Jésus et les enfants

Lecture d'évangile

Capharnaüm, église maison de saint Pierre Jésus et les enfants  
Capharnaüm, église maison de saint Pierre
Capharnaüm, église maison de saint Pierre
 

Les textes évangéliques sur Jésus et les enfants ne sont pas nombreux. Le fait que chaque fois qu'il rencontre des enfants, Jésus finit toujours par s'adresser à ses disciples pour leur livrer un enseignement ou les mettre en garde, montre bien également que ce ne sont pas de simples histoires. Ils sont à relire à la lumière de la conception biblique de l'enfant.

 

 

L’enfant dans le monde biblique

 

Pour les hommes et les femmes de la Bible, l'enfant, surtout si c'est un garçon, est toujours un don de Dieu. Signe de la bénédiction divine, la fécondité est donc source de joie (Ps 127,3). A l'inverse, pour les femmes israélites, telle Rachel, Anne ou Elisabeth, la stérilité est source de honte (Gn 30,1 ; 1 Sm 1,4.11 ; Lc 1,25). Engendrer des enfants constitue même l'un des premiers impératifs divins (Gn 1,27-28). Mais avoir des enfants ne suffit pas. Encore faut-il les éduquer, notamment en les initiant à l'histoire du Peuple de Dieu.

 

En dehors du contexte de l'alliance divine et de la Torah, les enfants n'ont pas en effet d'importance particulière. Et si l'on trouve dans la Bible des exemples d'amour paternel ou maternel, il faut reconnaître que les hommes et les femmes de la Bible n'idéalisent pas les enfants. Au contraire, d'après la Bible, l'enfant, dès sa naissance, participe à la malignité commune: « Nul n'est pur de toute souillure, eût-il vécu une seule journée» (Jb 14,4), et ce que l'on évoque le plus souvent à son sujet, c'est son manque de jugement ( Is 3,4 ; Qo 10,16 ; Sg 12,24-25 ; 15,14 ;).

 

Pour les auteurs sapientiaux, les enfants doivent donc être sévèrement éduqués: « Qui ménage son bâton hait son fils, mais celui qui l'aime s'applique à le corriger»; «La folie est liée au cœur de l'enfant, le bâton qui châtie l’éloignera de lui» (Pr 13,24 ; 22,15 ; Si 30,1-13). Bref, si l'on a une haute opinion des enfants, ce n'est pas en raison de leurs qualités morales ou de leur innocence particulière, mais parce que les enfants deviendront un jour des « fils de la Torah» et qu'ils assurent l'avenir du Peuple de Dieu.

 

Ce rapide regard sur la manière dont on considère les enfants dans le monde biblique éclaire la façon dont Jésus se comporte à leur égard. C'est notamment le cas d'un épisode qui ne se trouve que dans les évangiles de Matthieu et de Luc. Il y est question d'une bande d'enfants qui se font mutuellement des reproches à la suite d'un jeu raté : « Nous avons joué de la flûte et vous n'avez pas dansé! Nous avons entonné un chant funèbre et vous ne vous êtes pas frappé la poitrine!  ( Mt 11,16-19 ; Lc 7,31-35). De quel jeu s'agit-il? On imagine des enfants, sur la place d'un village, qui se mettent à imiter les musiciens d'un repas de noces, et d'autres qui refusent de danser. Alors, ils imitent ce que font les adultes lorsque quelqu'un est mort. Mais, là aussi, les mêmes enfants refusent de pleurer et de se lamenter.

 

En soi, cette scène n'a rien d'extraordinaire, mais ce qui suit est plus étonnant. Du jeu des enfants, Jésus passe à un constat: « Jean est venu, il ne mange et ne boit, et l'on dit: 'Il a perdu la tête!' Le Fils de l’homme est venu, il boit et l'on dit: 'Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d'impôts et des pécheurs' ! ». Que dénonce Jésus ici? L'attitude de ses contemporains qui n'ont pas su interpréter les comportements spécifiques de Jean-Baptiste et du Fils de l'homme. Ils se sont comportés comme des enfants, ils ont manqué de discernement et de sagesse! Pas d'idéalisation donc ici de l'enfant, mais la même perception, chez Jésus, que celle que l'on trouve chez ses compatriotes. L'importance des deux autres épisodes où on le voit avec des enfants n'en est que plus grande.

 

Laissez les enfants venir à moi

 

Le premier épisode concerne des enfants que l'on apporte à Jésus pour qu'il les touche (Mc 10,13-16 et parallèles). Est-ce leur respect pour la personne de leur Maître qui pousse les disciples de Jésus à considérer que ces enfants sont trop insignifiants pour retenir son attention? On ne le saura jamais, mais toujours-est-il qu'ils rabrouent les importuns, ce qui provoque l'indignation de Jésus, suivie de cette réaction bien connue: « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux» (Mc 1 0, 14).


Ne nous méprenons pas, ce que Jésus met ici en valeur, c'est d'abord la gratuité de Dieu : à ces enfants qui n'ont rien ou qui sont encore si peu, à eux qui n'ont pas encore atteint « l'âge de la Loi», et qui ne peuvent par conséquent se targuer d'aucun mérite, « appartient le Royaume de Dieu ». Nulle compétence légale, nulle vertu préalable, nulle innocence ou humilité particulière : de cela, Jésus ne dit rien. Pour lui, seule leur faiblesse constitue la raison pour laquelle, avec ceux qui leur sont semblables, les enfants occupent une place à part dans le Royaume de Dieu. Inutile donc de chercher dans ce récit un enseignement sur la nature des enfants ou sur des qualités qui leur seraient propres. Ce qui est d'abord mis en valeur, c'est la nature de Dieu, et sa volonté d'offrir, gratuitement et en dehors de tout calcul, son Royaume aux enfants et à ceux qui sont comme eux.

 

Suit un enseignement sur l'accueil du Royaume de Dieu: «En vérité, je vous le déclare, qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas ». Après avoir montré que ce n'est pas en raison de leurs dispositions religieuses exceptionnelles que le Royaume de Dieu appartient aux enfants, Jésus indique ici le seul chemin possible pour « entrer dans le Royaume »: faire confiance, s'abandonner entres les mains de Dieu, se livrer à la toute puissance de son amour. Car on n'entre pas dans le Royaume par ses propres mérites, mais par un don gratuit de Dieu accepté comme tel.

 

Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même

 

Le troisième épisode où l'on voit Jésus avec des enfants est rapporté par les évangélistes Marc, Matthieu et Luc (Mc 9,33-37 et parallèles). Dans les trois récits, il est question du « pouvoir », soit que les disciples se querellent pour savoir lequel d'entre eux est le plus grand, soit qu'ils se demandent qui est le plus grand dans le Royaume des cieux.
Et, dans les trois récits, Jésus énonce le même paradoxe : le plus grand dans le Royaume des cieux, c'est celui qui est le plus petit aux yeux des hommes. Joignant le geste à la parole, Jésus prend alors un enfant qu'il donne en exemple. Dans l'évangile de Marc, le geste de Jésus qui prend un enfant, le place au milieu des Douze et l'embrasse, est associé à une recommandation sur la manière d'exercer le pouvoir au sein de la communauté chrétienne: « Si quelqu'un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous ».

 

En même temps qu'il concrétise le service que Jésus vient de présenter comme une des conditions de l'exercice du véritable pouvoir, ce geste en révèle le sens profond : vouloir être premier, c'est accueillir et servir tous ceux qui, dans la communauté chrétienne comme dans la société, occupent la dernière place. C'est accueillir les petits et les pauvres dont l'enfant, dans sa situation de dépendance objective, est l'image, sachant que c'est à eux que Dieu s'identifie : « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m 'a envoyé ». En conséquence, pour celui qui veut être le premier au sein de la communauté chrétienne il n'y a pas d'autre exigence que celle de se faire serviteur de ceux que l'on considère habituellement comme insignifiants.

 

Que retenir de ce rapide survol ? D'abord, qu'il ne faut pas confondre « esprit d'enfance» et « esprit d'innocence ». Comme nous l'avons vu, ce n'est pas parce qu'il serait prétendument pur, innocent et naïf que l'enfant est donné comme modèle du juste comportement à l'égard de Dieu, mais parce qu'il est dépendant et qu'il n'a aucun titre à faire valoir. Il est tout entier accueil. Il reçoit, les mains vides, ce que les autres, plus âgés et plus forts, lui offrent.

 

Par son caractère inédit, cet enseignement de Jésus nous conduit au cœur même du message évangélique qui promet aux enfants, aux pauvres et aux petits, une place particulière dans le Royaume. Non pas en raison de leurs qualités ou de leurs dispositions spirituelles particulières, mais parce que Dieu est juste et bon, et que, sans exclure personne, il accorde aux faibles et aux petits sa bienveillante et fidèle prédilection.

 

Aussi bien dans la communauté chrétienne que dans le monde, les petits et les pauvres sont le rappel de la contradiction du monde nouveau inauguré par la venue de Jésus : les premiers n'y sont pas toujours ceux que l'on croit. Accueillir ce renversement, c'est s'ouvrir au salut, avec la grâce divine et les exigences qui en découlent.

 

Mgr Pierre Debergé Recteur de l'Institut Catholique de Toulouse
(Auteur de Jésus, le Christ. Un débat politique? Bayard, 2009, où l'on trouvera de plus amples développements sur ce sujet)

Publié dans “Migrants et réfugiés”, de la Pastorale des Migrants.2009
 

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 18758 visites