Concile Vatican II, d’hier à aujourd’hui
Pour comprendre ce qu'ont voulu Jean XXIII et les évêques
Information: Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont propose sur son site diocésain une série de neuf vidéos. Découvrir en images les grands textes du Co,ncile, ses bienfaits pour les catholiques aujourd’hui est aussi une invitation aux initiatives nouvelles. Voir le résumé
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Les évêques de France ont célébré les 24 et 25 mars à Lourdes, le cinquantième anniversaire de l’ouverture de Vatican II, entre eux et entourés de délégués laïcs de chaque diocèse. Courant octobre chaque diocèse, fêtera cet anniversaire. Nous le fêterons à la cathédrale d’Arras au cours de la journée du 14 octobre : retenez cette date.
Le parcours proposé ci-dessous (ou la vidéo signalée en tête de la page) peuvent permettre à chacun de situer l’évènement et les idées dans le cours de l’histoire du XXème siècle.
I- Le concile en son engendrement : contexte sociétal et ecclésial de 1870 à 1960
Le concile Vatican I (1869-1870) avait pour but la propagation et l’exaltation de la foi ainsi que l’extermination des erreurs qui se répandaient. Lorsqu’éclate la guerre de 1870, les 750 évêques réunis en concile n’ont abordé que la première partie des travaux envisagés, concernant la doctrine de la foi (Dei Filius), la primauté et l’infaillibilité pontificales. Le texte fut voté en juillet 1870 par 535 voix ; (114 s’étaient absentés pour ne pas exprimer leur opposition). Suspendu dans un premier temps, le concile ne sera jamais repris. La perte du pouvoir temporel du pape sur les Etats Pontificaux en 1870 a pu influencer la méfiance de l’Eglise à l’égard du monde moderne.
L’Eglise dans la mêlée du monde
La période 1870-1960 est marquée, outre la guerre de 1870, par deux conflits mondiaux. Cette période voit la naissance des totalitarismes : marxisme, nazisme, fascisme. C’est aussi l’époque des soubresauts de courants politico-religieux issus de l’intégrisme du début du siècle (par ex. l’Action française). L’Eglise est affrontée au monde moderne dans son extrême complexité, où les rapports entre foi et science sont souvent conflictuels. De nouvelles approches exégétiques de l’Ecriture se font jour avec la méthode historique. Cependant, le soupçon de modernisme freine le dialogue entre l’Eglise et les sciences.
La question sociale
A partir de Léon XIII (1876-1903) les questions sociales sont davantage prises en compte par l’Eglise. Des laïcs et des prêtres proposent un modèle de société, la démocratie chrétienne. De nouvelles formes d’apostolat, dont l’Action catholique, sont reconnues le jour. Une nouvelle compréhension de la mission “à l’extérieur” se fait jour. A cette même époque naît et se développe le mouvement pour l’unité des chrétiens.
On reconnaîtra à cette époque une richesse de débats, de tensions aussi. Le magistère réagira par des condamnations suscitées par l’incompréhension de ce qui se passe, par la peur, par le rejet du monde moderne. Ce contexte a une influence sur la manière dont l’Eglise se définit et définit sa doctrine “face au monde”. C’est dans ce contexte que les papes Pie XI et Pie XII ont souhaité un nouveau concile (1923 ; 1948).
Internationalisation de l’épiscopat
Un pape de transition disait-on A l’avènement de Jean XXIII, l’Eglise est présente sur les cinq continents avec des évêques originaires d’Afrique et d’Asie. Ils donnent à l’Eglise un visage plus universel. En 1959, quand le pape convoque le concile, ce fut plus qu’un étonnement. Les interrogations portèrent alors sur le comment et le pourquoi. Comment réunir tous ces évêques, en quels lieux, selon quelles procédures ? Pourquoi un concile, puisqu’il y avait le pape infaillible ? Il y avait bien le souhait de continuer l’œuvre inachevée en 1870 ; il y avait aussi le souci d’apporter des remèdes aux conflits des nations ; il y avait déjà, dès 1939, lors de l’élection de Pie XII, un profond désir de réformer l’Eglise catholique. Cependant l’étonnement est grand à la convocation du concile, étonnement encore plus grand quand le pape déclare que le concile n’a pas pour but le seul bien-être du peuple catholique, mais qu'il soit aussi une invitation aux communautés séparées pour la recherche de l’unité…” Jean XXIII insistait encore sur l’ouverture des portes et des fenêtres pour signifier l’ouverture de l’Eglise aux questions et aux problèmes du monde.
II- Le concile en son déroulement (1962-1965)
Les participants
Ils sont entre 2100 et 2650 évêques et supérieurs religieux présents durant les 4 sessions. Pour la première fois participent aussi des observateurs laïcs dont certains non catholiques. De 31 à la première session, ils sont 93 à la fin du concile. Parmi eux, des experts théologiens, des laïcs et des religieux.
Le déroulement
Dans l’intense phase préparatoire, de nombreux documents sont proposés aux évêques. Entre 1962 et 1965, quatre sessions (environ un trimestre chacune) réunissent les évêques. Mener à son terme l'oeuvre de son prédecesseurDe nombreuses commissions favorisent un travail approfondi, par langue et selon les sujets abordés. Ce travail se poursuit entre les sessions. Les débats visent à obtenir un consensus, lequel est perceptible dans les votes acquis à la quasi-unanimité. Pour obtenir ce consensus, certaines expressions comportent de telles nuances qu’il faudra par la suite, un exercice d’interprétation qui tienne compte des discussions et des débats. Après le décès de Jean XXIII, son successeur, Paul VI, élu le 21 juin 1963 décide la poursuite des travaux conciliaires. Dans son discours d’ouverture, il manifeste son désir de voir le concile établir un pont entre l’Eglise et le monde contemporain. Le pape prenait peu la parole, laissant le soin à des “modérateurs” de gérer les débats.
Des tensions perceptibles.
Beaucoup des documents préparatoires, établis sous la vigilance du Saint-Office, furent remis en cause par l’assemblée conciliaire. Le schéma sur l’Eglise fut l’objet de nombreux débats : l’Eglise en son Mystère, communion-mission, peuple de Dieu ; le rôle de Marie. Des discussions portent sur la liberté religieuse et l’œcuménisme, la Révélation, le rapport aux Juifs, ce que l’Eglise apporte au monde et ce qu’elle reçoit du monde. Au cours des 2 et 3ème sessions, l’impression s’est développée que le concile était freiné par une opposition toute centrée sur la hiérarchie et le magistère. Les projets sur la liberté religieuse et “l’Eglise dans le monde de ce temps” furent âprement discutés, de même celui sur la Révélation. Les documents soumis aux votes sont donc, bien souvent, le fruit de compromis entre courants majoritaire et minoritaire. Cela obligera les interprètes, après le concile à prendre en considération la dynamis qui a présidé à la rédaction de ces textes, à leur perspective pastorale et pas seulement doctrinale.
Entre les sessions, des évêques, tel Mgr Huyghe par exemple, rencontraient dans leur diocèse les laïcs et les prêtres investis dans ue charge pstorale concrète.
Ceux-ci, laïcs et prêtres, étaient de fait informés des travaux conciliaires et pouvaient mesurer comment, dans l'assemblée conciliaire, étaient perçus leurs préocupations et leurs initiatives.
III-Le concile en son enseignement
Quatre documents ont le statut de constitution : sur la Liturgie (Sacrosanctum Concilium), sur la Révélation (Dei Verbum), sur l’Eglise (Lumen Gentium), sur l’Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes). Avec 9 décrets et 3 déclarations, nous avons l’ensemble des textes votés par le Concile. Tous ces textes ont été approuvés à la quasi unanimité : 2400 à 2500 votes positifs pour quelques dizaines négatifs.
Sacrosanctum concilium,
La Constitution sur la liturgie, est le premier document promulgué. Il ne se réduit pas à sa dernière partie, consacrée, elle, aux questions des rites et pratiques. Le document remet le mystère pascal du Christ mort et ressuscité au centre de la vie de l’Eglise et des chrétiens : “Jamais l'Eglise n'omit de se réunir pour célébrer le mystère pascal ; en lisant ‘dans toutes les Ecritures ce qui le concernait’” §6 “C'est du côté du Christ endormi sur la croix qu'est né "l'admirable sacrement de l'Eglise tout entière” § 13 La liturgie est comprise comme la rencontre du Christ agissant dans son Eglise et l’attente active de sa venue dans la gloire. La constitution rappelle la place de la Bible dans la liturgie, dans toute célébration liturgique. La publication du nouveau “Missel romain” en 1969 consacre des années de travail pour une liturgie renouvelée, travail commencé dès avant 1953 avec la restauration du triduum pascal par Pie XII.
Lumen Gentium.
La constitution “Lumière des nations” invite à considérer d’abord l’Eglise en son Mystère : elle est sacrement, c’est-à-dire à la fois “signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain“. Elle est née du projet d’Amour de Dieu Père qui donne son Fils et qui la confie à l’Esprit saint. L’Eglise est Corps du Christ, animée par l’Esprit, communion-mission, peuple de l’Alliance, peuple de Dieu constitué d’Eglises locales (les diocèses). Le second chapitre est consacré au Peuple de Dieu, peuple sacerdotal constitué par tous les baptisés. Le ch. 3 aborde la place et le rôle des ministères : évêques, prêtres, diacres, ordonnés pour le peuple de Dieu, afin qu’ensemble, tous vivent la triple fonction du Christ : prophète, prêtre et roi. Le chapitre 8 est consacré à Marie, dans sa relation au Christ et à l’Eglise.
Dei Verbum
La constitution sur la Révélation a bénéficié des apports de l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII. Dei Verbum développe une compréhension renouvelée de la Révélation et du rapport de Dieu aux hommes : “Dieu invisible s'adresse aux hommes en son immense amour comme à des amis ; il entre en conversation avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie” §2. En raison de l’attention prioritaire accordée à l’ecclésiologie, il a fallu du temps pour que Dei Verbum soitétudié et reçu dans toute sa richesse.
Dei Verbum accueille le travail de l’exégèse, souhaitant qu’elle ne soit pas une simple étude littéraire. Des précisions sont apportées quant au rapport entre Ecriture, Tradition et Magistère. La constitution rappelle l'unité de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Gaudium et Spes.
Cette constitution répond au projet de reconsidérer les rapports de l’Eglise au monde, refusant de reproduire les habituelles condamnations de précédents conciles. On ne peut plus parler de “l‘Eglise face au monde” mais de “l’Eglise dans le monde”. Ce nouveau rapport de l'Eglise au monde inspire bien des textes, par exemple les § 43-44 où les pères parlent de l’aide que l’Eglise apporte au monde et, en même temps, de l’aide que l’Eglise reçoit du monde.
Décrets et déclarations
Neuf décrets : la charge pastorale des évêques, le ministère et la vie des prêtres, la formation des prêtres, la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse, l’Apostolat des laïcs, l’activité missionnaire de l’Eglise, l’œcuménisme, les Eglises orientales, les moyens de communication sociale.
Trois déclarations : sur la liberté religieuse, sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, sur l’éducation chrétienne.
IV- Et maintenant ? Le concile aujourd’hui
Quand, aujourd’hui, on évoque Vatican II, viennent d’abord à la mémoire les tensions, les conflits. Il est plus rare que l’on retourne aux sources, aux textes, pour comprendre l’importance de ce qui a pu se passer en ce moment favorable des années 62-65, et dans les années proches, avant et après. A l’épreuve du temps, n’y a-t-il pas eu exaspérations et déceptions : incompréhensions et difficultés d’interprétation des textes, sentiment d’inefficacité, incompréhensions sur la nouveauté et les motifs de changements. La peur de l’avenir a pu éveiller le désir d’un retour crispé au passé. Ainsi, fêter l’anniversaire des cinquante ans est-il une bonne occasion pour aller, avec intelligence, à la rencontre des pères, de leurs intuitions et de leurs convictions. Ce qu’ils ont voté à la quasi unanimité mérite plus que du dénigrement ou du désintérêt. Ne soyons pas étonnés que, comme lors de précédents conciles, il faille du temps pour que les héritiers se laissent pénétrer par la force de l’Esprit qui a ouvert portes et fenêtres de l’Eglise.
Dans la réception du concile, on peut retenir trois attitudes pastorales et théologiques
Une première attitude, optimiste, voire enthousiaste.
Je me souviens de l’enthousiasme de ce temps. Les séminaristes que nous étions suivaient avec intérêt les informations véhiculées par la presse. Nous étions à l’écoute de l’enseignement des professeurs, en particulier des abbés Quinot, Jacquet, Rollin ou Noyer. Dans les paroisses, il y avait de nombreuses initiatives concernant la mise en œuvre de la liturgie et la formation du peuple de Dieu. S’il y eut des excès dans cette mise en œuvre, il y eut aussi beaucoup d’excès injustifiés dans les critiques émises. Le concile n’avait pas résolu toutes les questions présentes et futures auxquelles s'affrontent les chrétiens et les hommes de bonne volonté. De réelles difficultés surgirent, amplifiées par la peur, une peur viscérale devant un avenir incertain, et devant le fait de société appelé “mai 68”, suivi deux mois après par la non-réception d'Humanae Vitae.
Une seconde attitude.
Se font entendre ceux qui, au cours du concile, avaient manifesté leur opposition parfois acharnée. Se développent alors pessimisme et polémiques où l’on discute jusqu’à chaque bout de phrase. Certains ont entretenu un refus systématique, utilisant de faux arguments comme celui de laisser dire que le concile avait créé la crise, alors que la réalité historique était inverse : l’appel à un concile, souhaité par Pie XI et Pie XII, provenait de leur constat d’une nécessaire réforme à cause des transformations de la société. Un autre mode de présence de l’Eglise au monde devenait inéluctable. Des groupes aux intentions plus “politiques”, sous couvert de religion, ont pu entretenir une collusion entre leurs souhaits de restauration de la société et leurs souhaits de restauration de l’Eglise.
Une troisième attitude,
Une attitude plus pastorale se développe avec une nouvelle génération de théologiens. Ils reprennent l’étude des textes donnant place à l’étude du contexte de la préparation des documents, attentifs à la prise en compte des intentions exprimées par les pères au cours des travaux préparatoires, recevant les textes comme des ensembles construits, et non pas comme une succession de positions doctrinales énoncées de manière dogmatique.
Dans l’effort d’interprétation des textes conciliaires, ces théologiens prennent en compte à la fois le contexte historique de leur rédaction et le contexte actuel dans lequel ils sont relus. Ce faisant, ils sont fidèles à la démarche rappelée par Benoit XVI à propos de l’interprétation des Ecritures, dans son discours aux Bernardins en 2008 : “elle a besoin de la communauté où elle s’est formée et [de la communauté] où elle est vécue”. Ceci permet d’éviter une lecture fondamentaliste des textes. Les décisions de l’Eglise et les textes de Vatican II ont un rapport avec les réalités du monde, réalités contingentes. Aussi, plutôt que d’opposer continuité et discontinuité du concile avec les précédents, le pape préfère aujourd’hui écrire : “C’est dans cet ensemble de continuité et de discontinuité à des degrés divers que consiste la nature de la vraie réforme”.
Enfin, comme pour tous les textes de l’Ecriture et de la Tradition, la réception des textes du concile suppose un cœur qui les accueille d’abord avec respect et désir de comprendre. Pour Jean-Paul II, “le concile nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence…” N’est-ce pas une invitation à recevoir ces textes dans la confiance ?
Conclusion
L’avenir est ouvert à condition qu’on ne ferme pas les portes. Parmi celles-ci : une nouvelle manière pour l’Eglise de se reconnaître présente au monde, davantage en dialogue ; devant les difficultés et l’indifférence, éviter de céder au repli entre nous, dans nos murs ; vouloir être là où se jouent le présent et l’avenir des hommes. Autre porte : le souhait que les chrétiens des différentes confessions puissent se réunir. Enfin, favoriser la place de la Bible et de sa nécessaire interprétation dans la vie des chrétiens et dans la liturgie ; développer les fruits d’une meilleure compréhension de la Révélation, devenir familier des Ecritures. Souhaitons donc que les uns et les autres deviennent Eglise Corps du Christ, Temple de l’Esprit, Eglise aux portes ouvertes, Eglise présente au monde, qui sache écouter et parler aux hommes selon leurs langages.
Abbé Emile Hennart
Questions pour relire l’article.
- Citez quelques insistances du Concile Vatican II
- Après Vatican I, quels papes ont souhaité un autre concile ?
- Depuis quand la question sociale est-elle davantage prise en compte ?
- Que signifie pour votre vie "faire place à l'Ecriture" ?
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Recension: voir page recensions Vatican II raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu, écrit par Daniel Moulinet. Editions de l'Atelier 2012, 112 pages, 12 €