Vatican II, réconciliation Eglise-Monde
reprise d'article de John O'Malley
Vatican II
ou la réconciliation de l’Eglise avec le monde.
Nombreuses sont les productions qui se proposent d’éclairer notre regard sur l’évènement Vatican II et sur les suites que lui ont réservées les chrétiens, de quelque tendance qu’ils soient. Le jésuite John O’Malley se propose en quelques pages de la revue Christus son apport sur l’esprit du concile et la relation au monde de ce temps. Il a aussi écrit “L’évènement Vatican II” (éditions Lessius.) (ci-contre)
Pour mesurer l’importance du titre “réconciliation de l’Eglise avec le monde”, il suffit de se rappeler le visage que l’Église a donné d’elle-même au monde au XIXè siècle et début XXè. Une église souvent en opposition avec la société, avec les sciences et les philosophies. Une Eglise qui avait pris l’habitude d’écrire des condamnations. Aussi quand Jean XXIII propose que ce concile n’exprime pas des condamnations mais qu’il ait un souci pour le monde ce fut un étonnement. Une minorité de pères du Concile n’acceptèrent pas cette attitude différente de ce qui se faisait jusqu’alors. Ce faisant il introduisait un nouveau rapport de l’Eglise au monde. L’étonnement fut grand quand il affirmait que le concile pouvait parler aussi aux autres confessions chrétiennes.
Dans le discours d’ouverture, le 1er octobre 1962, Jean XXIII prend ses distances avec l’attitude de mépris ou de soupçon vis-à-vis du monde de la part de la pensée catholique sur plus d’un siècle. Le pape estimait que, devant les maux dont souffrait le monde, il valait mieux utiliser la médecine de la bienveillance que celle de la sévérité. Il invitait à considérer le monde tel qu’il est et non tel qu’on aurait souhaité qu’il soit. Il invitait à quitter la mentalité d’assiégé caractéristique du dernier siècle.
L’expérience humaine de ce “pape de transition” n’est pas étrangère à l’orientation qu’il propose à l’Eglise. Jeune prêtre il avait été infirmier puis aumônier dans l’armée au cours de la première guerre mondiale. Diplomate parmi des populations majoritairement orthodoxes ou musulmanes, ambassadeur à Istanbul au cours de la seconde guerre mondiale, il a fait l’expérience directe de la condition des réfugiés de la persécution nazie. Nonce à Paris dans l’immédiat après-guerre il eut à gérer des situations très délicates pour l’Eglise en France. On comprend mieux qu’il ait souhaité inviter les communautés séparées à rechercher ensemble l’unité et la paix. Ce fut un étonnement pour la presse mondiale comme pour les participants au concile de voir dans la basilique saint Pierre des représentants d’autres religions. Ainsi prenait corps le désir d’une réconciliation. En même temps le concile s’ouvrait à l’universel par la présence d’évêques de toutes les régions du monde.
L’universel, c’est la prise en compte de langues et cultures diverses. On comprend mieux la demande de nombreux évêques qui, par la voix du cardinal Liénart souhaitaient un peu de temps pour pouvoir se connaitre et se découvrir ensemble responsables des chrétiens dont chacun était pasteur dans son diocèse. Lorsqu’on parle d’évangélisation et de mission, le concile découvre que c’est tout autre chose que d’imposer la religion de l’occident chrétien aux autres races et cultures. Pour dire en vérité que “ le Dieu invisible s'adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu'à ses amis, qu’il entre en conversationavec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie” il fallait accepter que le langage européen ne soit pas le seul langage que Dieu emprunte. On se souvenait alors des condamnations lancées contre les missionnaires en Chine (Matteo Ricci) ou au Japon. L’Eglise désormais apprend à cultiver et développer les qualités et les talents des différentes races et nations.
Plusieurs documents commencent par rappeler le désir de Dieu, Père, Fils et Esprit de communiquer avec les hommes, et l’Eglise née de ce désir ne peut qu’être servante du projet de Dieu. Il fallait pouvoir le dire dans un langage compris de tous, pas uniquement des baptisés, mais aussi par tout home de bonne volonté. Le décret sur l’œcuménisme marque un virage à 180 degrés dans les relations avec les autres confessions chrétiennes. Finis le dénigrement systématique et les apologies péremptoires. Ce tour d’horizon amenait à reconsidérer l’attitude envers le judaïsme. L’holocauste et la shoah provoquaient à regarder autrement ceux que le pape appellera nos frères aînés dans la foi. Il est clair que tous les évêques n’ont pas accepté que ce dialogue s’instaure, comme si cela était la négation du catholicisme. Qu’en était-il alors des relations avec les autres fils d’Abraham ? Jean-Paul II bien plus tard, à Assise, posera des gestes significatifs dans le rapport de l’Église catholique aux autres religions.
Mais il faudra bien du temps pour que naisse et soit voté, à la quasi unanimité, le texte ‘l’Eglise dans le monde de ce temps’. Ce n’est plus l’Eglise en face, ni au-dessus ou à côté, c’est une Eglise qui reconnait comme siennes les joies et les peines les angoisse et les tristesses des hommes de ce temps. Elle souhaite désormais éclairer cette humanité et prendre part à tout ce qui permettra à l’humanité de se réconcilier, de favoriser l’entente et la paix (Paul VI à l’ONU en 1965). L’Eglise reconnait qu’elle peut apporte au monde, mais aussi qu’elle peut recevoir du monde (Gaudium et Spes § 41-45). L’Eglise, par la voix du concile exprime sa solidarité, son respect et son amour à l’ensemble de la famille humaine ; elle offre sa collaboration sincère pour l’instauration d’une fraternité universelle. Certains auront grincé des dents et grincent encore. Le Concile n’aura publié aucun canon, aucune condamnation et certains le lui ont reproché.
Cela ne signifie pas que l’Eglise perde son identité, mais ce faisant elle s’est approché du vrai visage de Jésus selon les Evangiles.
Une majorité et une minorité ont parfois durement débattu de leurs points de vue pendant le concile. Cependant, après le concile ce sont les minorités pendant le concile qui ont donné de la voix (Opus Dei et légionnaires du Christ, mais aussi les prélats de l’ex-Saint-Office, nombre de conservateurs) et qui ont provoqué une “reprise en main” de tout ce qui avait été offert par le concile.
S’il est bien compris, le concile offre des orientations plus que des directives, il souligne un style, une manière de parler nouvelle, autant au sein de l’Eglise que pour l’ensemble de l‘humanité. Sans doute est-ce cela “l’esprit du concile”. Lorsque Jean-XXIII parle de “mère aimante de tous, douce, patiente, pleine de bonté et de pitié” pour décrire l’Eglise, nous sommes loin du style de Lamentabili, de Pie X en 1907. Le style de Vatican II se retrouve encore quand il appelle à la sainteté (Lumen Gentium ch.5) ou à la conscience. Il fallait un autre vocabulaire pour s’adresser pour exprimer de nouveau rapport à l’humanité entière. Au lieu de l’anathème et des verdicts de culpabilité, les textes multiplient des mots comme amitié, partenariat, fraternité, réciprocité, dialogue, collégialité … autant de mots qui définissent un nouvel état d’esprit. Ces mots ne sont pas des thèmes à étudier, mais l’expression d’un nouveau mode d’être pour les baptisés.
En intitulant son article “La réconciliation de l’Eglise avec le monde”, John O’Malley nous donne une clé pour lire et comprendre Vatican II. Vatican II, ce ne sont pas des règlements à appliquer mais un état d’esprit à avoir quand nous rencontrons l’autre, différent, mais qui est mon frère à cause de Jésus-Christ, l’unique sauveur de tous les hommes.
E.H.
NB On trouvera les textes officiels du concile Vatican II sur le site : http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/index_fr.htm