Funérailles de Jean-Pierre Brunel
Homélie de Mgr Jaeger
1 Jean 3,18-24, Luc 2,41-51.
Au lendemain de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, nous célébrons, aujourd’hui, le Cœur Immaculé de Marie. L’Evangile que nous venons d’entendre a été choisi par l’Eglise pour la liturgie de ce jour. Dans ce passage, se manifeste un étonnant contraste. D’une part, Jésus affiche une attitude paisible, sereine, déterminée. D’autre part, Marie fait part de son étonnement, de son angoisse.
Cette distance constitue, en quelque sorte, l’un des lieux de notre propre expérience sur les chemins de la foi. Comme les auditeurs du temple de Jérusalem, nous sommes fascinés, émerveillés et séduits par la personne et la parole de Jésus. Pourtant, ses gestes, ses propos, sa mission nous déconcertent et nous bouleversent. Jésus de Nazareth est tout proche de nous, il est l’un d’entre nous. Cependant, la rencontre avec lui nous fait découvrir nos propres richesses comme nos propres faiblesses, nos enthousiasmes comme nos limites.
Ce n’est que par une lente et patiente méditation, un itinéraire parsemé de questions que la Vierge Marie entre patiemment dans le mystère de son Fils. Elle a toute confiance en Dieu, mais elle n’est pas dispensée de la réponse permanente de la foi.
Marie retenait « tous ces événements dans son cœur. » Assurément, son intelligence, ses capacités, ses projets, son environnement humain et spirituel, au demeurant fort utiles, ne suffisent pas. Elle a besoin de la familiarité avec Dieu lui-même, de cette intimité de la Parole, de la prière et du cœur qui éclairent de l’Amour de Dieu une réalité qui ne se dévoilent toujours qu’imparfaitement et progressivement à nos yeux.
Pas plus que pour nous, ce combat est gagné d’avance pour Marie. Ne s’est-elle pas entendu dire par Syméon qu’un glaive lui traverserait l’âme ? Il n’y a jamais loin de l’abîme de l’amour et de la lumière à l’abîme de la détresse et du doute. Il arrive que le cœur soit absent à lui-même et que la méditation débouche sur la nuit.
Comme d’autres avant lui, Jean-Pierre a vraisemblablement traversé l’épreuve de cette absence, de cette nuit. Les interrogations, les mutations, les incertitudes qui marquent aujourd’hui la vie du monde, de la société et de l’Eglise conjuguées à de sérieuses inquiétudes sur son état de santé ont, sans doute, affecté plus qu’il ne laissait paraître, un tempérament expansif et volontaire. Nous ne nous dirons jamais assez les uns aux autres, les uns par les autres que l’être humain, merveille des merveilles, est marqué et restera à jamais marqué par une infinie fragilité.
La mort particulièrement douloureuse de Jean-Pierre souligne nos propres limites. Nous nous sentons, soudain, à l’étroit en nous-mêmes. Que vaut et que pèse ce que nous sommes, ce que nous réalisons, ce que nous réussissons, ce que nous ratons ? Dans cette interrogation, nous trouvons certainement matière, à la fois, à nous réjouir et à nous accuser. Pas plus pour Jean-Pierre que pour nous, l’accusation n’est de mise. Dieu est plus grand que notre cœur. En lui, nos personnes et nos actes trouvent leur vérité, leur sens et leur rayonnement.
Notre cœur est trop souvent alourdi e t obscurci par nos visions, nos programmes, nos idées, nos schémas, nos cadres, nos structures, notre pouvoir. L’Eglise elle-même est guettée par ces approches qui trompent l’homme sur lui-même. Elles embrument et rongent son cœur. Il doit alors être purifié et renouvelé.
Non Dieu n’accuse pas, il aime. Jésus a donné sa vie pour nous. Jean-Pierre a humblement et modestement suivi son Seigneur et il a offert sa vie. Son ministère qui manquera à notre Eglise diocésaine a été particulièrement fécond et nous en attendions encore de beaux fruits qu’il ne pensait plus, hélas, pouvoir lui offrir. Dieu discerne tout, dit Saint Jean. Il sait et il voit ce que nous recevons de lui par le ministère de Jean-Pierre.
En cette heure ou nos repères vacillent, Saint Jean trace pour nous deux voies sûres qui résistent à toutes les tempêtes et donnent force à nos vies et nos cœurs. Elles garantissent le succès de nos existences personnelles, de la mission de l’Eglise et de du ministère ordonné : « N’aimons pas en paroles et de langue, mais en acte et dans la vérité. » Et l’Evangéliste ajoute en parlant de Dieu : « A cela nous reconnaîtrons que nous sommes de la vérité, et devant lui, nous apaiserons notre cœur. »
Il n’existe, enfin, aucun itinéraire plus fiable que celui que rappelle l’apôtre : « Nous aimer les uns les autres, comme il nous en a donné le commandement. »
Jean-Pierre, nous te remettons entre les mains et dans le cœur de Dieu. Nous le croyons, un Père ouvre toujours les bras à son enfant. Qu’il t’introduise dans l’insondable profondeur de son Amour que tu as reçu, cherché, accueilli, partagé et servi. Nous savons mieux et de façon certaine que notre parcours, notre humanité, notre Eglise et notre ministère dont les évolutions peuvent inquiéter jusqu’à l’extrême ont un avenir dans un amour en acte, un amour fraternel. Tout est dit. Le reste, même dans l’Eglise a si peu d’importance et de consistance !
Un amour en acte, un amour fraternel. Puisque Dieu est plus grand que ton cœur et plus grand que notre cœur, qu’Il t’accorde, dans sa miséricorde, la grâce de nous aider à ne jamais perdre le Nord de cette boussole ! Parce qu’elle l’a toujours fixé, même au pied de la croix, Marie à qui nous te confions, est passé de l’angoisse à l’espérance, de l’inquiétude à la joie. Dans la maison du Père qu’il en soit ainsi pour toi ! Sur cette terre, qu’il en soit ainsi pour nous !
Mgr Jean-Paul Jaeger
L'hommage de M Stéphane Leleu délégué diocésain à l'Apostolat des laïcs