Mgr Jaeger Anniversaire Vatican II
Homélie pour le 50ème anniversaire de l'ouverture du Concile
Mgr Jean-Paul Jaeger© P. Tange
L’Eucharistie que nous célébrons ce soir nous renvoie au passé. Elle fait mémoire d’événements vécus à Jérusalem, il y a maintenant plus de deux mille ans : la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth.
En invitant ses apôtres à célébrer l’Eucharistie, Jésus veut aussi rendre présentes sa mort et sa résurrection. Elles plongent maintenant tout être humain dans le mystère de sa Pâques. Nous participons effectivement au sacrifice du Christ et nous partageons réellement son Corps et son Sang livrés pour la vie du monde.
Par l’Eucharistie, nous entrons déjà dans la plénitude de la vie nouvelle que nous attendons. Nous en discernons les signes dans tous les élans de paix, de justice, de fraternité qui soulèvent l’humanité alors qu’elle est si souvent engluée dans ses divisions, ses conflits, ses haines et ses guerres.
Ces gémissements de notre monde traversé par les douleurs et les joies de l’enfantement sont le reflet du combat intérieur qui se livre en chaque être humain, fût-il le plus zélé des disciples du Seigneur.
L’infini désir d’aimer et d’être aimé se traduit par tant de gestes de fraternité, de générosité, de réconciliation, de vérité, mais dans le même être, il se heurte à la volonté de puissance, de domination, d’écrasement et d’égocentrisme qui range si souvent l’Amour dans le placard des rêves et des utopies.
Dans l’Eucharistie, Jésus qui donne sa vie par Amour et se propose en nourriture met fin à cette lutte incessante. Il vient offrir en partage à tous la dignité d’enfants du même Père et de frères et sœurs d’une unique famille.
Telle était bien l’intention du Pape Jean XXIII lorsqu’il ouvrit, le 11 octobre 1962, le Concile Vatican II. De nouvelles générations d’habitants de la planète étaient marquées par les pas de géant accomplis grâce au développement de la science, de la technique, des moyens de communication. Le futur Bienheureux voulait qu’elles puissent entendre, dans leurs cultures déjà profondément bouleversées, la Bonne Nouvelle de l’Évangile.
Jean XXIII invitait l’Église à ne plus se regarder elle-même comme une puissance qui, de droit, pensait pouvoir gérer les faits et gestes des individus, des communautés économiques, sociales et politiques.
Le pape désirait que cette Église serve en toute circonstance la rencontre du Fils de Dieu avec une humanité toujours en attente de conversion et de renouvellement. Elle demeure blessée, mais reste toujours avide d’un Amour total, fidèle et généreux, seule voie possible de la transformation des cœurs et des structures.
Un concile ouvre un chemin sûr pour toute l’Eglise, dessine des perspectives, donne des moyens. Nous sommes loin d’avoir épuisé toutes les précieuses ressources de Vatican II. Ce concile répercute l’appel que le Seigneur adresse aux hommes et suscite la réponse que ceux-ci balbutient ou crient.
Ce n’est pas par hasard si le Pape Benoît XVI a voulu célébrer le 50ème anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II en ouvrant « une année de la foi. » Le Concile, sa compréhension et son indispensable mise en œuvre ne peuvent que nous mener au Christ. D’une manière ou une autre, il nous fait toujours entrer dans une démarche radicale : « Va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; viens et suis moi. »
Le refus que Jésus essuya ce jour-là a traversé les siècles et dans une société à consommation ajoutée, il peut prendre des proportions que nous déplorerons longtemps : « Lui, à ces mots devint sombre et s’en alla tout triste car il avait de grands biens. »
Qui peut croire aujourd’hui, qu’en quittant, à cause du Christ et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère et un père, des enfants ou une terre, recevra le centuple ? Ne cherchons pas plus loin que dans cette interrogation la désaffection de tant de nos contemporains pour la foi chrétienne.
À juste titre, les critiques peuvent pleuvoir sur les faiblesses de l’Église et de ses membres, sur son incapacité supposée à répondre aux attentes des hommes et des femmes de ce temps, notamment les plus jeunes. Ces lacunes trop réelles ne justifient pas à elles seules l’édification des panthéons modernes dans lesquels on veut bien honorer et encenser tous les dieux à l’exception de celui qu’on ne peut gagner sans accepter de tout perdre.
Cinquante ans après l’ouverture de Vatican II demeure une question qui a traversé les siècles et à laquelle la réponse restera incertaine jusqu’à l’heure du face à face avec Dieu : « Croyons-nous vraiment qu’il est impossible à l’homme de se sauver et que Dieu peut sauver les hommes ; car tout est possible à Dieu ? »
Le Fils de Dieu est venu annoncer sur terre la Bonne Nouvelle du Royaume. Elle vient ébranler toutes les certitudes, les suffisances et les arrogances comme les réticences, les doutes et les peurs. Elle proclame la certitude du Salut et l’adoption de toute l’humanité par une Père qui ne se lassera jamais d’aimer. Nous avons reçu en Jésus Christ et par Lui cette parole de feu et de vie.
L’Église tout entière et chacun de ses membres, quelle que soit sa responsabilité, a charge d’annoncer cette Bonne Nouvelle : « Elle est vivante, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants. » Il n’est pas question pour notre Église de faire entendre un discours plus séduisant que tous ceux qui parcourent la planète et qui sont instantanément répercutés par des médias de plus en plus performants. Il s’agit bien de prononcer les mots du bonheur et de la vie et d’en donner les signes à toutes et à tous, notamment à celles et à ceux qui seraient tenter de ne plus rien attendre de personne. Nous le redisons haut et fort à l’occasion de Diaconia 2013.
Cinquante ans après l’ouverture du Concile Vatican II, aidées et stimulées par lui, nos communautés ne peuvent que faire écho aux désirs des Papes qui se sont succédé au cours des dernières décennies. Il est urgent de sortir de nos cénacles, de nos structures et de nos fonctionnements pour offrir à nos frères humains le trésor merveilleux que le Seigneur a déposé dans nos mains et dans nos cœurs, le trésor de sa Parole.
Dans l’homélie qu’il a prononcée jeudi dernier au jour même de l’anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, le Pape Benoît XVI a déclaré : « C’est pourquoi je considère que la chose la plus importante, surtout pour un anniversaire aussi significatif que celui-ci, est de raviver dans toute l’Église cette tension positive, ce désir d’annoncer à nouveau le Christ à l’homme contemporain. »
Puis-je me permettre de rappeler en toute humilité que le 11 février 2000, je proposais, comme premier objectif au diocèse dont j’étais le pasteur depuis un peu plus d’un an : « De raviver le désir d’annoncer l’Évangile. » Douze ans plus tard, le Saint Père nous confirme en des termes quasiment identiques dans cette voie. Elle reste plus que jamais l’axe essentiel de notre vie et de notre mission dans le diocèse d’Arras.
À de multiples reprises, nous avons repéré et évoqué les difficultés que nous rencontrons et que nous rencontrerons encore, les limites auxquelles nous nous heurtons, les moyens qu’il faut rassembler et répartir. Oui, tout cela nous le savons.
Nous travaillerons, nous chercherons. Nous appellerons des ouvriers pour la moisson, plus particulièrement des jeunes pour être ordonnés prêtres ou embrasser la vie religieuse, mais rien ne peut et ne doit nous dissuader, nous empêcher d’annoncer le Christ, Parole du Père. N’oublions pas que le barrage dressé sur la route de l’homme interpellé par Jésus n’est pas constitué par ce qu’il n’avait pas ou plus, mais bien par ce qu’il possédait encore.
Une Église pauvre et dépouillée au point de devoir remettre en question bon nombre de cadres et d’organisations qu’elle a hérités de son histoire, n’est pas une Église exsangue et condamnée. Elle est grandira et portera les fruits du Royaume dans la conversion que lui promet sa fidélité : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Là est notre foi et nous n’aurons pas trop d’une année pour nous en persuader.
+ Jean-Paul JAEGER.