Vivre le carême -4 : se donner
Quatrième dimanche de carême
2Ch36,14-16,19-23 - Ps136 - Ep2,4-10 - Jn3, 14-21
Vivre le Carême : Se donner
Saint Jean rappelle ici un curieux épisode de l'interminable traversée du désert , qui n’a pas été tous les jours un chemin bordé de roses pour les Hébreux. Confrontés à l'ennui, aux embûches et aux pénuries ils ont récriminé plus d'une fois contre Moïse et Aaron -parfois regretté l’Egypte- et se sont même posés des questions sur l'Eternel. Pour avoir « murmuré » une fois de plus, les voilà mordus par des serpents, « et beaucoup en mourraient »[1]. Moïse (sur l'indication divine) dressa alors devant eux son bâton auquel il fixa un serpent de bronze- animal qui était en Egypte ancienne à la fois symbole de vie (il change régulièrement de peau) et de mort (sa morsure est dangereuse) .[2] Et on lit dans le livre des Nombres que « quiconque avait été mordu par un serpent et regardait le serpent d'airain conservait la vie ».
Jean compare la mort de Jésus avec cet épisode. Le signe du serpent guérisseur dressé comme un étendard a son équivalent au Calvaire: c’est Jésus cloué et hissé sur le bois de la croix. Les Hébreux découragés avaient perdu le cap sur leur chemin de libération ; mal aux pieds, mal au ventre : plus envie de marcher! Mal au cœur, et tête des mauvais jours... En regardant le serpent d'airain, ils pouvaient comprendre que cela ne les sépareraient pas du Dieu de vie - espoir pas mort! Nous sommes mordus par les mêmes serpents- la fatigue de vivre et l'angoisse du manque, la tentation de l’amertume et du repli sur soi, le regret du passé et le refus du présent où Dieu nous attends... Mais nous, nous regardons la croix : le gibet devenu signe du don de la vie divine et symbole de miséricorde.
Les textes du jour laissent d’ailleurs entendre que ce n’est pas Dieu qui condamne : souvent, c’est l’homme qui se perd. C’est parce que le peuple libéré par Yahvé, sourd aux avertissements, s’est fait esclave de faux dieux qu’il a été déporté à Babylone -dit l’auteur des Chroniques. Ce sont ceux qui refusent la lumière et la vie de Dieu qui se jugent eux-mêmes et se vouent aux ténèbres, dit Jean. Très contemporaines, cette capacité de refus et cette manie de sacrifier aux idoles du monde ... Heureusement, toutes les lectures délivrent aussi un autre message : la miséricorde de Dieu est acquise sans défaillance, quelle que soit l’infidélité des hommes, aussi loin que Babylone.
C’est en effet d’un don qu’il s’agit : « c’est par grâce que nous sommes sauvés » dit Paul. Le salut, c’est gratuit...Il nous suffit d’ y consentir en nous attachant au Christ dans la foi; d’y souscrire en adhérant à sa parole dans l’espérance; de l’accomplir par une charité en actes. Car ce salut qui ne doit rien à nos mérites nous est offert « pour que nos actes soient vraiment bons, conformes à la voie que Dieu a tracée pour nous ». C'est bien dans cet esprit que Vivre le Carême continue de décliner sa démarche: "A la suite du don du Dieu Père et du Christ Frère, nous recevons un appel à (...) nous engager pour la justice, la paix et la solidarité"[3].
Au bout du compte, la Croix du Fils manifeste l'amour de Dieu pour le monde et les hommes qui l’habitent. Le grand projet divin, depuis toujours, c’est que le monde soit sauvé et conduit à sa perfection. Le monde dans son entièreté : la terre entière comme notre petit monde intérieur. Certes, le spectacle du monde est loin d’être toujours engageant : on n'en finirait pas d’énumérer les laideurs et les idolâtries qui le défigurent. On peut y voir la trace en ce monde d’un mal déjà-là et tenace que le Christ lui-même a du affronter ; ou dire avec Saint Paul que c'est une « création qui gémit encore dans les douleurs de l’enfantement ». Pourtant il nous faut aussi croire que la grâce de la rédemption est à l’œuvre dans cet univers souffrant.[4] et c'est en se donnant qu'on "entrelace les fils d'une vraie relation pour devenir tissu d'humanité"
Dieu aime toujours ce monde où il a pris chair en Jésus, et c’est bien dans ce monde que le Christ nous envoie : non pour juger mais pour rendre témoignage ; non pour condamner mais pour porter une parole d’espérance, non pour "murmurer" mais "pour entrelacer les fils de relations vraies pour devenir tissu d'humanité"3 .Afin que nous soyons artisans de paix et de croissance humaine dans nos engagements religieux, sociaux, éducatifs, culturels, politiques. Au CCFD on dit volontiers : «partenaires de Dieu »...en toute modestie, et avec vous, bénévoles, sympathisants et donateurs.
[1] L'épisode est raconté dans le Livre des Nombres 21,1-8. Le Livre des Chroniques qu'on lit ce dimanche est né de la méditation des Juifs sur le passé de leur peuple, pour en discerner le sens à la lumière de la Parole . Jean a procédé de la même manière quand il a médité sur son expérience ; il a trouvé dans l'Ecriture des images et des faits qui permettent de faire comprendre la réalité du Christ et du projet divin. Et nos communautés ne procèdent pas différemment ...
[2] On croyait aussi que l’image et la réalité d’un animal était si fortement liés qu’il était possible de manipuler ou de neutraliser l’une par l’autre. La symbolique du serpent se retrouve dans le caducée des médecins et des pharmaciens.
[3] Vivre le Carême, Se donner , page 22
[4] "l'Esprit de vérité est au travail" , comme le dit le Projet diocésain d'évangélisation et de catéchèse ; ici et là-bas : « Nous croyons que l’Esprit de Dieu est présent aujourd’hui dans cette réalité des hommes et des femmes du Pas-de-Calais ; le dévouement des bénévoles dans tous les domaines, l’engagement dans la vie politique, sociale, éducative, culturelle, associative, l’amour des époux, la tendresse des parents, l’attention des croyants aux familles dans la joie ou la peine, ont saveur d’Evangile ».