Liturgie, quelques bribes pour un débat
A propos d'un éventuel motu proprio du pape sur la liturgie selon Pie V
Toujours est-il que l’on cause beaucoup à propos d’une éventuelle « réhabilitation » de la messe selon le rite de Saint Pie V. Le seul emploi de ce terme suffit à faire comprendre que beaucoup d’interlocuteurs ne savent pas très bien ce dont ils parlent. Si d’aventure, ils évoquent la messe « en latin », nous entrons dans une nébuleuse qui conduit à une première conclusion : le rite dont il est question a massivement quitté le champ de la conscience de nos contemporains. Un autre s’est imposé. L’Eglise l’a voulu ainsi.
Façonné par la liturgie d'hier...
Ce rite m’a partiellement façonné. Par lui, j’ai été initié au mystère de l’Eucharistie. Il m’a aidé, jusqu’aux portes de l’âge adulte, à vivre la communion au Christ Mort et Ressuscité. Il fut à l’origine de mon attachement à la liturgie de l’Eglise. Il a joué un rôle premier dans l’éveil de ma vocation. J’y ai trouvé la nourriture pour rencontrer des frères et le monde. Merci, mon Dieu.
... heureux aujourd'hui de pouvoir accéder plus largement à la Parole de Dieu
Un jour, l’Eglise m’a donné un autre rite. Je ne l’ai pas choisi. Comment n’aurais-je pas accueilli avec enthousiasme et obéissance un don de l’Esprit Saint proposé par les évêques du monde entier rassemblés autour pape et unis à lui ? Quel bonheur de pouvoir accéder plus largement à la Parole de Dieu ! Non, l’Eglise ne supprimait pas ce qu’elle m’avait très tôt offert, elle l’enrichissait et l’amplifiait. Merci, mon Dieu.
Chaque jour, particulièrement chaque dimanche, dans la célébration selon le même rite de l’Eglise latine s’accomplit sacramentellement dans le sacrifice du Christ la parole de l’apôtre : « Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même, il n’y a qu’un seul Corps et un seul Esprit. Il n’y a qu’un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui règne au-dessus de tous, par tous et en tous. » Je peux célébrer cette Eucharistie avec les fidèles du monde entier, la concélébrer avec une foule de frères prêtres, d’évêques, avec le Saint Père en des circonstances bénies.
Abus et déviations: savoir balayer devant sa porte.
Je ne me hasarderai pas à proclamer que l’ensemble du Peuple de Dieu a parfaitement et totalement reçu les trésors du développement liturgique de Vatican II. Il sera toujours facile de déceler, çà et là, des « abus » et des « déviations. » La liturgie est elle-même un mystère. On ne finit jamais d’y entrer et de se laisser initier par elle. J’affirme cependant qu’un immense travail porte de bons et de beaux fruits.
Dois-je ajouter avec malice que Vatican II n’a pas inventé les « abus ? » Serais-je vraiment le seul à avoir été naguère témoin de situations cocasses et étranges bien peu conformes au sens du sacré et de la Présence Réelle que d’aucuns estiment mieux percevoir dans un rite plus que dans l’autre ! Bien des interventions tonitruantes de pasteurs, usant et abusant de la chaire de Vérité seraient entrées séance tenante dans la catégorie de « l’horizontalisme » qui fait les choux gras de certains censeurs.
La faiblesse des uns, n’excuse pas celle des autres. Elle peut cependant donner à tous « l’humilité, la douceur, la patience. » J’y ajouterais volontiers le goût de la recherche commune, de la réflexion priante et de la formation à une liturgie qui nous dépasse toujours.
Textes et prétextes
Rien n’est moins acceptable que l’instrumentalisation de la liturgie à des fins qui lui sont étrangères. Tout rite, dans son déploiement, repose sur des présupposés anthropologiques, théologiques et ecclésiologiques. Opposer les soubassements de deux rites me semble injuste et trompeur.
Vatican II n’a pas aboli les conciles précédents. Il a poursuivi, complété, continué, prolongé ce qui s’est arrêté à une époque, dans un contexte déterminé. De façon toute logique, il a esquissé une réponse à des questions nouvelles que pose tout naturellement l’évolution des cultures. Il a dévoilé ce que d’autres temps, des événements déterminants, les limites de la connaissance, des pratiques situées ne permettaient pas de mettre en lumière.
La liturgie ne pourra jamais servir à justifier ou à récuser des théories, des systèmes, des pratiques, une vision du monde, pire à les opposer. Nous serions là devant « l’abus » majeur qui consiste à dévoyer l’Oeuvre de Dieu au bénéfice de querelles humaines et idéologiques.
Inscrire plus encre le concile Vatican dans notre histoire aujourd'hui
L’histoire de l’Eglise ne commence pas avec un concile. Elle ne s’arrête pas à un concile. Ces grands moments posent autant de marches qui marquent notre pèlerinage dans la foi au Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, dans l’Eglise. Il faut apprendre à les grimper. Il est normal que les personnes qui ont vécu un tel événement et ont franchi un seuil s’y réfèrent de façon privilégiée. Le moment est sans doute venu de l’inscrire plus solidement dans toute une histoire, d’en recueillir, travailler et mettre en œuvre toutes les données, au-delà d’une approche fatalement marquée par la subjectivité du vécu.
L’inscription dans l’histoire ne consiste pas à mettre au placard, mais à situer plus fermement et largement. Elle peut tout d’abord éviter l’agacement de plus jeunes qui se demandent ce que veulent bien dire des aînés qui parlent de « avant le concile » et « après le concile. » Les sexagénaires savent combien il a parfois été difficile de tracer leur propre sillon lorsqu’ils étaient sans cesse renvoyés « avant la guerre » que, par bonheur, ils n’avaient pas connue !
La réforme liturgique a commencé bien avant Vatican II
Cette même démarche peut également absoudre Vatican II de nombreux « péchés » dont le charge une littérature qui inonde évêchés et presbytères. En amont de Vatican II, des papes successifs ont retouché le rituel selon Saint Pie V. La réforme de la Semaine Sainte sous Pie XII ne s’est pas contentée de rectifier quelques détails ! Certaines conceptions de la vie sociale, morale, économique, politique, de la relation entre la foi et la raison, du rapport entre la vie, la foi, le monde ont été condamnées par des papes, bien avant Vatican II ! Non le dernier concile ne constitue pas un en-soi propre à focaliser toute l’adhésion ou toute la répulsion. Il est le maillon d’une longue chaîne. Qui peut s’autoriser à la briser ?
Conclusion
Il ne faudrait pas que l’exaspération d’une mauvaise, trompeuse et dommageable querelle nous détourne de Celui en dehors de qui Saint Paul ne voulait rien connaître : « Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » Ce n’est pas un rite, ce n’est pas un concile, c’est Lui qui sauve !
+ Jean-Paul JAEGER
sous-titres de la rédaction
Ephésiens 4, 4-6.
Ephésiens 4, 2.
1ère Corinthiens 2, 2.
Déclaration de mgr Le Gall, président de la commission Liturgie; de Mgr Noyer, évêque émérite d'Amiens