Ordinations diaconales

L'homélie de Mgr Jaeger, le 30 septembre

 

Les textes de la Sainte Écriture qui viennent d’être proclamés n’ont pas été spécialement choisis pour la célébration qui nous rassemble.  Ils sont adressés à tous les fidèles du Christ dispersés dans le monde entier en ce vingt sixième dimanche du temps ordinaire.

 

            Vous devinez cependant que l’enseignement qui nous est donné aujourd’hui, prend un relief particulier au moment où vont être ordonnés, dans cette Cathédrale, six diacres, ministres du Christ Serviteur.

 

            Les mots du prophète Amos ne sont pas assez durs pour les repus qui s’enferment dans leurs richesses. De façon plus subtile et profonde, en une dramatique parabole, Jésus met en scène la tragédie de l’homme riche. Pour les deux protagonistes, l’étalage de l’éclaboussante richesse conduit à la perversion de la personne elle-même.

 

            Aujourd’hui, encore, face au mépris du nanti, nous dénonçons immédiatement, et avec raison, l’injustice, la démesure, l’égoïsme, dont sont facilement victimes les humbles, les petits, les pauvres, les faibles, les handicapés. Nous mobilisons les énergies pour que soient corrigées les inégalités qui privent des êtres humains proches ou lointains d’un juste accès aux biens de la création et à la solidarité.

 

 

            Notre foi ajoute qu’une saine gestion des ressources naturelles, matérielles, intellectuelles et spirituelles manifeste que nous sommes enfants du même Père et frères et sœurs les uns des autres.

 

           

 

Ces vérités fondamentales ont toujours besoin d’être rappelées. Cette nécessité justifierait, à elle seule, que, dans l’Église, des diacres soient appelés et ordonnés. Il y a, en effet, beaucoup à apprendre et à recevoir du Christ pour accepter de ne pas vivre que pour soi, pour les siens, son groupe ou son peuple. Il faut déjà, avec le Christ qui s’abaisse jusqu’à la mort, passer par le renoncement pour ne pas succomber - quand on en a les moyens - à la tentation de l’accaparement, de la domination, de la supériorité et de la suffisance.

 

            La vie fraternelle n’exige pas le nivellement, l’égalitarisme qui détruirait toutes les originalités et les aptitudes. Elle nous appelle à ne jamais grandir sans vouloir que croisse le frère, à toujours offrir à l’autre et à reconnaître la place que, dans la dignité, il est appelé à occuper au sein de la famille.

 

           

Oui, tout cela, nous le savons. Au cœur du monde, Luc, Philippe, Patrick, René, Laurent et Bertrand, vous aurez à le signifier et à le proclamer. Voici, cependant, que la Parole de Dieu nous invite à franchir un pas supplémentaire. On trouve en elle un solide fondement de la justice sociale. Il y a bien longtemps que les papes successifs nous l’explique.

 

            Nous laissant habiter par cette Parole de Dieu, nous en retirons un enseignement supplémentaire.   Elle avertit toute personne susceptible de céder  à l’attrait de la richesse qu’elle engendrera, à tous les coups l’injustice, mais qu’en même temps, elle se détruira elle-même et perdra son identité profonde. Les vautrés dont parle Amos « vivent bien tranquilles »  et « se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. » Ils ne peuvent même plus voir et comprendre que se prépare et se forme leur propre désastre. Ils seront « les premiers des déportés. »

 

            Plus saisissante encore est l’analyse de la situation de l’homme riche que Jésus fait dans l’Évangile. Écrasant de son insolence jusque dans ses répliques, le pauvre Lazare qui gisait sur le seuil de sa maison, l’homme riche ne sait pas qu’il a, à tout jamais, obstrué devant lui le chemin du bonheur et de la vie. Ne voyant plus que lui-même, s’étant forgé son bonheur au prix du dédain et du rejet, il n’y a plus place en lui pour accueillir la Parole de la Vie et recevoir l’Amour, plus fort que tout, plus fort que la mort elle-même.

 

            La situation catastrophique dans laquelle l’homme s’est mis lui-même est exprimée de façon poignante par les mots de Jésus à propos des frères de l’homme riche : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. » Rarement le Christ ne prononce une parole aussi désespérante que celle qui qualifie la situation de ceux qui étouffent dans leur richesse : « Un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas et que de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous. »          

 

 

 

« Ils ont Moïse et les prophètes. » Aujourd’hui, nous ajouterons : ils ont Jésus Christ en qui la loi de Moïse et la Parole des prophètes se sont accomplies.

 

            Chers amis qui allez être ordonnés diacre, Jésus lui-même vient de vous dire pourquoi la mission de tout ministre ordonné, comme celle de toute l’Église, nous fait avant tout le devoir de proclamer la Bonne Nouvelle. Nous ne pouvons que croire avec le Christ qu’elle est plus puissante et plus efficace que la résurrection d’un mort. Sauf, bien entendu, si ce mort est Jésus Christ Lui-même qui se lève du Tombeau après s’être fait le pauvre des pauvres, le petit des petits. Vous recevrez tout à l’heure le livre de la Parole de Dieu. C’est d’ailleurs le seul instrument nouveau avec lequel vous repartirez au terme de cette ordination.

 

           

            Mes amis, tout n’est pas encore dit ! S’il suffisait de laisser résonner en soi la loi de Moïse, le message des prophètes et la Bonne Nouvelle de l’Évangile, de bons prédicateurs suffiraient. Peut être pensez-vous d’ailleurs que s’il ne s’agissait que de cela, d’autres seraient plus compétents que vous ! Ce serait oublier, que dans le cœur de Dieu et pour l’Église de Jésus Christ, la Parole ne s’annonce pas seulement. Elle est. Elle s’incarne. Aussi merveilleuse que puisse être la prédication de Jésus, Il ne s’est pas contenté de parler. Il a réalisé en Lui ce qu’Il proclamait. Il n’a pas fait l’apologie de la pauvreté, de l’humilité, du don. Il s’est fait pauvre et humble. Il s’est donné Lui-même jusqu’à la mort. Seul l’Amour peut unir à ce point la Parole à l’être.

 

            Luc, Philippe, Patrick, Laurent, René et Bertrand, par l’imposition de mes mains et le don du Saint Esprit, vous serez ordonnés diacres. Vous serez configurés au Christ, façonnés et modelés à son image. À juste titre, vous pourrez être appelés, selon le qualificatif utilisé par l’Apôtre Paul à l’égard de Timothée, « hommes de Dieu. »

 

 

Ministres de Jésus Christ, il vous reviendra alors de porter sa Parole, mais aussi de la laisser transparaître à travers les faits et les gestes, les engagements de toute votre vie. Il vous reviendra, dans le quotidien de l’existence, de révéler ce Fils de Dieu qui, jusqu’à l’extrême de l’Amour, s’est fait le serviteur de son Père, le serviteur de ses frères.

 

 

Laurence, Chantal, Béatrice, Francine, Manuella et Valérie, vos épouses, vos enfants savent que vos couples et vos familles sont engagés dans cette aventure du service au nom de Jésus Christ. Vos itinéraires respectifs ont  déjà mis à l’épreuve votre capacité d’accueillir, de partager et d’annoncer la Parole de Dieu. L’exercice des responsabilités d’encadrement, le licenciement après avoir donné le meilleur de vous-même, le contact quotidien avec les personnes handicapées, l’engagement dans les structures professionnelles, et tant d’autres occasions vous ont, en quelque sorte, à de multiples reprises, renvoyé cette question : « Veux-tu servir à la suite de Jésus Christ et au nom de Jésus Christ ? »

 

Parce qu’Il vous a saisis,  vous porterez sa Parole, vous servirez et vous tracerez les chemins du service, vous prierez et inviterez à la prière. Vous contribuerez à communiquer la vie de Dieu par les sacrements. 

 

            Fidèles et amis ici présents, ne vous contentez pas d’admirer la démarche de six hommes, de leurs épouses et de leurs familles. Ils sont ordonnés pour que, dans l’Église et dans notre société, nous redécouvrions ou renforcions le sens du service, celui qui nous fait accéder à cette pauvreté sans laquelle des abîmes infranchissables  séparent les hommes entre eux et les séparent de Dieu.

 

            Six diacres ajoutés à ceux qui remplissent déjà ce ministère, nous disent, nous montrent, qu’au sein de l’Église comme dans la famille humaine, il est toujours urgent d’accueillir la force, la lumière et la vie du Fils de Dieu, mort et ressuscité.  Il nous appelle dans l’humilité et la pauvreté du service à découvrir le bonheur de vivre ensemble comme des enfants chéris et des frères bien-aimés.

           

Si nous en croyons Jésus, un mort qui ressuscite ne pourra jamais nous faire comprendre cela. Au nom du Christ, Luc, Philippe, Patrick, René, Laurent et Bertrand, eux, le feront !

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