Pèlerinage du pape en Terre sainte
Dimensions œcuméniques du pèlerinage.
Lever de soleil sur l'église de la RésurrectionLe prochain voyage du pape au Moyen-Orient passe par Jérusalem, ce qui n’a rien d’extra-ordinaire, et pourtant, pour la première fois, des communautés chrétiennes qui ne se parlent pas se rencontreront. Elles ne se sont pas rencontrées officiellement en Terre sainte depuis le Concile de Nicée en 325. On peut aussi espérer des implications politiques, religieuses et humanitaires (Jordanie).
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Cinquante ans après la rencontre de Paul VI et Athénagoras.
Le pape François a souligné que son voyage serait un pèlerinage. L’esprit de cette visite sera le même que pour celles de Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI. Ce qui change, c’est simplement la personnalité du pape et la manière dont il est perçu par rapport à ses prédécesseurs. Le sens de ce voyage est celui d’un retour au lieu d’où tout est parti et à ce Saint Sépulcre qui est le cœur des voyages des quatre papes. L’autre motif, lui aussi explicité directement par le pape Bergoglio, est le cinquantième anniversaire de la visite de Paul VI à Jérusalem et de sa rencontre avec le patriarche Athénagoras. Ainsi apparaît la dimension œcuménique du voyage.
Quelle est la portée œcuménique de ce pèlerinage ?
Emplacement présumpé de la croixLes communautés chrétiennes de Jérusalem sont nombreuses : outre la communauté catholique et les communautés orthodoxes, il ne faut pas oublier les Églises « non chalcédoniennes », les coptes, les Éthiopiens, les Arméniens. Elles sont toutes présentes depuis toujours dans ce contexte.
Ce ne sera donc pas un dialogue à deux, mais avec toutes les composantes chrétiennes qui n’ont jamais quitté Jérusalem. En ce qui concerne les diverses appartenances dans l’oecumène chrétienne et les distinctions entre communautés chrétiennes, on note la disparition d’une communauté encore répandue au Moyen-âge, les Nubiens, qui ont été effacés par l’islamisation de la Nubie et du Soudan. Toutes les autres communautés chrétiennes existent encore et, malgré les persécutions, elles tiennent à être présentes à Jérusalem.
Le fait qu’un pape se rende au Saint-Sépulcre pour les rencontrer toutes est vraiment significatif : c’est la première fois dans l’histoire, depuis l’époque de Constantin, et donc du Concile de 325. N’oublions pas que c’est cette année-là que fut inaugurée la grande construction constantinienne autour du Saint-Sépulcre et, déjà à cette occasion, le Concile fut une rencontre que nous pourrions définir aujourd’hui comme « œcuménique, ou encore de réconciliation avec la principale hérésie de l’époque, l’arianisme. Cette année-là, en effet, le prêtre Arius fut invité à Jérusalem et c’est là qu’il a été ré-accueilli au sein de la communauté chrétienne.
Bartholomaios était à Rome à l'inauguration du pontificat.
N’est-il pas significatif que le pape rencontre à nouveau Bartholomaios, premier patriarche de Constantinople à avoir été présent à la messe d’inauguration d’un pontificat, il y a un an, le 19 mars 2013 ? Ce sont des gestes significatifs. Surtout en ce qui concerne l’Église de Constantinople et le monde orthodoxe, les différences d’ordre doctrinal sont très marginales et concernent surtout la sensibilité et la culture. Les différences sont plutôt de type ecclésiologique. Les gestes ont un poids : cette prière ensemble est certainement remarquable et je pense qu’elle sera perçue avec force, plus que toute parole ou théorie.
Le Saint-Sépulcre - pour les Orientaux, basilique de la Résurrection (Anastasis)- est un symbole de la coexistence aussi précaire que miraculeuse, des différentes Églises chrétiennes dans la Ville sainte: quel est l'état actuel des relations œcuméniques dans ce lieu saint?
Les communautés chrétiennes présentes à Jérusalem sont nombreuses et souvent hétérogènes mais, il faut le dire, elles coexistent. Il est vrai que beaucoup de choses peuvent susciter diverses impressions ou scandaliser les pèlerins occidentaux, mais toutes les communautés vivent ensemble et officient ensemble. Elles ont trouvé un modus vivendi à partir du statu quo qui consiste en un accord jamais écrit, en vigueur à l’époque ottomane et, en particulier, depuis 1800. Sur la base de cet accord, a été déterminé un critère plutôt rigide de rotation et de division des temps et des espaces, des chapelles et des dévotions, pour les offices et les célébrations de chacun. C’est une manière d’être ensemble bien qu’étant divisés, ce qui, en fin de compte, est un scandale si nous pensons aux paroles de Jésus dans l’Évangile de Jean (Jn 17,20-26) et à l’unité qui devrait être à la base de toute l’oecumène. Le paradoxe du Saint-Sépulcre est aussi celui-ci : être ensemble en maintenant toutes les divisions et tous les écarts, parfois en s’opposant de façon très vive.
Le dialogue interreligieux.
Le pape arrivera à Jérusalem accompagné d’un représentant juif et d’un musulman: le dialogue interreligieux aura aussi un rôle important dans ce voyage ?
Il est encore tôt pour en dire quelque chose. N’oublions pas que Jean-Paul II avait déjà participé à une rencontre interreligieuse. La différence d’approche tient à ce que le pape François part accompagné de ces deux fidèles de « credo » différents, et donc, il y a sans aucun doute une composante de dialogue interreligieux. Toutefois, le voyage durera très peu de temps et il ne semble pas qu’il y ait beaucoup d’espace pour ce second aspect. L’objectif principal du voyage a un caractère œcuménique.
Quels effets le voyage pourra-t-il avoir sur la situation politique au Moyen-Orient ?
Lire cet événement comme un pèlerinage de foi et le situer dans une perspective œcuménique, selon ce qu’a dit le pape lui-même, n’est pas réducteur, au contraire. Les effets sur le plan politique seront une conséquence : si les chrétiens de la région savent retrouver des formes de communion, leur poids augmentera ainsi que leur capacité de résister aux persécutions.
Ce n’est pas le hasard si beaucoup des divisions actuelles ont été fomentées au long des siècles, avant par les arabes et ensuite par l’empire ottoman : diviser pour régner. La répartition des espaces à l’intérieur du Saint-Sépulcre est elle-même consécutive à la conquête de Jérusalem par Saladin. C’est lui qui en a chassé tous les chrétiens et qui a ensuite « concédé », de fois en fois, par des tractations séparées, une chapelle aux Éthiopiens, un espace aux Grecs, un autre aux Arméniens, un autre aux Géorgiens… Il est aussi significatif que cette rencontre se tienne à Jérusalem, le seul pays du Moyen-Orient où le nombre des chrétiens est en augmentation : d’après des données publiées fin 2013, au cours de l’année écoulée, ils sont passés de 158.000 à 161.000.
Renata Salvarani, professeur d’histoire du christianisme