Homélie lors de la messe chrismale
Lettre N°08 - Eglise d'Arras - Cathédrale de Boulogne-sur-Mer
consécration lors de la messe chrismaleIsaïe 61, 1-3a. 6a. 8b-9 ; Apocalypse 1 , 5-8 ; Luc 4,16-21
C’est encore par appel que les fils et les filles égarés sont rassemblés par le Premier-Né du Père qui, au nom du même Amour, livre sa Vie pour la multitude. Par le même appel, l’Esprit Saint nous associe à l’intimité que Jésus évoque avant de mourir : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi. [1]»
Oui, Dieu fait toujours le premier pas et nous ne pouvons que Lui apporter notre réponse humble et balbutiante. Finalement, nous ne décidons jamais du moment et du lieu du rendez-vous. Dieu nous fait la grâce de s’inviter chez nous, de nous proposer sa Vie et son Amour, sa Miséricorde et son Pardon.
Notre foi est étrangère à une démarche contemporaine qui voudrait que les religions se situent dans le rayon des produits que l’on choisit, achète ou rejette au gré de nos aspirations et de leurs fluctuations.
Nous comprenons, dès lors, pourquoi jusque dans sa liturgie, l’Église nous redit, sans cesse, que la foi est d’abord l’œuvre de Dieu en nous. Elle restera indéfiniment ce don qui nous est fait et sur lequel nous devons renoncer à avoir une totale maîtrise.
Fidèles du Christ, accueillez dans la respiration de la vie de l’humanité, la méditation de
Pour que tous les membres du Peuple de Dieu puissent répondre à ces appels, nous savons depuis le jour où le Christ a choisi ses apôtres, qu’il est indispensable que des hommes et des femmes entendent et accueillent un appel plus particulier. L’Église, Corps du Christ, est structurée et organisée. Le ministère ordonné, évêques, prêtres et diacres, l’état religieux, les consacrés lui sont indispensables pour son existence et l’exercice de la mission que le Seigneur lui a confiée.
J’ai souvent l’occasion de souligner la douloureuse diminution du nombre des prêtres dans notre diocèse. Elle nous nous impose une prise de conscience commune. Cette raréfaction touche l’Église et lui pose un certain nombre de questions. Elle interroge aussi notre société, nos familles, les choix d’avenir dans un monde, à la fois plein de promesses et d’incertitudes.
Nous ne devons pas nous voiler la face. L’affaiblissement numérique du clergé ne constitue pas, loin sans faut, la raison essentielle du bouleversement de nos habitudes, de nos méthodes, de nos organisations. Focalisés et parfois paralysés par toutes les mutations que nous devons affronter à l’intérieur même de l’Église, nous n’avons pas toujours mesuré l’impact et la force des courants culturels, scientifiques, techniques, idéologiques qui façonnent aujourd’hui les personnes quand elles ne les déstructurent pas !
Les observateurs s’accordent généralement pour reconnaître qu’il y a eu, dans les années 70, une rupture dans la chaîne de la transmission. Il serait trop facile d’affirmer que, de manière systématique, des parents, des institutions, ont délibérément cessé de remettre aux enfants et aux adolescents le dépôt de la foi qu’ils avaient eux-mêmes reçu. Ils se sont souvent trouvés démunis lorsque des mutations considérables les ont touchés de plein fouet et ont probablement ébranlé des convictions qu’ils avaient reçues, mais qui semblaient soudain ne plus pouvoir répondre aux transformations rapides qui les frappaient.
Nous ne souvenons que sous l’inspiration de l’Esprit Saint, le Pape Jean XXIII a convoqué le Concile Vatican II. Cet événement majeur de la vie contemporaine de notre Église échappe peut être aux jeunes mémoires. Il voulait cependant par une triple intuition, préparer les fidèles et les hommes de bonne volonté à ces évolutions que le bienheureux Pape pressentait.
Il souhaitait que l’Eglise, mieux établie dans sa nature de Peuple de Dieu et sa mission, entre dans un dialogue confiant, franc et constructif avec le monde de ce temps. Une liturgie plus proche de ses origines pouvait alors faciliter cet enracinement indispensable au cœur même du mystère de la foi devenu soudain problématique pour beaucoup.
Contrairement à ce qui se dit et s’entend quelque fois, il ne faut pas tourner la page de Vatican II. Il me semble encore tellement nécessaire d’ouvrir et de méditer ce livre de vie rédigé pendant quatre ans par les Pères conciliaires. De ce gisement, nous n’avons pas exploité toutes les veines.
Frères prêtres, il en va de votre ministère comme du concile. Au cours des décennies écoulées, faisant route avec lui, vous avez joyeusement, fidèlement, simplement guidé le peuple de Dieu sur les chemins de la foi. Vous avez fait entrer vos frères et sœurs dans cette tradition vivante qui ne fige pas à un moment donné. Elle assume le présent, en fixant l’horizon de demain, en mettant en valeur tous les trésors du passé.
Vous avez été et vous demeurez les authentiques ministres de Celui qui est venu pour servir et non pour être servi. Aujourd’hui encore, Il vous appelle à dérouler le rouleau du prophète Isaïe et à redire avec Lui : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter
Je sais qu’il vous est pénible d’être trop souvent confrontés à l’incompréhension de fidèles qui vous font reproche de ne plus pouvoir assumer à l’identique et dans les mêmes conditions des célébrations, des rencontres, des visites qu’assumait naguère un clergé deux ou trois fois plus nombreux.
Il me revient de leur rappeler que la fécondité du ministère des prêtres n’est pas le résultat d’une addition toujours plus lourde de célébrations, de réunions, de sollicitations acceptées jusqu’à l’épuisement et la saturation.
L’annonce de l’Évangile, la célébration des sacrements, l’aide et le soutien à la vie avec le Christ exigent le compagnonnage avec Celui-là même dont vous êtes les ministres. Quand disparaissent ces temps d’intimité sur la montagne ou dans le désert avec Celui qui nous façonne à son image et à son exemple, le ministère se transforme vite en gestion,
Frères prêtres, je vous le redis, au risque de déconcerter un peu plus les fidèles et les moins fidèles de notre Église, les signes du Christ que vous êtes pour
Frères prêtres, ne vous résignez pas à ne pas avoir de successeurs. À l’évidence et pour un long temps au moins, ils seront moins nombreux, beaucoup moins nombreux que vous. Ils seront différents de vous. Laissez sans nostalgie les plus jeunes marqués par une histoire et des cultures bien différentes que celles qui vous ont portés, faire émerger de nouveaux visages de l’unique et même ministère presbytéral ! Soutenez leur enthousiasme et leur dynamisme ! Accompagnez-les de votre sagesse et de votre expérience ! Ne leur demandez pas de vous imiter et de laisser croire qu’au prix d’aménagements divers, il leur sera encore possible de faire comme s’ils vous ressemblaient ! Il est toujours désespérant de se désoler ensemble de ce qu’on ne peut plus faire, de regretter ce qui s’estompe et disparaît. Il est certainement plus nourrissant, tonifiant de regarder les premières fleurs, qui dans un hiver inachevé, annoncent la venue du printemps.
Frères prêtres, osez appeler ! Vous connaissez le chemin de la foi. Non, vous ne retrouverez probablement plus dans les futurs prêtres, l’image de celui que vous avez été. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur et de laisser supposer un seul instant qu’il faut substituer, en pastorale, des produit frais et meilleurs à ceux qui seraient touchés par la date de péremption. Il est tout simplement clair que les prêtres de demain seront affrontés à des défis nouveaux et que, par ailleurs, en petit nombre, ils ne pourront jamais fixer ni reproduire le modèle merveilleux de leurs aînés ! Leur mode de relation et de coopération avec les autres partenaires, notamment les fidèles laïcs, connaîtra bien des développements.
Nous ne pouvons pas croire qu’il est désormais impossible d’être heureux en se donnant tout entier, en son cœur, en son esprit, en sa chair, étant façonnés par l’Esprit de Dieu, à l’image du Christ Lui-même. Nous le savons bien. Il peut sembler plus difficile aujourd’hui que naguère de répondre à cet appel au don total, comme il est difficile d’ailleurs d’entendre d’autres formes d’appel.
A la base de l’évangélisation, il y a toujours un immense Amour, celui du Christ et de ses disciples pour Dieu et des frères humains, mais au nom même de cet Amour, une exigence radicale qui mène parfois au martyr. Non, il n’y a plus d’appel possible si le mystère pascal n’est plus reçu et vécu comme une source de joie et de bonheur, comme une espérance pour ceux qui sont appelés, mais aussi pour toute notre humanité.
Frères prêtres, n’ayez pas la pudeur de ce bonheur ! Malgré les pauvretés, les faiblesses et les échecs, il vous habite. Nourrissez-le, manifestez-le, partagez-le. Je sais que des jeunes et un peu moins jeunes de notre diocèse attendent de fidèles laïcs, de communautés, de groupes, mais aussi de leurs prêtres, qu’ils fassent retentir à leurs oreilles et dans leur cœur l’invitation à jeter les filets.
Aujourd’hui encore, le Christ a besoin de ces pécheurs, aidez-les à embarquer avec nous !
+ Jean-Paul JAEGER