Témoignage d’un simple prêtre
Le père Robert Levet était secrétaire de Mgr Huyghe
En 1962, Mgr Gérard Huyghe, l'évêque d'Arras dont le P. Robert Levet était le secrétaire, lui demanda de l'accompagner à Rome pendant les sessions conciliaires
J'ai donc eu la chance, la joie et je n'hésite pas à le dire - la grâce d'être un témoin privilégié de ce qui s'est vécu à Rome à cette époque. Par Mgr Huyghe, j'avais accès à tous les documents distribués aux évêques, j'étais très au courant du déroulement des travaux du Concile.., et aussi des petits « tuyaux » dont lui faisait part son ami le cardinal belge Suenens, l'un des quatre modérateurs du Concile, qu'il rencontrait chaque matin dans la basilique Saint-Pierre avant le début de la séance.
Dans l'assemblée conciliaire Mgr Huyghe avait été élu membre de la Commission conciliaire de la Vie religieuse. Ce fut pour lui un travail supplémentaire, car, après les débats en assemblée, il fallait amender les textes avant de les soumettre à un nouvel examen des évêques. J'ai pu ainsi suivre de très près le cheminement - long et mouvementé - de l'un des seize documents conciliaires.
J'ai même eu l'occasion de me trouver dans la basilique Saint-Pierre pendant les séances conciliaires. En effet, pour chaque secteur de 80 évêques, il y avait un assignator locorum : un prêtre ou un séminariste qui, entre autres missions, avait celle de distribuer les documents et de collecter les fiches de présence et les bulletins de vote qu'il portait à l'ordinateur du secrétariat.. J'ai rempli cette fonction lors de la deuxième session.
Des évêques heureux
À Rome, pendant le Concile, on sentait les évêques heureux de vivre ensemble, de faire connaissance non seulement avec les évêques de leur propre nation qu'à cette époque ils n'avaient guère d'occasions de rencontrer, mais aussi avec des évêques du monde entier. Quelle découverte concrète de l'universalité de l'Église et de la diversité des situations pastorales! Que d'amitiés se sont nouées à Rome, en particulier au cours de repas fraternels, le soir, dans les petits restaurants de la ville où Mgr Huyghe m'emmenait avec lui. Des amitiés qui durèrent. Combien d'évêques ai-je vus passer ensuite à l'évêché d'Arras : le cardinal Suenens, le célèbre évêque brésilien Dom Helder Camara, des évêques africains...
On sentait les évêques heureux de travailler pour l'Église entière et de réaliser que, comme l'a d'ailleurs affirmé le Concile, un évêque n'est pas seulement chargé de son diocèse, mais aussi, avec le pape et les autres évêques, de l'Église universelle.
On sentait les évêques heureux de voir à leurs côtés dans l'assemblée conciliaire [c'était une grande première dans l'histoire des conciles] des représentants des autres Églises chrétiennes. Officiellement, ils étaient seulement « observateurs». Mais, grâce à leurs rencontres hebdomadaires avec les membres du Secrétariat pour l'unité des chrétiens, ils ont joué un rôle non négligeable dans l'élaboration de certains documents conciliaires.
On sentait les évêques heureux de présenter au monde une Église vraiment missionnaire, attentive aux problèmes des hommes d'aujourd'hui, une Église appelant les chrétiens à être très présents au monde. On était aux antipodes de certaines condamnations portées par Pie IX dans le Syllabus en 1864.
Un climat extraordinaire Régnait alors à Rome un extraordinaire climat de liberté, d'audace et de créativité... Quel contraste avec celui des dernières années (1950-1958) du pontificat d'un Pie XII devenu terriblement suspicieux vis-à-vis du renouveau théologique! Nommés experts au Concile par Jean XXIII en 1962, les théologiens Yves Congar et Henri de Lubac avaient été interdits d'enseignement par Pie XII en 1952.
Cette même année, Rome envoya des visiteurs canoniques dans les séminaires de France pour contrôler l'orthodoxie de l'enseignement. Professeur au séminaire d'Arras, j'avais donné un cours sur l'œcuménisme. J'ai donc été particulièrement interrogé, car, à Rome, à cette époque, il n'était pas question d'œcuménisme... Étudiant dans la ville éternelle de 1947 à 1950, j'avais pu constater que, lorsque les évêques venaient à Rome, ils se faisaient « tout petits garçons » devant le pape et les cardinaux de la Curie. Pendant le Concile, on découvrait au contraire des évêques vraiment adultes. Et heureux de l'être.
Rome était alors une ruche bourdonnante. Le matin, l'assemblée des 2500 évêques se tenait à Saint- Pierre. L'après-midi, les commissions conciliaires se réunissaient et un bon nombre de rencontres et de conférences étaient organisées dans la ville; les évêques n'avaient que l'embarras du choix.
Le temps lui-même se mit de la partie. Et c'est dans la magnifique lumière des automnes romains que vinrent à maturité les documents conciliaires pour la plus grande joie de l'Église « « lumière des nations» (Lumen gentiun)...
Source : Eglise de Marseille, octobre 2012