Funérailles du père Jacques Lubrez
Abbé de Saint-Paul de Wisques
alpha et oméga, à gauche et à droitre. Au centre le chrisme formé des lettres X et P (en fait: chi et rô pour début de Christ.Le 30 mars 2005, dans cette même église, le Père Jacques recevait la bénédiction abbatiale. Nous célébrions la liturgie du mercredi de Pâques. Ce matin, le carillon et l’Alléluia de Pâques 2009 résonnent encore dans nos oreilles et dans nos cœurs.
Nous sommes rassemblés pour la célébration de l’Eucharistie des funérailles du même père Jacques. Il n’est pas étonnant que ses frères aient choisi de nous faire prendre, à nouveau le chemin pascal qu’a humblement emprunté celui que nous confions avec confiance et reconnaissance à la Miséricorde divine.
Au-delà de cette conjonction de dates, Nous nous rappelons, bien évidemment, selon l’enseignement délivré par les notes doctrinales et pastorales du missel de la liturgie des défunts que « C’est le mystère pascal du Christ que l’Eglise célèbre, avec foi, dans les funérailles de ses enfants. Ils sont devenus par leur baptême membres du Christ mort et ressuscité. On prie pour qu’ils passent avec le Christ de la mort à la vie, qu’ils soient purifiés dans leur âme et rejoignent au ciel tous les saints, dans l’attente de la résurrection des morts et la bienheureuse espérance de l’avènement du Christ. » Ainsi guidés et éclairés, nous recevons en nourriture la Parole de Dieu, le Corps et le Sang de Jésus, le Christ, livré pour nous et pour la multitude.
Le passage d’Evangile qui vient d’être proclamé (Jean 20, 1-10) diffère sensiblement, dans son contenu et sa construction, de tous les autres récits que les quatre évangélistes consacrent aux manifestations du Christ ressuscité. Le Seigneur lui-même semble étrangement absent. On n’y entend aucun sanglot, on n’y ressent aucune crainte. On n’y rencontre aucun messager céleste. Seuls Pierre et Jean, sur la parole de Marie de Magdala, aiguisent leur curiosité.
Petit signe d’agitation : Les trois personnages courent. Le calme revient vite. Peu après avoir constaté que le tombeau est vide, les deux apôtres ne se précipitent pas comme, ailleurs, les femmes et les disciples pour partager leur découverte. L’Evangile signale platement qu’ils retournent chez eux.
Au centre de ce joyau évangélique, finement ciselé, une petite phrase exprimée avec une sobriété que je qualifierais volontiers de monastique nous plonge dans le mystère. Vers elle, convergent tous les éléments du récit. Il est dit de Jean entré dans le tombeau « Il vit et il crut. »
L’instant est décisif. Il fonde le devenir et la nouveauté de la vie de Pierre et de Jean, de tous les futurs baptisés, de l’Eglise, du monde. Les apôtres comprennent soudain « l’Ecriture selon laquelle Jésus devait se relever d’entre les morts. »
Au grand désespoir de la logique propre à la communication humaine qui met en œuvre la multiplication des gestes, la fulgurance des images, la puissance des sons, le don de la foi, transformation radicale de l’être, s’effectue dans le silence de cœurs attentifs, affamés et disponibles. Ils ne douteront plus que le Seigneur a vaincu la mort. Il est vivant.
Cette Pâque du Fils de Dieu est, à jamais, source de vie éternelle pour tout homme qui reconnaît et proclame que le Christ est Seigneur. L’événement pascal touche le plus intime, le plus secret, le plus profond de l’être.
Cependant, toute l’humanité et son histoire sont concernées par la mort et la résurrection de Jésus de nazareth. Vingt siècles plus tard, parlant du monde, la constitution pastorale de Vatican II sur l’Eglise dans le monde de ce temps déclare : « Il est tombé, certes, sous l’esclavage du péché, mais le Christ par la Croix et la résurrection, a brisé le pouvoir du Malin et l’a libéré pour qu’il soit transformé selon le dessein de Dieu et qu’il parvienne ainsi à son accomplissement. »
Passé par le tombeau vide, saisis par la grâce de la foi, Pierre et Jean pourront ensuite recevoir le souffle de l’Esprit saint et s’entendre dire par Jésus : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie. » Le début du livre des Actes des apôtres détaillera les premières missions de Pierre et de Jean et en mettront en lumière l’extraordinaire fécondité.
Cette expérience, nous la vivons également avec Saint Paul lorsqu’il destine à Timothée sa pressante injonction : « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d’entre le mort, issu de la race de David … Elle est digne de confiance cette parole : Si nous mourons avec lui, avec lui, nous vivrons. Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons. » La route de notre foi passe par le tombeau. Une catéchèse adressée aux premiers néophytes de Jérusalem le proclame dès les premiers temps de l’Eglise : « Vous avez été conduits par la main à la piscine du baptême, comme le Christ est allé de la croix au tombeau qui est là devant vous … Vous avez proclamé la confession de foi qui donne le salut et vous avez été plongés trois fois dans l’eau, et ensuite vous en êtes sortis. C’est ainsi que vous avez rappelé symboliquement lé sépulture du Christ pendant trois jours. »
Le même texte ajoute : « en sortant de l’eau vous vous retrouviez comme dans le jour. Dans un même moment vous mouriez et vous naissiez. Cette eau de salut est devenue à la fois votre sépulture et votre mère. »
La force du disciple réside uniquement dans la grâce qui est dans le Christ Jésus. Le serviteur ne craint pas de prendre sa part de souffrance, à la suite du Christ, au nom du Christ, à l’exemple du Christ. Il est sûr de recevoir la couronne de la vie !Si Jésus-Christ mort et ressuscité est ainsi au cœur de notre foi, de l’Eglise et de sa mission, chers pères et frères de cette abbaye, nous ne comprenons que davantage votre peine et votre épreuve.
Dans la règle qu’il a rédigée et que, fidèlement, vous accueillez et vivez ensemble, Saint Benoît dit de l’abbé qu’il tient dans le monastère la place du Christ. Celles et ceux qui vous entourent, à cette heure, mesurent avec quelle intensité vous vivez la Pâque du père Jacques. Elle vous parle des souffrances et de la mort de Jésus, elle ravive la promesse et le don de la vie plus forte que la mort.
En cette circonstance, à la fois douloureuse et lumineuse, est réaffirmée la mission de votre communauté. Elle atteste que le tombeau est vide, que le supplicié du Vendredi Saint est vivant et que pour tout homme, Il est le chemin, la vérité la Vie. Frères, à l’heure où vous êtes durement touchés, redoublez d’ardeur et de zèle dans l’exercice de cette mission !
C’est bien ainsi et sous cette lumière qu’il nous faut découvrir les signes que le Seigneur lui-même nous adresse encore en la personne, par l’engagement dans la vie religieuse et le trop court abbatiat du Père Jacques.
Comme Pierre et Jean, le Père Jacques a souvent couru vers le tombeau. Il nous a appris à y laisser toutes les vanités de la vie, à y ensevelir les orgueilleuses prétentions. On est sûr que le Père Jacques s’est arrêté au tombeau puisque le linge y était bien rangé !
Sa simplicité, son humilité, sa discrétion, son ascétisme, son discret sourire nous ont appris plus que lui-même nous l’a dit « qu’il a vu et qu’il a cru. » Il a alors reçu la joie et le bonheur dans la pauvreté du Christ, l’obéissance du Christ, la chasteté du Christ. Avec ses frères, il nous appris à reconnaître dans nos existences la présence mystérieuse du ressuscité qui rend nos cœurs brûlants.
Son goût de la perfection, son doux entêtement, sa réserve spontanée nous ont montré combien il avait intégré dans sa vie personnelle et ses responsabilités l’invitation de la règle : « Avant tout, quand tu commences à faire quelque chose de bien, supplie le Seigneur par une très ardente prière de conduire lui-même cette action jusqu’au bout ! » Il est vrai que sur ces points, sa fidélité et sa foi ont été généreusement servis par un solide enracinement dans la terre des Flandres qu’il n’a jamais renié.
Pour se rendre au tombeau, Pierre et Jean ont couru. Le Père Jacques a mené la course dont parle Saint Benoît en ces termes : « A mesure qu’on avance dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur devient large et l’on se met à courir sur le chemin des commandements de Dieu, le cœur rempli d’un amour si doux qu’il n’y a pas de mot pour de dire. Ainsi, nous n’abandonnerons jamais Dieu, notre maître, et chaque jour, dans le monastère, jusqu’à la mort, nous continuerons à faire ce qu’il nous enseigne. Alors, par la patience, nous participerons aux souffrances du Christ et nous mériterons ainsi d’être avec lui dans son Royaume. »
Cher Père Jacques, que le Seigneur dont nous faisons mémoire du sacrifice dans l’Eucharistie réalise pour vous cette certitude de votre Père Benoît ! Cher Jacques, lorsque nous nous sommes quittés à l’issue de la récente messe chrismale, nous avons échangé comme à chacune de nos retrouvailles le baiser de paix. Avec un brin d’anxiété dans le regard, tu m’as soufflé à l’oreille : « Prie pour moi et pour la communauté. » Comme tu l’as dit, dimanche dernier à tes frères, l’agneau était prêt à être immolé. Tu savais aussi que tu garderais l’espérance. Quand en viendrait l’heure ton Seigneur t’appellerait et te relèverait. Fiat ! Alléluia !
+ Jean-Paul JAEGER