Un amour infini et inébranlable
Eglise d'Arras n°05
Les plus anciens de nos communautés se souviennent que les commandements de l’Eglise faisaient aux fidèles l’obligation de se confesser et de communier, au moins, une fois l’an, dans le temps de Pâques. L’apologie que fait le pape François de la piété populaire dans l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium m’autorise certainement ce rappel historique !
L’aspect réglementaire de cette disposition choquerait certainement les puristes de la responsabilité et les théologiens sourcilleux. Ramener des sacrements au respect d’une loi en atténue certainement la signification et la valeur. L’accueil de la grâce sacramentelle dépasse en largeur et en profondeur la satisfaction du devoir accompli ou le regret de la transgression.
L’Eglise sait que ses fils et ses filles n’ont parfois qu’une faible conscience des perspectives de joie et de bonheur que leur ouvre la foi en Dieu. Ils peuvent n’avoir qu’une perception fragile et fugace des richesses qui leur sont offertes dans les sacrements. Une stimulation un peu forte peut donner une conviction plus ferme et plus éclairée.
Nous ne vivons plus à l’heure des commandements de l’Eglise, mais il n’est pas inutile de proposer aux fidèles de remettre à sa juste place le sacrement de la pénitence et de la réconciliation.
L’expérience révèle quotidiennement que les Chrétiens sont loin de laisser travailler en eux la grâce du sacrement du baptême qui les plonge dans la Mort la Résurrection du Christ. Il leur faut revenir constamment à cette source. Ils ne sont pas au bout du chemin. C’est à travers les ombres et les lumières, les chutes et les relèvements qu’ils progressent vers la plénitude de la Vie Nouvelle. Le Règne de Dieu n’est encore en eux et pour eux que la plus petite semence ou la perle enfouie.
Le plus grand aveuglement de l’homme contemporain consiste à minimiser, à ignorer ou à nier sa condition de pécheur. L’être humain peut beaucoup. Il ne manque pas d’intelligence, d’inventivité. Il sait se montrer généreux, solidaire. Les immenses progrès qui lui sont imputables ne l’ont guère empêché de ne pas faire le bien qu’il voudrait et de commettre le mal qu’il ne voudrait pas[1]. La génie de l’humanité n’a jamais eu et n’aura jamais par lui-même raison de cette blessure.
Seul l’Amour fou du Christ livrant sa vie, peut redonner à l’homme la totalité de sa grandeur, de sa dignité, de son identité. L’amour sans faille peut remodeler l’homme et l’arracher aux limites de son désir d’aimer et d’être aimé. En se regardant lui-même dans son sauveur comme en un miroir, l’homme s’ouvre à la nouveauté de l’Amour et se dispose à le recevoir.
Nous mesurons à quel point, nous ne serons jamais satisfaits en reconnaissant intellectuellement et à la dérobée que nous sommes pécheurs. Nous ne serons pas davantage rassasiés en découvrant et nommant – il importe de le faire - les structures de péché qui nous traversent et que nous entretenons. Il nous manquera encore quelque chose lorsque nous aurons légitimement admis au sein de la communauté ecclésiale que nous appartenons à un « peuple aux lèvres impures[2]. » Il est bienfaisant d’invoquer ensemble et d’une même voix le Miséricorde de Dieu.
Nous ne pouvons pas nous priver de la rencontre personnelle et unique qui redonne vie. Dieu aime tous ses enfants, mais il ouvre ses bras à chacun. Il accorde à tous son pardon, mais chacun a besoin d’être saisi par la tendresse du Père. Dans une étreinte qui n’a pas d’égale, Dieu, dans le Christ, par l’Esprit, engendre à nouveau comme fils ou fille et redonne place parmi ses frères et sœurs à l’enfant qui dans sa détresse décide de retourner chez son père.
Je souhaite que ce carême permette au plus grand nombre de baptisés de revivre, peut-être même de découvrir, le sacrement de la pénitence et de la réconciliation vécu dans le dialogue personnel, même rapide, avec un prêtre. Le pape François nous encourage : « J’insiste encore une fois : Dieu ne se fatigue jamais de pardonner, c’est nous qui nous fatiguons de demander sa miséricorde…Personne ne pourra nous enlever la dignité que nous confère cet amour infini et inébranlable. Il nous permet de relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie. Ne fuyons pas la résurrection de Jésus, ne nous donnons jamais pour vaincus, advienne que pourra. Rien ne peut davantage que sa vie qui nous pousse en avant ![3] »
+ Mgr Jaeger
[1] Voir Romains 7, 19.
[2] Isaïe 6, 5.
[3] Pape François - Evangelii Gaudium § 3.