol et violences sexuelles ;
- Recherche d’alternatives de développement en aidant les communautés à chercher d’autres voies justes en matière d'énergie renouvelable et de rapport à la nature.
Ces points rejoignent ce que « L’Appel pour une terre solidaire » propose dans la lutte contre les formes de domination.
2 Intervention de Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer au CCFD-Terre solidaire
Dans le rapport d’orientation, la justice climatique ne constitue pas un des quatre champs d’action : aucun des 4 axes n’est pleinement dédié au sujet. Mais ce n’est pas grave : c’est une déclinaison du champ d’action intitulé : Justice économique, autant qu’un enjeu de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. La question climatique irrigue toutes les autres à travers chacun des axes du CCFD-TerreSolidaire …
Justice climatique, conflictualité et « vivre ensemble »
Dans le plaidoyer, on se retrouve souvent en situation de confrontation, qu’on subit, ou qu’on suscite parfois… Situation qu’il convient de dépasser, quels que soient les interlocuteurs. Il s’agit alors d’entrer en négociation, d’oser le dialogue.
Nous vivons tout le temps ensemble ; qu’est-ce qui fait qu’on est dans une « démarche de vivre -ensemble » ? Il faut prendre en compte la fragilité des autres, en tirer les conséquences. Le climat pose la question de la fragilité des personnes qui en souffrent directement et de celles qui souffrent des mesures mises en œuvre pour lutter contre le dérèglement climatique. Il s’agit de trouver des solutions qui ne produisent pas de nouvelles inégalités, ce qui vient souligner le lien entre ‘environnement’ et ‘social’.
Cette articulation se joue à plusieurs niveaux : dans le quotidien et les territoires pour commencer (le mouvement des gilets jaunes l’a bien indiqué, connectant la question du logement et celle des transports pour les faibles revenus). Mais aussi à l’échelle des états compte-tenu de la responsabilité commune mais différenciée des pays ou groupes de pays (différenciation nord /sud), et de l’inégalité de leurs moyens. Or il faut reconnaître la fragilité de certains états, et poser la question de la gouvernance internationale : comment s’assurer de la prise en compte des voix des populations ?
Enjeux du plaidoyer en cours
(comment se joue cette recherche de justice climatique?)
Ce n‘est pas un champ d’opposition frontale mais une question de vigilance par rapport à cette vision du CCFD-TerreSolidaire que ne soient pas oubliées les populations du sud. La plus-value du CCFD, c’est son approche globale dans le travail de pression sur le politique.
Ainsi la question de la compensation carbone (objet de la campagne actuelle) pose notamment le problème de la sanctuarisation d’espaces destinés à planter des arbres (pour compenser l’activité d’une firme comme ‘Total’ par exemple/ note 3) ; mais cela se fait très souvent au détriment des populations locales.
Ce qui apparaît comme une bonne solution a priori peut en réalité poser problème. Planter des arbres pour compenser les émissions de carbone ne paraît pas déplacé ni scandaleux à première vue …Mais cela ne va pas de soi : les populations ont-elles été consultées ? Les espèces d’arbres plantées sont-elles appropriées à la région ? Si ces arbres sont destinés à la vente, ils n’auront pas le temps de séquestrer du carbone (il leur faut pour cela atteindre 100 ans) avant d’être coupés. La compagnie pétrolière Shell a besoin de trois fois la surface des Pays-Bas pour compenser ses émissions : où et comment va-t-elle la trouver ? Il faut donc se méfier des « fausses solutions » ; la compensation peut même servir de cache-misère ou de prétexte à l’inaction.
« Compenser n’est pas réduire »… Avec des explications adéquates on peut faire prendre conscience de ces logiques. Pour s’informer et argumenter, on se rapporter avantageusement au dossier mis en ligne sur le site national.
https://ccfd-terresolidaire.org/tags/compensation-carbone
Le rapport d’orientationsouligne la volonté du CCFD-TerreSolidaire de « Faire vivre l’esprit de fraternité dans l’Eglise et dans le monde ». Il entend non seulement approfondir le sens spirituel d’une écologie intégrale et promouvoir une spiritualitéchrétienne ouverte sur le monde,mais aussi participer au renouvellement de la vieet de la pratique ecclésiale. La paix et la sérénité se vivent aussi comme des valeurs intimes et collectives, au plus proche et dans les communautés.
3. Intervention de François Bausson : "Promesse d'Eglise"
Le cléricalisme mis en cause
François Bausson fait état du lien existant entre l’actualité brûlante – la publication du rapport de la CIASE (note 4) qui a chiffré les victimes et les prédateurs dans l’Eglise catholique en France depuis 70 ans – et Promesses d’Eglise.(note 5). Ce collectif d’organisations catholiques, dont le CCFD-TerreSolidaire, est né du désir de relever le défi lancé par le Pape François dans sa Lettre au Peuple de Dieu publiée dans le contexte des abus sexuels dans l’Eglise le 24 août 2018 dans laquelle il pointait le cléricalisme. Les révélations des agressions sexuelles à travers le monde ont en effet un caractère systémique lié au cléricalisme. Or dit le pape :
«…chaque fois que nous avons tenté de supplanter, de faire taire, d’ignorer, de réduire le peuple de Dieu à de petites élites, nous avons construit des communautés, des projets, des choix théologiques, des spiritualités et des structures sans racine, sans mémoire, sans visage, sans corps et, en définitive, sans vie. Cela se manifeste clairement dans une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Eglise – si commune dans nombre de communautés dans lesquelles se sont vérifiés des abus sexuels, des abus de pouvoir et de conscience – comme l’est le cléricalisme, cette attitude qui « annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple ». Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme… ».
Le problème est structurel, systémique et résulte d’une trop grande confusion des responsabilités dans le droit canon ; l’évêque y concentre les fonctions et les rôles suscitant des conflits d’intérêt. La création de tribunaux interdiocésains est une avancée mais insuffisante. La procédure pénale canonique doit être ouverte aux victimes. Les laïcs doivent être associés aux espaces de décision et d’administration dans l’Eglise. Les points de débat portent sur les conflits, le partage de pouvoir, de responsabilité, la concentration du pouvoir d’ordre (les sacrements) et la structure institutionnelle (plus politique) sur une même personne.
Le CCFD-TerreSolidaire participe depuis 2 ans aux réunions de « Promesse d’Eglise »
« Promesse d’Eglise » s’est donné une charte (note 6). L’idée est de créer des espaces de rencontre, de témoignage, de cheminer ensemble, d’interpeller les évêques, de contribuer à la réflexion sur la synodalité dans le cadre du Synode sur la synodalité en 2022. L’enjeu est important. Le CCFD s’appuie sur son expérience, son ancrage dans l’Evangile, et l’enseignement social de l’Eglise, en particulier les encycliques Laudato Si’ et Fratelli Tutti (note 7):
« Quand les conflits ne sont pas résolus mais plutôt dissimulés ou enterrés dans le passé, il y a des silences qui peuvent être synonymes de complicité avec des erreurs et des péchés graves. Mais la vraie réconciliation, loin de fuir le conflit, se réalise plutôt dans le conflit, en le dépassant par le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente. La lutte entre divers secteurs, « si elle renonce aux actes d’hostilité et à la haine mutuelle, se change peu à peu en une légitime discussion d’intérêts, fondée sur la recherche de la justice » (FT n°244)
Un grand merci à chacun des trois intervenants !
Prise de note, résumé et restitution : Geneviève Jovenet
notes :
1.WoMin (Women and Mining) partenaire du CCFD depuis 2015, Réseau d’organisations qui accompagne les mouvements nationaux et régionaux et s’efforce de contrer les impacts destructeurs de l’extractivisme, telle que la confiscation des terres et le déplacement de communautés, la pollution et l’érosion, ainsi que les violences faites aux femmes. Il s’agit également de mettre en avant des alternatives de développement justes et axées sur les femmes (voir RO p 20) ou→ https://womin.africa/fr/
3 https://ccfd-terresolidaire.org/actualites/podcasts/la-compensation-carbone-7132
« Tout sauf neutre ! », trois exemples de « compensations » discutables : https://ccfd-terresolidaire.org/nos-combats/dereglements/tout-sauf-neutre-3-7130
4. Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, présidée par Jean-Marc Sauvé ; rapport publié le 5 /10/2021
5.Promesses d’Eglise a pour objectif de « dessiner le visage de l’Eglise de demain, une Eglise du dialogue, plurielle et synodale ». https://www.promessesdeglise.fr/
6 .sur la charte : https://mcr.asso.fr/religion/actualites-eglise/promesses-deglise-une-charte-pour-agir/
7. lettre encycliqu Fratelli Tutti du Saint Père sur la Fraternité et l'amitié sociale