Regard (suite) sur les 1ères lectures
du deuxième au cinquième dimanche en résonance avec Laudato Si
(suite du premier dimanche - et de l'histoire de Babel :
https://arras.catholique.fr/regard-sur-premieres-lectures-dimanches-careme.html )
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Deuxième dimanche : lecture du Livre de la Genèse :
Gn22,1-2, 9a, 10-13,15-18 (le sacrifice d'Isaac)
En quelques années, une jeune militante suédoise en lutte contre le réchauffement climatique vient d'accéder à une renommée internationale. Les interventions de Greta Thunberg, ses discours face aux grands de ce monde, comme ses actions et ses choix personnels (tel le refus de voyager en avion) rencontrent un puissant écho auprès des jeunes.
L'essor international du mouvement "Extinction-rébellion", pacifiste et partisan de la désobéissance civile, confirme aussi la volonté des générations présentes de faire pression sur les gouvernements. L'un comme l'autre pointent en effet du doigt les responsabilités de leurs aînés -accusés d'avoir sacrifié la planète sur l'autel de leurs désirs - et des pouvoirs en place, "qui ont échoué à nous protéger faute de mettre en oeuvre des solutions identifiées".
L'idée d'une jeunesse sacrifiée par des vieillards égoïstes a une longue histoire. La version biblique du "sacrifice d'Abraham", emblématique et fondatrice, a inspiré plus d'un récit. Certes le temps est pour nous révolu où le père avait droit de vie ou de mort sur ses enfants. Nos enfants ne nous appartiennent pas; il nous faut trouver avec eux la "bonne distance". Et Isaac sous sa forme contemporaine (le jeune et le pauvre à l'avenir incertain) proteste et se fait entendre ! (dans le récit biblique Isaac ne pipe mot, même s’il n’en pense pas moins).
Mais cette vieille affaire de "sacrifice empêché" (l'ange arrête le geste meurtrier) éveille toujours un écho. On présente volontiers ce texte comme la renonciation de Dieu aux sacrifices humains ; mais c’est tout autant Abraham qui est appelé à mettre à mort (à quitter) une certaine idée de la paternité, possessive et omnipotente, toujours prête à ressurgir. Sommes-nous sortis de nos comportements de propriétaires, disposant à leur gré de tout et de tous? N'avons-nous pas perdu de vue que l'Alliance conclue avec Noé l'est aussi avec "toutes les générations à venir" (Gn10,12)?
Il n'est pas certain qu'une approche purement générationnelle soit seule pertinente en matière de réchauffement climatique et d'inégalités. Le dévoiement d'un système économique et une manière faussée de comprendre la vie et l'activité humaine y ont toute leur part ; le Pape le dit assez dans son analyse des racines de la crise. François n’en rappelle pas moins avec vigueur que « La terre que nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront" ... Cette solidarité intergénérationnelle n'est pas une attitude optionnelle, mais bien "une question fondamentale de justice".
François relève en ce domaine trois urgences. D’abord la plus évidente: éviter de "laisser trop de décombres, de déserts et de saletés aux prochaines générations". Il est tout aussi nécessaire de se demander 'quel genre de monde nous voulons laisser à ceux qui nous succèdent, de s'interroger sur "son orientation générale, son sens, ses valeurs" (LS 159 à 161). Enfin il souligne la nécessité d’une véritable « éducation pour l’alliance entre l’humanité et l’environnement », qui englobe et dépasse la simple sensibilisation scientifique, naturaliste et technique. Elle doit aussi inclure « une critique des mythes de la modernité » (consumérisme, marché sans règles, progrès indéfini) et s’étendre « à différents niveaux de l’équilibre écologique » : au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu » (LS 209-210).
Les partenaires du CCFD-TerreSolidaire nous précèdent parfois sur ces chemins. L’éducation agro-écologique dès le plus jeune âge et le souci de la nature, c’est l’un des objectifs de Permatil, à Timor Leste, ce petit pays situé au fin bout de l’archipel indonésien, au N de l’Autralie…
Pour faire connaissance :
https://arras.catholique.fr/rubrique-6586.html
images jointes :
"Le sacrifice d'Isaac" Rembrandt , 1635 , Musée de l'Ermitage Saint Petersburg
Isaac renversé sur le bûcher, tenu d'une main ferme, ne peut ouvrir la bouche. Il n'a plus de mots, plus de regard ni de visage, plus de mains non plus.L'image même de l'innocente vistime de la violence humaine
‘Le sacrifice d’Isaac’, Le Caravage, 1603, Galerie des offices , Florence
Abraham plaque résolument sur l'autel du sacrifice son fils , qui hurle à pleins poumons!
Dans les deux cas la scène est saisie au moment où se dénoue le drame : l'ange arrête le bras du patriarche , qui le regarde , et réalise ...
Troisième dimanche de carême : Lecture du Livre de l'Exode Ex 20,1-17
"Je suis le Seigneur ton Dieu , qui t'ai fait sortir du Pays d'Egypte, de la maison d'esclavage". La première parole de Dieu est de révélation - et non de "commandement" : 'Je suis votre libérateur'... Ce qui invite à lire la suite non comme une réglementation mais comme la charte d'un peuple libre. Voilà, dit le Seigneur, dans quel esprit, avec quelles valeurs vous vivrez si vous voulez rester libres.
C'est en effet pour éviter à son peuple tout autre esclavage intérieur que sont prononcées les deux séries de paroles qui régissent un juste rapport à Dieu, et un juste rapport à l'autre. L'unique Seigneur qui a fait le ciel et la terre ; le frère, dont on respectera la vie et qu'on ne dépouillera pas - sans même convoiter ce qui lui appartient. Deux tables qui vont ensemble et s'articulent ; à la jointure figure le sabbat qui donne sens à la vie.
Laudato Si résonne de cet appel permanent à la relation juste avec Dieu, les autres, et la nature elle-même. François souligne les liens qui se nouent entre ces trois registres. Ici, il constate à quel point la vision de la nature comme objet de profit et d'intérêt pèse sur la société, favorise l'arbitraire du plus fort et les inégalités d'accès aux ressources. Il note ailleurs que la réalité du sentiment d'union avec la nature se mesure à l'aune "de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres humains" : comment prétendre prendre soin de l'une si l'on ne soucie pas des autres?
D'ailleurs il n'existe pas à ses yeux deux crises séparées, l'une environnementale et l'autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale"(LS139). S'ensuit qu'«une vraie approche écologique se transforme en une approche sociale, qui doit intégrer la justic e dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS 49). Cette idée est au cœur même de l'écologie intégrale, qui est inséparable d'un principe du bien commun où resplendit l'option préférentielle pour les plus pauvres, premières victimes des agressions environnementales et de la dégradation sociale.
La conversion écologique que propose François appelle donc d'abord à changer de regard. A reconnaître le monde comme un monde fini, limité, abîmé, détérioré aux dépens des plus pauvres, et de s'en émouvoir - au point d'agir. A confesser ce monde comme une création où le divin se laisse saisir, dont nous serions "les intendants responsables", soucieux de justice.
Quatrième dimanche de carême : Lecture du Livre des Chroniques: 2Ch36,14-16,19-23
Devant la "spirale d'autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons" (LS 163), comment ne pas être surpris de l'écart entre ce que nous savons des urgences de la crise, et ce que nous acceptons d'entreprendre pour y remédier? En 2002 déjà, un discours célèbre pointait le paradoxe : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs"...Venue de plus loin encore,la sagesse biblique laisse entendre que les hommes sont responsables de leur propre malheur quand ils ne mesurent pas les conséquences de leurs actes et restent sourds aux mises en garde. Dans le Livre des Chroniques, la destruction du temple de Jérusalem et l'exil à Babylone sont relus par le peuple Juif comme le châtiment de leurs péchés.
Aujourd'hui, le pape François repère dans la démesure anthropocentrique moderne une cause profonde de la crise écologique.(LS, chapitre 3 :"La racine humaine de la crise"). En se posant 'au centre de tout en dominateur absolu , l'homme moderne ne reconnaît plus de valeur propre à la nature et aux autres vivants,' considérés comme un simple stock de ressources dont il peut user à son gré et sans limites. Cet anthropocentrisme "dévié" engendre "un style de vie dévié", qui accorde une absolue priorité aux intérêts personnels ou de circonstance. En outre, l'alliance de la technique et de l'économie demeure bien souvent "indifférente à d'éventuelles conséquences négatives".
Mais le livre des Chroniques délivre aussi un autre message : Dieu reste le Dieu des pères, fidèle et infatigable. Sa miséricorde est acquise sans défaillance, quelle que soit l’infidélité des hommes. Quand son peuple côtoie des précipices -ou s'y engloutit- Il trouve moyen de l'en sortir!
Les écrits des prophètes, note François, invitent à retrouver l'espérance et la force dans les moments difficiles "en contemplant le Dieu tout-puissant qui a créé l'univers". Dans la Bible, "le Dieu qui libère et sauve est le même qui a créé l'univers, et ces deux modes divins d'agir sont intimement et inséparablement liés". S'Il a pu créer l'univers à partir de pas grand chose, Dieu peut aussi "aussi intervenir dans ce monde et vaincre toute forme de mal." (LS 73-74). "Par conséquent l'injustice n'est pas invincible."
Alors, rien n'est perdu, "parce que les êtres humains peuvent opter de nouveau pour le bien" et retrouver "la capacité de sortir de soi vers l'autre". Il est encore temps de s'engager pour la création, et de miser sur un autre style de vie plus sobre qui ne serait pas " moins de vie" mais libération ...
Cinquième dimanche de carême: Lecture du Livre de Jérémie Jr31,31_34
Depuis quatre semaines nous entendons la petite musique de Laudato Si’ qui nous répète sans se lasser que « tout est lié »…
Tout est lié... La crise que nous traversons --tout à la fois environnementale, économique, sociale, et culturelle --appelle une écologie intégrale, et une autre conception du développement qui touche "tout l'homme et tous les hommes" ;
Tout est lié... comme le sont notre rapport à la nature, aux autres et à Dieu, qui interpellent la cohérence et la vérité de notre façon d'être au monde;
Tout est lié ...Transformation de soi et transformation du monde vont de pair. Une écologie intégrale peut-être faite de simples gestes quotidiens. Elle ne néglige pas non plus l'engagement pour le bien commun, l’action collective, associative et politique –au meilleur sens du mot (LS 230 -231). Comme dit François : « Pour rendre la société plus humaine, plus digne de la personne, il faut revaloriser l’amour dans la vie sociale -au niveau politique, économique, culturel-, en en faisant la norme constante et suprême de l’action » (note)
Dans la lecture de ce jour, Jérémie entrevoit un renouveau radical au-delà de la catastrophe imminente Le prophète contemple une nouvelle Alliance dans laquelle Dieu sera connu pour ce qu'Il est, un Dieu de la vie qui change le cœur, raffermis l'esprit et nous rends la joie d'être sauvé (Ps50)…"Je mettrai ma loi au plus profond d'eux-mêmes, je l'inscrirai dans leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple »
Le Dieu de la vie nous a confié la création... Or la foi chrétienne, dit François, "implique de laisser jaillir toutes les conséquences de (la) rencontre avec Jésus Christ sur les relations avec le monde qui (nous) entoure" (LS 53).La conversion écologique est à ses yeux « une dimension de la foi chrétienne » : ce sont les convictions de la foi qui incitent le croyant à la conversion écologique. Tout est lié ici aussi…
La spiritualité chrétienne offre quelques ressources pour cheminer en ce sens : elle procure en particulier les "mobiles intérieurs" qui motivent, encouragent et donnent sens à l'action. Elle En proposant "une autre manière de comprendre la qualité de la vie", elle encourage un style de vie prophétique et contemplatif, en quête d'une sobriété heureuse et libératrice, ouvert à la fraternité universelle. Elle fait sienne une attitude du cœur qui vit pleinement chaque instant dans une attention sereine, comme un don divin (LS 222 à 226).
Tout est lié ...Quand à la fin de son encyclique le pape oriente notre regard vers le " face à face avec la beauté infinie de Dieu (1Co 13,12)" et la plénitude finale où chaque créature occupera sa place, il n'a de cesse de nous ramener à la réalité présente et à nos vies en ce monde. Pour le moment, dit-il, "nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste".
Appelés par Dieu "à un engagement généreux" -qui ne s'abandonne ni aux facilités du laisser -faire ni à la tentation du découragement- nous marchons dans la joie de l'espérance ...
"Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu (...)
Marchons en chantant! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l'espérance"(LS 243-244)
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Note : source : Conseil Pontifical « Justice et Paix » Comprendre la Doctrine Sociale de l’Eglise n°582 ; cité en LS 231