La pensée sociale de L'Eglise

Journée Enjeux et Questions 13 novembre 2014

Ce jeudi 13 novembre 2014, ce sont plus de 80 personnes qui se sont réunies à la maison diocésaine d’Arras pour une journée Enjeux et Questions sur la Pensée sociale de l’Église. Cette belle journée est le fruit d’un partenariat chaleureux entre le service de l’apostolat des laïcs et le service de la formation permanente, suite à la publication par la conférence des Evêques de France de l’ouvrage : Notre Bien commun.  Les participants ont eu la chance inouïe d’écouter un orateur d’une qualité extraordinaire : Henri Madelin. Ce jésuite, auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages est le porte parole du Vatican au conseil de l’Europe.PB130143 PB130143  

            Plusieurs points peuvent être retenus de son intervention :

 

  • Tout d’abord la dimension historique de la pensée sociale : à la fin du XIXe siècle, Léon XIII apporte une grande nouveauté en invitant, dans son encyclique Rerum novarum, l’ensemble des chrétiens à pratiquer plus de justice et à redonner leur dignité aux ouvriers. La question du service d’autrui devient prépondérante dans les milieux catholiques et permet de réunir des personnes aux convictions parfois opposées. C’est la mise en route et l’engagement de bon nombre de croyants. Les chrétiens sont désormais présents là ou l’État est absent. Dès lors, les chrétiens deviendront sociaux parce que catholiques et catholiques parce que sociaux.
  •  L’intervenant est ensuite revenu sur l’autorité d’une encyclique. Si à l’origine, l’encyclique est une circulaire envoyée aux autorités ecclésiales, elle va petit à petit devenir un document signé de la main du pape pour répondre aux attentes des évêques émus des conditions de travail des ouvriers au milieu du XIXe (essentiellement dans le Nord de la France). C’est ce qui va motiver Rerum novarum. L’encyclique n’est pas une doctrine fondée sur des principes immuables. Les questions sociales, en effet bougent sans cesse, et obligent les chrétiens à s’adapter aux réalités d’un lieu et d’un moment. Les encycliques en général ne sont donc pas des doctrines infaillibles (à la différence des doctrines de la foi, comme l’immaculée conception par exemple). Les questions sociales permettent le rassemblement d’un pluralisme des mentalités et invitent à l’action. Les encycliques ne donnent pas de directives. Il n’y a pas une manière de faire. Il y a une pluralité d’actions qui se cherchent, qui se pensent. L’Esprit aide à travailler le plus intelligemment possible. Paul VI renverra d’ailleurs les épiscopats locaux à prendre leurs responsabilités. Parce que ce qu’elles disent concerne l’ensemble des hommes, les encycliques vont devenir des textes à destination de tous les hommes de bonne volonté.

 L’enseignement social de l’Église est donc un corps de réflexion sur la société, sur les sociétés en vue d’une action ethique, c'est-à-dire informée par l’Évangile, la prière et le respect des autres.

 

  • Comment est réalisée une encyclique ? Dans un premier temps, une collecte d’informations mondiales sur ce qui fait la vie des hommes est réalisée. Cette matière première est classée, puis un texte est rédigé (pas toujours par le pape), puis signé du pape, avant d’être diffusé. L’encyclique utilise différents types de document ecclésiaux (Ecritures, encycliques précédentes, dogmes, patristique) les sciences sociales, les sciences humaines les sciences politiques.

L'objectif des encycliques est de donner de l’audace au lecteur, de lui donner envie de faire, d’accepter de prendre des responsabilités et d’avoir des bases de réflexion pour l’action.

 

  • Au centre de la pensée sociale, il y a la conception de l'homme comme personne. Dans les premiers temps de l’Église les disciples n’avaient pas de moyens conceptuels d’expliquer leur foi. Cela va se construire dans les trois siècles qui vont suivre. Les nouveaux chrétiens vont alors emprunter à la philosophie grecque ses concepts et logiques. Le mot personne (qui n’existe pas dans l’Évangile) va ainsi être utilisé. A l’origine, la personna est le masque que portaient les acteurs de théâtre. La personne est celui qui parle et ce qu’il a à dire est important. Il signifie la capacité à se comprendre soi-même et marque la profondeur de l’être. L’extrême en est alors le personnalisme. Dès lors, deux questions se posent : Si je ne m’occupe pas de moi, comment être moi ? Si je ne m’occupe que de moi, suis-je encore moi ? (ces questions ont été retrouvées dans un texte juif du VIIe siècle). La notion de personne et tout ce que cela implique est présent de façon implicite et explicite dans les encycliques.
  • Le concile Vatican II, et plus particulièrement Gaudium et spes, a insisté sur le principe de subsidiarité (ce que l’on peut faire au plus bas doit être laissé au plus bas. C’est là que se trouvent l’énergie, et c’est un principe de liberté). Le gouvernement est là pour faire ce qui ne peut pas être fait à la base. Il invite également à dépasser l’éthique individuelle, à une juste autonomie politique, à une éducation religieuse et politique des croyants qui ont une vocation séculière.

 

L’après midi de la journée était consacrée à expérimenter la méthode proposée dans l’ouvrage Notre Bien commun. Douze ateliers étaient proposés reprenant un des six thèmes proposés dans l’ouvrage : « la politique une bonne nouvelle ! », « la propriété, oui mais … », « le travail pour tous… », « société cherche famille… », « j’étais un étranger … » et « moins de biens, plus de liens … ». Les participants étaient invités à s’inscrire là où spontanément ils ne seraient pas allés, afin d’entrer dans la démarche dans un attitude « neutre ». Trois temps dans les ateliers ont permis de s’approprier le thème, de s’éclairer par ce que dit la pensée sociale de l’Eglise, et de trouver des moyens concrets pour mettre en œuvre ce qui a été dit.

 

            Quelques échos des ateliers :PB130151 PB130151  

            Concernant la propriété, certains se sont étonnés de ce thème dans ce sujet : est-ce qu’il n’est pas contradictoire avec l’idée de tout mettre en commun des premières communautés ? D’autres s’émeuvent du nombre de maisons à vendre, ou de maison secondaires fermées alors qu’à côté des gens dorment dehors. Qu’est-ce que la propriété universelle des biens ou la destination universelle des biens ? Gaudium et spes, aux nos 69-70 est intéressant sur ce sujet. Le CCFD travaille sur les questions de mauvaise répartition des terres dans le monde (cf document en bas de page).

            Pour le thème « moins de biens, plus de liens », il a été retenu du visionnage du DVD certaines phrases : « faire place aux autres dans nos choix individuels », « nos choix individuels ont un impact sur les autres », il a été question d’une approche positive de la limite : tout échec ouvre à un nouveau possible, il a été noté le regard très positif d’Eléna Lasida dans le DVD, elle insiste sur l’importance de la cohérence entre nos choix et notre foi, l’importance de prendre le temps, de savoir attendre, de l’espace et d’autrui, le fait que chacun à son niveau ait son levier d’action, l’homme est capable d’inventer des choses nouvelles, de rebondir, etc., le lien à la résurrection.PB130152 PB130152  

            Concernant la famille, plusieurs choses ont été mises en valeur : il y a des choses que l’on peut faire, d’autres qui sont plus du niveau politique. Prendre en compte la dimension économique quand on parle des familles.  Le mot famille est piégé aujourd’hui, il fuat en prendre conscience, et changer nos manières de parler si on ne veut pas être catalogué. Il existe des choses en Eglise.

 

            Un dernier temps en grand groupe a permis de prendre du recul sur la méthode proposée. Tous les participants ont témoigné que cet outil pouvait être utilisé, des projets sont PB130130 PB130130   en route : réflexion de Carême dans les paroisses, les doyennés, auprès des jeunes etc. Il faudra peut être adapter la méthode selon le public, faire un intro explicative (présente dans le document en texte et en film) cela demande de la part des animateurs de travailler le document avant, de se préparer. Non seulement c’est faisable, mais en plus c’est souhaitable. On peut également le proposer dans une optique plus large : auprès des hommes de bonne volonté. Ce n’est pas compliqué à mettre en route, et pour ceux qui se sentiraient un peu perdus, il ne faut pas hésiter à faire appel aux mouvements dont c’est le charisme, au service de l’apostolat des laïcs ou au service de la formation permanente … des personnes sont là pour aider ….

Henri Madelin insistait sur le fait que les encycliques invitaient à passer à l’action, mais à un action réfléchie et discernée. Nous avons là un document super de l’avis général, qui aide à réfléchir et à agir ... profitons en, et usons en !

 

Quelques réactions à l’issue de la journée : « c'était sympa, c’était bien. Je connaissais la pensée sociale, mais de loin. Le fait d’entrer dans le document  dans la démarche donne envie de creuser. C’est intéressant », « Constructif !  on part avec des idées préconçues et on ne se rend pas compte qu’on peut élargir ses horizons et s’améliorer. On n’est plus restreint dans notre monde. On peut s’engager plus », « Dynamique ! Bien varié, très intéressant ! Les gens ont une sensibilité à faire connaissance et à découvrir le sujet ensemble. Groupe très sympa ! », « ça nous fait nous déplacer »

 

Le livre Notre Bien commun est disponible au prix de 10 euros au service de la catéchèse, de la formation permanente du diocèse, mais également dans les librairies religieuses, etc.

 

Lire la recension Notre Bien commun

 

Documents complémentaires

Citation Paul VI Lettre au cardinalRoy  1971

§ 42 Si aujourd’hui les problèmes paraissent originaux par leur ampleur et leur urgence, l'homme est-il démuni pour les résoudre? C'est avec tout son dynamisme que l'enseignement social de l'Eglise accompagne les hommes dans leur recherche. S'il n'intervient pas pour authentifier une structure donnée ou pour proposer un modèle préfabriqué, il ne se limite pas non plus à rappeler quelques principes généraux: il se développe par une réflexion menée au contact des situations changeantes de ce monde, sous l'impulsion de l'Evangile comme source de renouveau, dès lors que son message est accepté dans sa totalité et dans ses exigences. Il se développe aussi avec la sensibilité propre de l'Eglise…

Paul VI

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Le bien commun

Luc Dubrulle dans Notre bien commun, page23

C'est le bien du «nous-tous»: le bien commun des personnes, saisies à la fois personnellement et ensemble, socialement. On pourrait dire que c'est le bien de la communion des personnes. Dans la vision catholique, le bien commun n'est pas l'intérêt général, lequel pourrait supporter le sacrifice du plus faible. Le bien commun est défini comme « l'ensemble des conditions sociales permettant à la personne d'atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement» (Mater et Magistra 65). Ces conditions regroupent bien des domaines et notamment: l'eau, l'alimentation, Je logement, le travail, l'éducation, l'environnement, les transports, les soins, la culture, la religion. Bien entendu, dans le bien commun, il ne s'agit pas de considérer seulement le bien des compatriotes, mais aussi le bien de toute l'humanité, présente et à venir.

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Benoît XVI, Le sacrement de la Charité (2007)

89. L'union au Christ qui se réalise dans le Sacrement (de l’Eucharistie) nous ouvre aussi à une nouveauté dans les rapports sociaux: « la “mystique” du Sacrement a un caractère social ». En effet, « l'union au Christ est en même temps union avec tous ceux auxquels il se donne. Je ne peux avoir le Christ pour moi seul; je ne peux lui appartenir qu'en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens ».

À ce propos, il est nécessaire d'expliciter la relation entre Mystère eucharistique et engagement social. L'Eucharistie est sacrement de communion entre frères et sœurs qui acceptent de se réconcilier dans le Christ, lui qui a fait des Juifs et des païens un seul peuple, abattant le mur d'inimitié qui les séparait (cf. Ep 2, 14). C'est seulement cette constante tension en vue de la réconciliation qui permet de communier dignement au Corps et au Sang du Christ (cf. Mt 5, 23-24). Par le mémorial de son sacrifice, il renforce la communion entre les frères et, en particulier, il pousse ceux qui sont en conflit à hâter leur réconciliation en s'ouvrant au dialogue et à l'engagement pour la justice. Il est hors de doute que la restauration de la justice, la réconciliation et le pardon sont des conditions pour bâtir une paix véritable.  De cette conscience naît la volonté de transformer aussi les structures injustes pour restaurer le respect de la dignité de l'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. C'est au moyen du développement concret de cette responsabilité que l'Eucharistie devient dans la vie ce qu'elle signifie dans la célébration. Comme j'ai eu l'occasion de l'affirmer, ce n'est pas le rôle propre de l'Église de prendre en charge le combat politique pour réaliser la société la plus juste possible; toutefois, elle ne peut et ne doit pas non plus rester à l'écart de la lutte pour la justice… . L'Église « doit s'insérer en elle par la voie de l'argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert toujours aussi des renoncements, ne peut s'affirmer ni se développer »…

 « Celui qui participe à l'Eucharistie doit en effet s'engager à construire la paix dans notre monde marqué par beaucoup de violences et de guerres, et aujourd'hui de façon particulière, par le terrorisme, la corruption économique et l'exploitation sexuelle ».

90. Nous ne pouvons rester sans rien faire devant certains processus de mondialisation qui font souvent grandir démesurément, au niveau mondial, l'écart entre riches et pauvres. Nous devons dénoncer ceux qui dilapident les richesses de la terre, provoquant des inégalités qui crient vers le ciel (cf. Jc 5, 4)…

 

Article publié par Bénédicte Jacquemont • Publié • 8533 visites