La nouvelle évangélisation
Eglise d'Arras n°09
Je confie volontiers à la réflexion et à la méditation de la communauté diocésain, un passage du discours d’ouverture de la dernière assemblée plénière de la Conférence des Evêques de France, prononcé par le Cardinal André VINGT-TROIS, le lundi 16 avril 2013, à Paris. Ce texte synthétise, de manière lumineuse l’énoncé de quelques défis que nous avons évoqués à plusieurs reprises et que l’Eglise dans notre diocèse doit relever avec foi et courage.
+ Jean-Paul JAEGER
Mgr Jean-Paul Jaeger « Pour nous, la nouvelle évangélisation se présente dans une société en pleine mutation et les signes de cette mutation ne manquent pas. Les longs mois de débat à propos du projet de loi de mariage pour les personnes de même sexe ont fait apparaître des clivages qui étaient prévisibles et annoncés. Ces clivages sont un bon indicateur d'une mutation des références culturelles. L'invasion organisée et militante de la théorie du genre particulièrement dans le secteur éducatif, et, plus simplement, la tentation de refuser toute différence entre les sexes en est un signe. C'est le refus de la différence comme mode d'identification humaine, et en particulier de la différence sexuelle. C'est l'incapacité à assumer qu'il y ait des différences entre les gens. On se refuse à gérer le fait que les gens ne sont pas identiques. Ils ne sont pas identiques dans leur identité sexuelle mais ils ne sont pas plus identiques dans leur personnalité, et le principe incontournable de la vie sociale c'est précisément de faire vivre ensemble des gens qui ne sont pas identiques, de gérer les différences entre les individus sur un mode pacifique et non pas sur un mode de violence.
Or, si l'on fait disparaître les moyens d'identification de la différence dans les relations sociales, cela veut dire que, par un mécanisme psychologique que nous connaissons bien, on entraîne une frustration de l'expression personnelle, et que la compression de la frustration débouche un jour ou l'autre sur la violence pour faire reconnaître son identité particulière contre l'uniformité officielle. C'est ainsi que se prépare une société de violence. Ce que nous voyons déjà dans le fait que l'impuissance à accepter un certain nombre de différences dans la vie sociale, aboutit à la cristallisation de revendications catégorielles de petits groupes, ou de sous-ensembles identitaires, qui pensent ne pouvoir se faire reconnaître que par la violence. Notre société a perdu sa capacité d'intégration et surtout sa capacité d'homogénéiser des différences dans un projet commun.
Pour ma part, je pense que la loi pour le mariage des personnes homosexuelles participe de ce phénomène et va l'accentuer en le faisant porter sur le point le plus indiscutable de la différence qui est la différence sexuelle, et donc va provoquer ce que j'évoquais : l'occultation de l'identité sexuelle comme réalité psychologique et la fermentation, la germination d'une revendication forte de la reconnaissance de la sexualité différenciée. Cette explication simple échappe à un certain nombre d'esprits avisés, qui devraient pourtant se préoccuper de la paix sociale dans les années qui viennent. Que tous les moyens aient été mis en œuvre pour éviter le débat public, y compris dans le processus parlementaire, peut difficilement masquer l'embarras des promoteurs du projet de loi. Passer en force peut simplifier la vie un moment. Cela ne résout aucun des problèmes réels qu'il faudra affronter de toute façon. Pour éviter de paralyser la vie politique dans un moment où s'imposent de graves décisions économiques et sociales, il eût été plus raisonnable et plus simple de ne pas mettre ce processus en route.
Ainsi, se confirme peu à peu que la conception de la dignité humaine qui découle en même temps de la sagesse grecque, de la révélation judéo-chrétienne et de la philosophie des Lumières n'est plus reconnue chez nous comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique. L'espérance chrétienne est de moins en moins reconnue comme une référence commune et, comme toujours, ce sont les plus petits qui en font les frais. C'est un profond changement d'abord pour les chrétiens eux-mêmes. Vouloir suivre le Christ nous inscrit inéluctablement dans une différence sociale et culturelle que nous devons assumer. Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu'elles défendent notre vision de l'homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s'accommode plus d'un vague conformisme social. Elle relève d'un choix délibéré qui nous marque dans notre différence…
Or, si l'on fait disparaître les moyens d'identification de la différence dans les relations sociales, cela veut dire que, par un mécanisme psychologique que nous connaissons bien, on entraîne une frustration de l'expression personnelle, et que la compression de la frustration débouche un jour ou l'autre sur la violence pour faire reconnaître son identité particulière contre l'uniformité officielle. C'est ainsi que se prépare une société de violence. Ce que nous voyons déjà dans le fait que l'impuissance à accepter un certain nombre de différences dans la vie sociale, aboutit à la cristallisation de revendications catégorielles de petits groupes, ou de sous-ensembles identitaires, qui pensent ne pouvoir se faire reconnaître que par la violence. Notre société a perdu sa capacité d'intégration et surtout sa capacité d'homogénéiser des différences dans un projet commun.
Pour ma part, je pense que la loi pour le mariage des personnes homosexuelles participe de ce phénomène et va l'accentuer en le faisant porter sur le point le plus indiscutable de la différence qui est la différence sexuelle, et donc va provoquer ce que j'évoquais : l'occultation de l'identité sexuelle comme réalité psychologique et la fermentation, la germination d'une revendication forte de la reconnaissance de la sexualité différenciée. Cette explication simple échappe à un certain nombre d'esprits avisés, qui devraient pourtant se préoccuper de la paix sociale dans les années qui viennent. Que tous les moyens aient été mis en œuvre pour éviter le débat public, y compris dans le processus parlementaire, peut difficilement masquer l'embarras des promoteurs du projet de loi. Passer en force peut simplifier la vie un moment. Cela ne résout aucun des problèmes réels qu'il faudra affronter de toute façon. Pour éviter de paralyser la vie politique dans un moment où s'imposent de graves décisions économiques et sociales, il eût été plus raisonnable et plus simple de ne pas mettre ce processus en route.
Ainsi, se confirme peu à peu que la conception de la dignité humaine qui découle en même temps de la sagesse grecque, de la révélation judéo-chrétienne et de la philosophie des Lumières n'est plus reconnue chez nous comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique. L'espérance chrétienne est de moins en moins reconnue comme une référence commune et, comme toujours, ce sont les plus petits qui en font les frais. C'est un profond changement d'abord pour les chrétiens eux-mêmes. Vouloir suivre le Christ nous inscrit inéluctablement dans une différence sociale et culturelle que nous devons assumer. Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu'elles défendent notre vision de l'homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s'accommode plus d'un vague conformisme social. Elle relève d'un choix délibéré qui nous marque dans notre différence…
C'est dans ce contexte général que nous devons réfléchir aux conditions de la nouvelle évangélisation. Pour vivre dans notre différence sans nous laisser tromper et tenter par les protections trompeuses d'une organisation en ghetto ou en contre-culture, nous sommes appelés à approfondir notre enracinement dans le Christ et les conséquences qui en découlent pour chacune de nos existences. À quoi bon combattre pour la sauvegarde du mariage hétérosexuel stable et construit au bénéfice de l'éducation des enfants, si nos propres pratiques rendent peu crédible la viabilité de ce modèle ? À quoi bon nous battre pour défendre la dignité des embryons humains, si les chrétiens eux-mêmes tolèrent l'avortement dans leur propre vie ? À quoi bon nous battre contre l'euthanasie si nous n'accompagnons pas humainement nos frères en fin de vie ? Ce ne sont ni les théories ni les philosophes qui peuvent convaincre de la justesse de notre position. C'est l'exemple vécu que nous donnons qui sera l'attestation du bien-fondé des principes. »
Cardinal André Vingt-Trois