Fiche 01 Matthieu 1-2 Maison d'Evangile

Généalogie et récits d'enfance

Il est conseillé de lire d'abord le texte de l'Evangile, ch. 1 et 2 de Matthieu avant de lire cette fiche. Le texte ci-dessous est proposé en format pdf en bas de page pour être imprimé en recto-verso.

Les chapitres 1 et 2 sont la manière dont Matthieu comprend Jésus. Les récits sont moins des récits historiques que des récits à portée symbolique. C'est de cette manière que Matthieu exprime que Jésus est fils d'Israël et envoyé aux païens, rejeté par son propre peuple. Acceptons d'entrer dans son jeu d'écriture.

 

Avant de lire Matthieu.
 

Matthieu Evangile Matthieu Evangile   Le texte écrit de l’Evangile est ce qui nous reste du dialogue que Matthieu a voulu entretenir avec une communauté particulière de chrétiens. En faire une lecture continue nous amènera à des découvertes, des questionnements, parfois aussi des difficultés de compréhension, car nous ne sommes pas immergés dans le contexte philosophique et religieux de leur civilisation. C’est à nous de faire effort pour rejoindre les partenaires de ce dialogue, à cause de Jésus, venu un jour du temps.
Les chrétiens pour qui Matthieu écrit sont de Syrie-Palestine et d’origine juive. Ils sont contestés par les autres Juifs, guidés par le courant pharisien, survivants de la guerre et de la destruction de Jérusalem en + 70. Ces chrétiens d’origine juive se trouvent contestés aussi par les chrétiens issus du paganisme, qui vivent autrement leur rapport à Moïse et à la Loi. Ceux d’entre nous qui ont lu Luc et les Actes ont pu mesurer les tensions nées de l’ouverture des chrétiens vers les païens.

 

La lecture des deux premiers chapitres peut nous indisposer. Ce ne fut pas le cas au temps de Matthieu, sinon les premiers chrétiens n’auraient pas transmis ces textes. Ils les ont gardés parce que ces textes, écrits dans le langage de leur époque, les ont aidés à accueillir la Bonne Nouvelle de Jésus alors que celui-ci avait été condamné et crucifié. Pour eux, il était le Messie de Dieu, celui qu’avaient annoncé Moïse et les prophètes, celui que Dieu avait ressuscité. Telle n’était pas la conviction des descendants du judaïsme qui avaient condamné Jésus. Ils n’acceptaient pas que des disciples de Jésus parlent encore de lui et essaiment dans tout l’empire romain. L’Evangile de Matthieu porte les traces de ces conflits violents, non seulement entre Jésus et les Juifs de son temps, mais aussi entre les judéo-chrétiens et les Juifs des années 80.

 

Lecture d’ensemble
 

 

Le livre des origines de Jésus, Mt 1, 1-17


Enluminure. Arbre de Jessé, père de David considéré come l'ancêtre de Jésus. L'arbre de Jessé  
Enluminure. Arbre de Jessé, père de David considéré come l'ancêtre de Jésus. "un rameau naitra de toi..."
Enluminure. Arbre de Jessé, père de David considéré come l'ancêtre de Jésus. "un rameau naitra de toi..."
L’Evangile commence par une généalogie, succession de noms à laquelle nous ne comprenons pas grand-chose. De plus, elle nous semble artificielle et invérifiable. Mathieu nous met la puce à l’oreille quand il écrit “livre des origines”, littéralement livre de la genèse de Jésus, comme pour Adam, comme pour Noé ! Il conclut par “3 fois 14 générations” : d’Abraham à David, de David à la déportation (Exil), et de la déportation à la naissance de Jésus. 14 est aussi un multiple de 7, synonyme de perfection et d’achèvement. On peut aussi combiner “6 fois 7”, tout comme pour la Création en Genèse, qui s’étend sur six jours, le septième étant le jour de Dieu. Les origines de Jésus comportent six époques -ou générations-, et voici maintenant le septième, jour de Jésus, fils de Dieu, et de ses disciples, nouveau peuple de Dieu.

 

Etablir la généalogie d’un personnage important permettait de le situer socialement. Le roi Hérode, iduméen, ne pouvait pas justifier de son ascendance royale et juive. Matthieu revendique pour Jésus son ascendance juive et royale. Les deux premières séries de noms correspondent aux listes de la Bible : livre de Ruth 4, 18-22, et premier livre des Chroniques 2, 10-13. Tous les Juifs connaissaient ces listes. Dans l’énumération, Matthieu insiste sur la déportation, perçue comme condamnation divine que Jésus sauveur vient lever. La troisième énumération n’est pas connue de la Bible. Matthieu a glissé le nom de quatre femmes en plus de Marie. Habituellement les généalogies suivent la transmission masculine. Matthieu évoque quatre femmes : Thamar, Rahab, Ruth et la femme d’Urie qui sont, ou étrangère ou prostituée, ou illégitime. Sans doute veut-il, dès les premières lignes, signifier l’universalité du message : au Royaume de Jésus, il n’y a aucune exclusion ; la Bonne Nouvelle est universelle et s’adresse à tout homme, à toute femme, au-delà des préceptes de la Loi ou des frontières. Aujourd’hui, au XXIème siècle, les chrétiens ont encore à ouvrir leurs portes à l’étranger, à l’exclu.


L’annonce à Joseph, 1, 18-24
Pendant le sommeil de Joseph, Dieu lui confie la mission d'élever et de protéger Jésus Annonce à Joseph  
Pendant le sommeil de Joseph, Dieu lui confie la mission d'élever et de protéger Jésus
Pendant le sommeil de Joseph, Dieu lui confie la mission d'élever et de protéger Jésus
représentation traditionnelle de la sainte famille. A Nazareth Sainte famille - Nazareth.JPG  
représentation traditionnelle de la sainte famille. A Nazareth
représentation traditionnelle de la sainte famille. A Nazareth
Curieusement, Matthieu parle davantage de Joseph que de Marie. C’est à lui que l’ange confie le nom et la mission de l’enfant. C’est encore lui qui sera sollicité par l’ange pour quitter Bethléem vers l’Egypte, puis pour monter vers la Galilée.

Entre ces deux récits, il y a la visite des Mages (voir le zoom). Rien sur la naissance de Jésus : “Jésus étant né à Bethléem de la Judée…”. Notre tentation est grande de compléter avec Luc ce qui manque aux récits d’enfance. Evitons de fusionner les différents Evangiles et ne faisons pas ce que Matthieu n’a pas jugé utile de faire ! Il se soucie de faire reconnaître que Jésus vient de Dieu et de Joseph, de la lignée de David.

 

De Bethléem à Nazareth en passant par l’Egypte. 2, 13-23
Dès la naissance de Jésus, la violence et le rejet l’entourent. Le massacre et le sang versé révèlent déjà une volonté d’empêcher toute descendance au nouveau peuple, tout comme le pharaon l‘avait fait pour les Hébreux.


La fuite en Egypte n’est pas une simple anecdote. Matthieu en donne lui-même l’explication par une citation d’Osée : “D'Egypte, j'ai rappelé mon fils”. Le prophète Osée et les Juifs la comprenaient comme évocation de l’Exode, sortie d’Egypte du peuple juif. Nous, nous l’appliquons à Jésus, dont le nom signifie “Dieu sauve”. Jésus est sauvé du massacre comme Moïse, puis sortant d’Egypte, il commence un nouvel Exode : Jésus est le nouveau Moïse qui sauvera le peuple de Dieu.
Autre nom donné à Jésus : Emmanuel, Dieu-avec-nous… ; si vous lisez les derniers mots de l’Evangile, vous trouverez l’affirmation de Jésus “Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps”. Ce n’est pas par hasard si Matthieu commence et termine son Evangile par la bonne Nouvelle de “Dieu-avec-nous”. Est-ce encore notre foi aujourd’hui ?

 

Zoom. Les mages. 2, 1-12


Enluminure d'Egbert La visite des Mages  
Enluminure d'Egbert
Enluminure d'Egbert
La visite des mages est sans doute ce qui émerveille le plus, petits et grands. Etait-ce bien le but de Matthieu ? Qui sont les personnages de cette histoire, que font-ils, de quels lieux est-il question ?
 

  • • Peu de précisions sur l’identité des mages. Ils sont guidés par un astre brillant, avertis en songe… manière de dire qu’ils sont “proches de Dieu”. En même temps, ils sont très actifs : arriver, demander, adorer, se mettre en route, entrer, se prosterner, rendre hommage, ouvrir les coffrets, offrir les présents. Cela fait beaucoup d’activité, comparé aux autres personnages plutôt “inactifs”.
    Les mages sont présents à toutes les étapes du récit, ils sont les premiers païens à accueillir le Messie.
     
  • • Hérode, c’est le roi dans son palais, qui claque du doigt quand on lui pose une question. Il est troublé qu’il y ait un autre roi, que lui ! Les mages, eux, se sont réjouis à la vue de l’enfant. Hérode enrage de connaître son existence. Il a déjà un plan.
     
  • • L’enfant est silencieux, cependant il fait parler de lui : “le roi des Juifs qui vient de naître”, celui dont un prophète aurait annoncé la naissance à Bethléem. Il reçoit les présents des mages. Le titre qui lui est donné, “Roi des Juifs”, nous le retrouverons sur l’écriteau du crucifié.
     
  • • Les grands-prêtres et les scribes : ils savent et répondent à la demande. Ils sont associés à Hérode, opposant à Jésus.
     
  • • Parmi les lieux : Jérusalem et Bethléem. L’une est parée de toutes les qualités traditionnelles d’une capitale, mais le Messie n’est pas né chez elle. Bethléem, “la plus petite des villes de  Juda” selon le prophète Michée, devient toute autre, par un tour de passe-passe de Matthieu :

Lumière pour les nations. Porte de bronze visite des Mages; Nazareth Mages- Nazareth porte bronze  
Lumière pour les nations. Porte de bronze visite des Mages; Nazareth
Lumière pour les nations. Porte de bronze visite des Mages; Nazareth
 “tu n’es nullement la plus petite des villes de Juda” !

Jérusalem, la capitale, est dépossédée au profit d’un village inconnu. En effet, les mages, venus adorer à Jérusalem, apprennent de la bouche même d’Hérode que tout se passe à Bethléem.

 

En même temps que la Ville, Matthieu dénonce les chefs des prêtres et les scribes du peuple. On les retrouvera pour demander la mort de Jésus, (Mt. 27).

 

 

Ainsi ce “gentil récit” se transforme en arme redoutable révélant dès l’origine, une opposition entre le roi Hérode et Jésus-Roi. En opposant Jérusalem, la capitale qui se croit bien assise, avec Bethléem ville de rien, Matthieu rend à Bethléem sa dignité de ville de David. En jargon populaire, on dirait que Matthieu remet les pendules à l’heure.

 

Pour aller plus loin
 

Comparer avec la littérature contemporaine.

 

Les études récentes sur la manière d’écrire l’histoire au premier siècle, en monde juif et gréco-romain (M-F Baslez), amènent à découvrir que Matthieu écrit les récits de l’enfance, conformément aux habitudes de l’époque concernant les hommes illustres. Son objectif est de manifester Dieu à l’œuvre dès l’origine, que l’enfant possède en lui des ressources inespérées, qu’il subit dès sa naissance des agressions ennemies dont il sort vainqueur [comme Moïse, Cyrus, Hammourabi, Romulus et Rémus !]. Il n’y avait pas de journalistes pour écrire l’éphéméride ! En même temps Matthieu polémique : la renommée de l’enfant s’est répandue auprès des païens de Mésopotamie, des lointains de la terre, tandis que le cœur même de la religion, Jérusalem et ses prêtres, ne l’a pas reconnu. Conclusion selon Matthieu : que la première génération de chrétiens ne s’étonne pas d’être, elle aussi, rejetée !

 

Les songes
 

Le songe de Joseph Palerme. ChapellePalatine Le songe de Joseph Palerme. ChapellePalatine    Faire appel aux songes, aux anges nous semble irréel ; pourtant cela fait partie de la littérature antique où intervenaient les divinités et les puissances. Beaucoup de “Vies de Moïse” circulaient au premier siècle ; elles brodaient allégrement sur la dimension du merveilleux qui entoure sa naissance. De même les livres d’Apocalypse foisonnent de récits “merveilleux”. On trouve ces mêmes représentations dans les biographies d'hommes illustres des temps anciens: c'était une manière de signifier dès le début l'importance de leur destinée. Les destinataires de Matthieu ne se sont donc pas offusqués ; ils ont été attentifs à la signification du récit. Ainsi, par un jeu d’oppositions, Matthieu présente le visage de Jésus roi-messie (à qui l’on offre des présents), tout à l’opposé du roi des Juifs de l’époque, Hérode, despote sanguinaire. De là peut naître la question, hier comme aujourd’hui : “Dieu est-il à ce point impuissant qu’il ait laissé faire ?” Cela nous prédispose à entendre le récit de la crucifixion… :“et Dieu ne vient même pas le sauver !”

 

Conclusion :
 

En filigrane au récit de l’enfance, il nous faut deviner l’itinéraire de Jésus adulte, rejeté par les siens et reconnu par les étrangers. Pensons enfin aux chrétiens obligés de satisfaire au culte de l’empereur : au premier siècle, la religion romaine tendait à diviniser les empereurs. Matthieu provoque au retournement : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? …Dans le dernier des villages de Juda !”

Nous voudrions savoir quelle est la vérité théologique et historique de ces paroles. Ces paroles ne sont-elles pas plutôt un chemin, un cheminement vers la vérité de Dieu en Jésus ? Nous ne pouvons pas la saisir en totalité, mais nous pouvons nous en approcher. Cette fiche ne peut rendre compte de toutes les interprétations. Puisse-t-elle nous ouvrir à la Parole de Dieu, pour en vivre aujourd’hui.

 

Prière
 

 

Ecouter Dieu dans le silence

 

Aide-moi, Seigneur,
à envelopper ma vie de silence :
le silence de l'attente et de l'attention,
le silence de la vigilance et de la transparence,
le silence de la pauvreté et de l'humilité,
le silence de la patience et de la persévérance.

Aide-moi, Seigneur, à percevoir le silence,
le silence de la création première, le silence de la nuit,
le silence des sources et des ressourcements,
le silence de la mer, le silence des espaces infinis.

Aide-moi, Seigneur, à prendre mes distances
avec les agressions du bruit,
avec le vacarme des mots, avec les verbiages et les cabotinages.
Apprends-moi à faire silence au cœur des rumeurs de mon cœur,
pour que je puisse créer, au fond de moi,
un espace de silence où puisse entrer ta parole.

Aide-moi, Seigneur, à te rencontrer dans le silence de ta présence,
dans le silence de ton amour, dans le silence de ta grâce.

 

Jean-Pierre Dubois-Dumée
Prier avec les mots de tous les jours DDB

 

Faites parvenir vos questions ou découvertes à :
Lire l’Évangile, Maison diocésaine BP1016 – 62008 Arras cedex
Ou par mail à hennart-eh@orange.fr
Les fiches sont publiées dans Eglise d’Arras, n° 14 à 21/2011
et dans le site diocésain : http://arras.catholique.fr/Matthieu ,
disponibles à la Maison diocésaine

 

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 8474 visites