Ordination presbytérale Pierre Poidevin

Confiance et obéissance Ordination presbytérale de Pierre Poidevin  
Confiance et obéissance
Confiance et obéissance
Il est toujours embarrassant de parler du mystère de la Sainte Trinité. Les mots manquent. Ils semblent tellement dérisoires et fades, inappropriés. Ils ne peuvent qu’effleurer une réalité qui saisit tout l’être et l’entraîne là où aucune créature humaine ne peut prétendre d’elle-même, accéder.

Devant le mystère de la Trinité, nous ne pouvons, comme Moïse, qu’entendre l’invitation à faire une détour,, à nous déchausser, à contempler et méditer longuement ce que dans sa grâce, Dieu veut bien révéler de Lui-même.

Il nous introduit alors dans l’intimité du Père, du Fils et de l’Esprit qu’en ce monde, nous ne connaîtrons que bien imparfaitement.


Nous entrons dans le mystère trinitaire parce que Dieu Lui-même nous le fait partager. Nous sommes baptisés au nom du Père, du Fils et de l’Esprit. Ainsi nous avons notre demeure en Dieu et Dieu est en nous.

Nous comprenons mieux la merveilleuse prière de Jésus avant sa mort et le sublime enseignement qu’il délivre à ses apôtres avant de marcher vers la croix. Il y est, sans cesse, question de la relation qui unit le Père, le Fils et l’Esprit, relation qui sera comme l’ossature même du disciple, modèle de l’homme recréé par Dieu, en son Fils mort et ressuscité, par la puissance de l’Esprit Saint.

Qu’importe alors si le disciple est faible, pauvre, fragile, s’il n’a pas la force de porter ce que le Christ, dit et vit. L’Esprit le guidera vers la vérité tout entière, vers cet amour qui fait que tout ce qui est au Père est au Fils, tout ce qui est au Fils est au Père. Nous voilà installés dans le cœur brûlant de Dieu, le cœur de notre foi et de l’Eglise.


Soudain, la difficulté des formulations s’estompe. La réponse du balbutiement de l’amour au torrent de l’amour ne peut être qu’ humble et simple. Je l’emprunte à Saint Marie Vianney, curé d’Ars. Il s’exclame : « Le bon Dieu voulant se donner à nous, dans le sacrement de son amour, nous a donné un désir vaste et grand que lui seul peut satisfaire. »

 

C’est à la lumière de l’amour trinitaire que nous accueillons et vivons le sacerdoce comme un don. En organisant une année sacerdotale, n’allait-on pas voir revenir par la petite porte le prétendu ou réel triomphalisme sacerdotal ? Le concile Vatican II l’avait renvoyé dans ses buts en mettant en lumière le sacerdoce commun des baptisés.

 

La méditation du mystère trinitaire nous fait sortir d’une pseudo opposition dans laquelle nous risquons de nous complaire. Tous les membres du Peuple de Dieu, baptisés dans la mort et la résurrection du Christ, marqués par l’onction de l’Esprit-Saint sont appelés à proclamer les merveilles de Dieu et à s’offrir au Père. Pour que ce peuple remplisse sa mission, des ministres sont ordonnés évêques et prêtres pour rendre présent et agissant le Christ, Tête du Corps et présider, en son nom, et avec son autorité au service de la communauté.


Pas plus que dans la Trinité le Père, le Fils et l’Esprit ne sont isolables l’un de l’autre ou l’emporteraient l’un sur l’autre en dignité, en puissance, les différents membres du Peuple de Dieu, quels soient leur état de vie, leur statut sacramentel, leurs fonctions ne peuvent vivre leur mission ou exercer leurs responsabilités sans la communion aux autres membres.

 

Il serait incongru d’imaginer que l’une des personnes de la Sainte Trinité revendique, un jour, son indépendance et s’exclue de la communion d’amour qui fait leur unité. Pourquoi faudrait-il s’accommoder si facilement d’une telle attitude dans l’Eglise ?

Sur les murs de la chapelle de son ermitage de Saint Fons, le Bienheureux Antoine Chevrier a peint, en quelques formules, la charte du Prado. Beaucoup s’étonneront de retrouver là, une expression latine parfois controversée : « Sacerdos, alter Christus. », « Le prêtre un autre Christ. » Pas plus que d’autres, le Père Chevrier ne voulait laisser supposer l’existence d’un autre Christ en dehors de Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu.

Malgré son immense désir de servir les plus pauvres et les plus démunis, il assumait avec une extrême modestie cette mission qui est celle du Christ, Tête du Corps, mais qui donne sa vie pour le Corps.

 

Passionnés par le Christ, façonnés par lui, Saint Jean-Marie Vianney, le Bienheureux Antoine Chevrier étaient à mille lieues d’attraper la grosse tête et de succomber à un quelconque réflexe identitaire. Ils s’étaient tout simplement laissé conduire et introduire dans l’intimité trinitaire, elle était devenue leur vie.

L’un et l’autre ont appris à l’école du Christ qui leur collait à la peau à se laisser façonner par lui, à regarder leurs frères et les servir à la manière même du Christ. L’un et l’autre ont voulu fuir la charge qui leur semblait tellement lourde et qui dépassait leurs forces. Ils ont tenu bon en restant attachés au Christ dont Saint Paul avait déjà dit qu’il vivait en lui, que notre vie n’est plus à nous, mais à Lui. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre qu’un prêtre est un autre Christ.

Cher Pierre, tu le constates, ton évêque et les membres du presbyterium dans lequel tu vas entrer se sont efforcés de répondre à l’invitation du Saint Père et de vivre, avec les fidèles qui ont prié pour eux, l’année sacerdotale.


Nous sommes heureux de te confier à Saint Marie Vianney, curé d’Ars et au bienheureux Antoine Chevrier près desquels nous somme allés, selon la formule empruntée au second, « remettre de l’huile dans nos lampes. »
Tu es attendu et bienvenu. Tu seras dans quelques minutes le prêtre le plus jeune du diocèse. Tu sais donc à quelles richesses et à quelles limites tu vas être confronté.


Les fidèles et les confrères eux-mêmes te demanderont invariablement de reproduire ce qu’ils ont connu, ce qu’ils ont été. Sur ce terrain, tu ne pourras que les décevoir. Le voudrais-tu que tu ne pourrais jamais porter seul la charge qu’assumaient naguère 10 ou 15 prêtres. Même avec l’apport de prêtres extérieurs au diocèse, tu seras, pour une durée que Dieu seul connaît, prêtre au sein d’un presbyterium peu nombreux. Tu en verras encore diminuer l’ effectif. Je te mentirais si je te disais le contraire. Ce mouvement n’est pas définitif et irrémédiable, mais il s’impose, aujourd’hui et dans un avenir proche, comme un fait.
Nul n’a le droit d’attendre de toi de te disperser jusqu’à l’écartèlement et l’épuisement dans les structures et les fonctionnements plus utiles et féconds les uns que les autres. Ils ont le seul inconvénient d’avoir été mis en place à l’époque où prêtres, religieux et fidèles laïcs étaient nombreux et disponibles.


Jamais, il ne pourra être exigé de toi de renoncer à être visiblement le ministre du Christ Tête de son Eglise qui veille à l’harmonie et à l’unité des engagements, des dons et des missions, là où ton évêque t’enverra comme pasteur. Comme les apôtres, tu n’abandonneras jamais l’annonce de l’Evangile et la prière.


Tu trouveras et révéleras la source et le sommet de ton ministère dans la présidence de l’Eucharistie. Elle est et demeure, envers et contre tout, pour les fidèles la source et le sommet de toute vie dans le Christ, de tout apostolat.
Sans passer 16 heures par jour au confessionnal, tu donneras corps et chair à cette magnifique certitude du curé d’Ars : « Ce n’est pas le pécheur qui revient à Dieu pour lui demander pardon, mais c’est Dieu lui-même qui court après le pécheur et qui le fait revenir à lui. »
Tu ne pourras pas être présent partout et à tous. Tu ne te fais aucune illusion à ce sujet. Dans chaque rencontre, fais, cependant, en sorte que tout être humain reconnaisse en toi le Christ qui es venu pour le faible, le pauvre, la malade, l’étranger, l’exclu. Qu’il reconnaisse en toi Celui qui a donné sa vie par amour pour Dieu et pour ses frères.


Pierre, sois heureux d’appeler, de former, de soutenir, de nourrir des fidèles laïcs qui, sous de multiples formes, participent et contribueront toujours plus à la vie mission de l’Eglise. Tu sais qu’aux cotés des ministres ordonnés, ils ont un rôle accru à jouer avec la mise en œuvre de l’Orientation Catéchétique Nationale dans notre diocèse. Respecte et admire l’œuvre de l’Esprit-Saint en eux. Rassemble-les pour que grandisse l’indispensable unité sans laquelle il est bien difficile, voire impossible à nos frères humains de reconnaître dans l’Eglise le Corps du Christ. Vois en eux de généreux collaborateurs.


Fais route avec tes confrères prêtres. Offre leur la fougue et l’enthousiasme de ta jeunesse, reçois en partage leur sagesse et leur expérience. Tu auras de multiples occasions de te réjouir du don que le Seigneur fait à son Eglise par le diaconat permanent. Tu seras bousculé et interrogé par le signe que donnent les religieux, religieuses et consacrés dans notre Eglise diocésaine.
Par ta vie, ta présence, ton ministère, tes appels, éveille en d’autres jeunes le désir de tout donner et de se donner si Dieu et l’Eglise le leur demande. Fais leur découvrir que se laisser entrainer plus avant, totalement et sans regarder en arrière dans le mystère du Dieu Père, Fils et Esprit est source d’une joie que rien ni personne ne leur ravira.


Nul ne songerait à reprocher au Bienheureux Antoine Chevrier un manque d’attention à l’égard de ses semblables les plus accablés et les plus meurtris. Il comprend vite que « Le bon Dieu a besoin de prêtres pauvres. » Comment former préparer ces prêtres ? Ecoutons encore le fondateur du Prado : « Cherchez dans l’Evangile et vous trouverez toutes les plantes et les fleurs qui vous sont nécessaires pour nous donner la vie et l’entretenir en nous. Qu’avons-nous donc à faire ? D’étudier notre Seigneur Jésus, d’écouter sa parole, d’examiner ses actions, afin de nous conformer à lui et de nous remplir du Saint Esprit … Que les mystères du Seigneur vous soient si familiers que vous puissiez en parler comme d’une chose qui vous est propre, familière, comme les gens savent parler de leur état, de leur vêtement, de leurs affaires. »

La prière solennelle que je chanterai sur toi, Pierre, situera, ta personne, ton ordination, ton ministère dans la relation trinitaire. Elle est adressée au Père. Elle évoque la venue et l’œuvre rédemptrice du Fils, elle appelle le don de l’Esprit Saint.


N’oublie jamais quoi qu’il advienne des conditions concrètes de l’exercice du ministère qu’il te revient d’aider tes frères à se laisser habiter par cette relation d’amour pour qu’elle illumine et transforme leur vie et l’humanité tout entière. Tu y parviendras si tu es toi-même nourri et illuminé par cette relation.
Au moment où tu va emprunter un long et beau chemin, je te laisse cette précieuse recommandation de Saint Jean-Marie Vianney. Le saint curé raconte : « On demandait à un saint quelle était la première des vertus ! C’est répondit-il, l’humilité. Et la seconde ? L’humilité. Et la troisième ? L’humilité. » Il est vraiment grand le mystère de Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint !


+ Jean-Paul Jaeger