Martin Luther, bibliographie
Heinz Schilling Éditions Salvator
MARTIN LUTHER. REBELLE DANS UN TEMPS DE RUPTURE
de Heinz Schilling Éditions Salvator, 704 p., 29 €
Heinz Schilling, un des meilleurs connaisseurs de cette époque, replace avec précision et profondeur Luther dans son temps ; il ne le décrit pas comme un héros isolé, mais comme un rebelle lancé dans une lutte gigantesque pour la religion et son rôle dans le monde
Schilling apporte un point de vue libéré des a priori aussi bien catholiques que protestants : Luther n’est pas représenté comme le précurseur des Lumières face à un catholicisme relégué au Moyen Âge. Inversement, s’il ne masque pas les faiblesses du personnage (caractère emporté, antijudaïsme, intolérance face à certains ennemis comme Érasme) ce livre rend à Martin Luder (de son vrai nom) son immense génie.
Comme le note le cardinal Marx, Luther était, en 1515, au moment de la parution des thèses, encore catholique. Moine torturé par le problème du salut (ce qui peut sembler au lecteur du XXIe siècle bien étrange), il s’inscrit dans une Europe où commencent à se former les États, où s’épanouit l’humanisme, et où l’Église se perd dans les ambitions politiques et les intrigues mondaines de la papauté.
La certitude qu’il acquiert d’être sauvé, non en fonction de ce qu’il fait, ou ne fait pas – mais par la seule grâce de Dieu – va le rendre incroyablement heureux. Autour de cette certitude, il construit un nouveau rapport individuel et intime à Dieu, et organise la société protestante en une société confessionnelle. En 1515, Luther reste mesuré sur la papauté. Ce n’est qu’ensuite, devant le refus des évêques allemands de renoncer aux indulgences pour financer leurs propriétés et la construction de la basilique Saint-Pierre, et leur incapacité collective à entrer avec lui dans un dialogue critique de type universitaire, que Luther se braque.
Il rompt définitivement et violemment avec le pape, qui devient pour lui «l’antéchrist». Dans une Allemagne dont les princes cherchent à se débarrasser de la tutelle du «Saint Empire», et où le peuple refuse de laisser une partie de son travail financer les dépenses excessives de l’Europe du Sud, le combat de Luther devient politique et national, non sans ambiguïté d’ailleurs.
Au-delà des problématiques proprement théologique et politique, le livre rend compte de l’extraordinaire créativité de Luther : son art de la « propagande » avec une utilisation moderne de l’imprimerie et des moyens de communication de masse, pour l’époque, le sens de la publicité, de la vulgarisation.
Le soin porté à l’organisation ensuite de l’Église autour des communautés paroissiales, à la création d’œuvres de charité et à la formation des pasteurs et laïcs, la traduction de la Bible en allemand, langue qu’il maîtrisait à merveille, et la production pour la première fois, d’un Catéchisme, que l’Église catholique va s’empresser d’ailleurs de copier.
Plus largement, l’apport de Luther au christianisme est considérable. Comme Benoît XVI le faisait remarquer à Erfurt, en septembre 2011, il a remis l’homme dans un rapport fondamental et singulier à Dieu, un Dieu personnel, dont chacun peut se sentir proche.
Contre une religion réduite à une puissance culturelle et politique par les papes de l’époque, il en fait une force en soi, et au final, lui donne une nouvelle légitimité. Avec lui, poursuit Schilling, on passe de la «mondanisation de la religion» à une religion dans le monde, qui s’inscrit dans la vie quotidienne des personnes, au plus profond de leur existence personnelle.
En réponse directe à Luther, le concile de Trente entreprend une profonde réforme de l’Église catholique, poursuivi par des personnalités comme Ignace de Loyola, Phillippe Néri ou plus loin François de Sales, que l’on peut voir comme des héritiers, à leur manière, du mouvement initié par Luther.