Pâques : croyez-vous ?
Lettre à la veille de Pâques
Chacun des quatre évangélistes consacre plusieurs chapitres à la passion de Jésus de Nazareth. L’Eglise en médite silencieusement les détails.
Elle accompagne son Seigneur dans la souffrance, l’abandon, la dérision, l’humiliation. Elle assiste à son supplice. Elle le contemple mort. Elle est encore là quand se referme, à la hâte, le tombeau.
Cette même Eglise est tirée de sa torpeur et de sa crainte, comme les apôtres au premier jour de la semaine. Des femmes viennent annoncer que le sépulcre est vide. Le Christ est vivant, il leur a parlé. Il faut, maintenant, annoncer aux générations successives et au monde entier la bonne nouvelle. La mort n’a pas gardé le Fils de Dieu. Par l’Esprit Saint, il est ressuscité !Ce mystère de Pâques est au cœur de notre foi. Il est source vie et de salut pour tout homme. Il accomplit l’espérance de l’humanité entière.
Les pesanteurs de l’histoire, les ambitions humaines, les tentatives de récupération éloignent souvent l’Eglise de ce centre. De façon permanente, elle court, le risque de l’affadissement. Elle se fige sous les traits d’une institution utile et vénérable, tantôt respectée et sollicitée, tantôt décriée et marginalisée. Elle rend des services précieux à la société, mais se voit rabrouée lorsqu’elle met en question les pensées, les modes, les pratiques de l’opinion dominante.
Il est vrai que l’institution se fragilise elle-même quand elle se nourrit de ses divisions, de ses conflits, de ses prises de pouvoir. Elle perd toute visibilité à chaque fois que ses membres sont plus soucieux de leur être et de leur place que de la mission qu’ils ont à remplir, au sein d’un Corps, pour le monde.De façon plus intense qu’à l’ordinaire, notre Eglise fait, en ces jours, avec son Seigneur, l’expérience de la passion, de la croix, de la mort, du matin de Pâques.
Il ne suffit pas de dire que le Christ s’est fait pauvre, qu’il s’est abaissé, qu’il s’est donné jusqu’à la mort, abandonné de tous avant d’être relevé et exalté. Il faut le suivre, nous laisser identifier à lui, vivre le baptême qui nous plonge dans sa mort et sa résurrection.
Il est incontestable que l’institution à laquelle nous sommes tellement attachés donne, aujourd’hui, de multiples signes de fragilité, d’affaiblissement, voire d’effondrement. Si elle n’existe que par nous et pour nous, nous sommes presque autorisés à douter de sa survie ! Sa perte ne serait probablement pas plus dommageable que celle d’autres structures qui ont aidé les sociétés et les cultures à se construire et à s’unifier avant de disparaître.
L’Eglise ne peut être féconde que si elle vit du mystère de Pâques. Le Corps tout entier qu’elle constitue, chaque membre en lui, ne peuvent être signe et instrument de la Vie du Christ qu’en passant par le dénuement, l’humilité, le service. Le Fils de Dieu n’a pas péché, mais il se reconnaît dans toutes les déchéances de l’homme, quand ce dernier s’y engouffre ou qu’elles lui sont imposées.
Etre partout où l’être humain est bafoué, abîmé, nié, défiguré : voilà qui témoigne d’une belle solidarité ! C’est, surtout, pour l’Eglise porter la croix du Fils de Dieu qui a renoncé à tout par amour pour son Père, par amour de ceux qui sont devenus ses semblables, ses frères et ses sœurs. C’est se préparer à accueillir la Vie.
Nous ne ferons jamais la totale économie des plus et des moins qui jalonnent l’existence quotidienne de l’Eglise, des joies qu’ils suscitent ou des angoisses qu’ils occasionnent. Nous rêverons toujours d’une Eglise forte, puissante, magnifiquement organisée. Nous la désirerons foisonnante, rayonnante, écoutée et reconnue. Nous avons mille fois raison, sous réserve toutefois de ne pas nous tromper de terrain !
Jésus nous avertit : « Le disciple n’est pas plus grand que le maître. » L’apôtre Paul ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque la puissance de la croix. Au jour du baptême, dans la nuit de Pâques, l’évêque ou le prêtre interroge le catéchumène, l’assemblée : « Croyez-vous en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur, qui est né de la Vierge Marie, a souffert la passion, a été enseveli, est ressuscité d’entre les morts, et qui est assis à la droite du Père ? » Répondant : « Je crois » ou « Nous croyons », nous n’évoquons pas simplement le mystère de Jésus de Nazareth, nous nous laissons saisir par Lui et entraîner sur l’unique chemin de paix, de réconciliation, de miséricorde, de justice et d’amour. Il n’en est pas d’autre ! Le croyons-nous ?
Alléluia ! Alléluia ! Alléluia !
+ Jean-Paul Jaeger