Homélie, Messe chrismale

Homélie de Mgr Jaeger pour la messe chrismale

 

 Les lectures de la liturgie: Isaïe 61, 1-3a. 6a. 8b-9.   Apocalypse 1 , 5-8   Luc 4,16-21

Bénédiction des saiintes huiles Messe chrismale - Arras cathédrale  
Bénédiction des saiintes huiles
Bénédiction des saiintes huiles
De façon étonnante et pourtant logique, il a fallu qu’au nom de l’incarnation, le Fils de Dieu prenne le temps de la croissance et de la formation. Celui qui était auprès du Père et par qui tout a été fait a épousé, jour après jour, en toutes choses, à l’exception du péché, les exigences de la condition humaine à laquelle Il vient offrir le salut. Oui, Dieu Lui-même doit apprendre, se préparer.
Et voilà qu’arrive pour Jésus l’heure d’entrer plus explicitement dans sa mission. Tout au long des évangiles, nous la voyons se dérouler et se réaliser. Il est intéressant et instructif de la voir décrite et résumée par Jésus Lui-même. Il le fait en quelques phrases dans la synagogue de Nazareth où il avait grandi.


Jésus va accomplir l’Ecriture. Elle est Parole de Dieu. Elle engage la fidélité gratuite et jamais reprise du Père qui donne la Vie et ne se lassera jamais de la redonner en son Fils.
L’homme égaré et inconstant pourra toujours être rejoint par un Amour qui jamais ne se démentira. Cela est dit et s’effectue pleinement dans la prédication de Jésus, dans les signes qui l’accompagne, dans sa mort et sa résurrection.


Il n’est alors pas surprenant d’entendre Jésus s’appliquer à lui-même la prophétie d’Isaïe, affirmer qu’il est porteur d’une Bonne Nouvelle et de cibler en quelques mots les destinataires de sa mission. Elle s’adresse aux pauvres, aux prisonniers, aux aveugles, aux opprimés.


Chacun d’entre nous peut, à loisir, mettre des noms et des visages sur ces catégories. Elles s’incarnent, hélas, de multiples façons et en bien des domaines. Le miroir de la lucidité peut même déceler en nous la pauvreté, les chaînes, la cécité, l’oppression.


Il est clair, cependant, que pour accueillir le Christ comme Bonne Nouvelle, il est nécessaire de reconnaître en nous, dans nos semblables, dans l’humanité, la pauvreté, l’enfermement, l’aveuglement, la capacité d’opprimer et d’être opprimé.


Nous nous demandons souvent pourquoi notre Eglise donne dans notre société des signes certains d’affaiblissement numérique et de perte d’influence. Notre réponse se laisse généralement prendre aux pièges d’une analyse strictement sociologique et technique.
 

Notre Eglise serait une association peu performante et plutôt mal gérée. Elle n’a tout simplement pas su fidéliser ses membres et répondre aux attentes de son public. Si seulement elle renouvelait ses méthodes, son personnel et sa classe dirigeante, on verrait ce que l’on verrait.


Il n’est jamais inutile, même pour l’Eglise de remettre son fonctionnement en cause. Nous en sommes pourtant avertis par le Christ. Aucune méthode dans l’Eglise ne peut porter de fruits si cette Eglise ne rejoint pas des êtres qui font l’expérience de la pauvreté, de l’emprisonnement, de la cécité, de l’oppression.


Jamais la bourse ne réglera l’évolution du Cac 40, l’entreprise n’obtiendra des parts de marchés, les politiciens ne remporteront une élection, l’étudiant ne se positionnera dans les premiers rangs, en cherchant et accueillant une bonne nouvelle dans la pauvreté, les chaines, l’aveuglement ou l’esclavage.


L’Eglise peut se démener, s’organiser et se réorganiser tant qu’elle veut. Elle n’aura toujours à offrir que le Christ, Bonne Nouvelle - et quelle Bonne Nouvelle ! - pour celui qui se découvre pauvre et rencontre un jour le trésor et la richesse de sa vie, de toute vie.
 

Membres du Corps du Christ, nous n’avons pas un produit à placer, une idéologie à imposer, une compétition à remporter, nous n’avons à offrir que Jésus-Christ, Bonne Nouvelle pour les pauvres ! Il passe par la croix, la dérision, la condamnation, la mort. Avec un tel produit d’appel devenons-nous étonner de ne pas faire recette ?
Ce n’est que dans ce passage qu’il est possible de faire avec le Christ l’expérience de la résurrection, de recevoir en partage la vie de Pâques qui déjà illumine, dilate, transfigure et purifie toutes les aspirations humaines. Les humbles réalisations de paix, de justice, d’accueil et de fraternité constituent, alors, au cœur du monde les promesses et les matériaux dont le Seigneur fera les signes de son Royaume.


Les huiles que nous bénissons et consacrons aujourd’hui seront utilisées dans la célébration des sacrements. Ces derniers font déjà briller dans les circonstances diverses de l’existence humaine la vie éternelle dont le pape Benoît XVI nous dit dans son dernier ouvrage qu’elle n’est pas « la vie qui vient après la mort, » mais qu’elle est « d’ores et déjà « la vie », la vraie vie, qui ne peut plus être détruite par rien, ni par personne. » Cette vie, c’est le Christ Lui-même.
Nous ne nous lasserons jamais de guetter cette vraie vie dans les joies et les peines, les réussites et les échecs, les attentes et les déceptions d’une humanité merveilleuse et douloureuse. En Jésus-Christ, cette vie fraie son chemin dans les bruits du monde.


Nous confions au Seigneur qui est Vie ces peuples qui, à tâtons, revendiquent leur liberté et leur dignité. Nous lui ouvrons les portes des couples et familles qui apprennent à donner et à se donner, à son exemple.
Nous faisons monter vers Lui le pourquoi de milliers de proches touchés par la mort de l’un des leurs suite aux tremblements de terre. Nous l’implorons de réveiller dans les cœurs riches et comblés l’attention aux peuples rongés par la faim, décimés par la maladie.
Nous le supplions d’abattre l’égoïsme et l’insouciance qui abandonnent aux générations futures le soin de régler les dettes et de réparer les dégâts qui endommagent la planète. Nous le prions de nous aider à adopter l’attitude du frère à l’égard de celles et de ceux qui dans notre société ont le sentiment d’être oubliés, inutiles, méprisés.
 

Qui dira et montrera que dans toutes ces vies, ces histoires, Jésus vient annoncer et s’offrir comme Bonne Nouvelle et Vie ?
L’Evangile que nous méditons, la mise en valeur du mystère des sacrements s’accompagnent dans la liturgie de la messe chrismale d’une attention particulière portée au ministère de l’Evêque et des prêtres. Certains diront qu’une fois de plus, l’Eglise fait peu de cas de l’ensemble du Peuple de Dieu, des diacres, des religieux et religieuses, des fidèles laïcs engagés de multiples et heureuses façons.
La remarque est fondée si dans l’Eglise chacun est appelé à jouer des coudes pour occuper les premières places, rappelez-vous l’aventure des fils de Zébédée. S’il s’agit d’une course au pouvoir, il est normal que tous et toutes demandent à être placés à égalité sur la ligne de départ !
Mais, que demanderai-je dans quelques instants à nos frères prêtres ? D’exercer leur ministère par amour du Christ ; vous savez, ce Christ sur qui l’on crache, que l’on couronne d’épines et que l’on met en croix. Je les inviterai à être les intendants du mystère de Dieu, d’annoncer fidèlement l’Evangile, à la suite du Christ, avec désintéressement et charité.
 

C’est sans doute parce qu’est là la vérité du ministère presbytéral qu’il se trouve si peu de candidats pour l’embrasser ! Chers frères prêtres, dans les bouleversements qui chahutent aujourd’hui l’exercice du ministère presbytéral comme toute la vie de l’Eglise, je n’ai qu’une certitude à vous offrir : la marche à la suite du Christ, la croix.
Je serai un imposteur si je vous faisais miroiter autre chose. Au nom du Seigneur lui-même, j’ajoute à la croix le désintéressement si peu conforme aux aspirations de nos sociétés occidentales et la charité tellement difficile à vivre, y compris, dans les rangs d’un presbyterium.
L’Eglise vous donne à moi comme des frères et des fils, c’est elle qui le dit. Je fais parfois l’expérience de la turbulence des fils, plus souvent, celle de la chaleur des frères. Je sais votre bonheur souvent humble et caché. Je connais votre détermination et votre zèle pour Dieu, le Peuple de Dieu que vous voulez servir, votre attachement à la population du Pas-de-Calais.


La croix ne vous fait pas peur. Pourquoi ? J’emprunte encore à Benoît XVI une réponse que vous ne récuserez certainement pas : « L’homme a trouvé la vie, quand il s’attache à celui qui est lui-même la vie. Alors beaucoup de choses peuvent être détruites en lui … C’est la relation avec Dieu en Jésus-Christ qui donne cette vie qu’aucune mort n’est en mesure d’enlever. »
Chers amis prêtres, un jour le Christ vous a dit : « Tu seras pauvre, je t’ouvrirai les yeux, je te libérerai de tes chaînes, tu renonceras à toute forme d’oppression. » Oui, vous avez pu accueillir la Bonne Nouvelle et l’annoncer.


Il y aura vingt ans, le 2 juin prochain, que j’ai reçu sur mes épaules le livre des Evangiles. Je ne me doutais pas alors qu’il vous reviendrait avec nos frères diacres, avec tous les consacrés et les fidèles du Christ de faire en sorte que ce qui m’était présenté comme un fardeau soit une Bonne Nouvelle qui s’accomplit aujourd’hui dans le Pas-de-Calais. Oui, ce matin encore, la balle est dans notre camp. Jésus nous y précède et nous appelle « à faire des disciples. »

Mgr Jean-Paul Jaeger