Un avenir pour Haïti.
lettre de Mgr Jaeger
Réalisation: Jacques Chery, Haïtien Le 12 janvier de cette année, la terre a tremblé en Haïti. Un bilan provisoire fait état d’un minimum de 170 000 morts. Bien évidemment, il n’existe pas de bons et de mauvais séismes. Cependant, un curieux concours de circonstances rend celui que nous déplorons, en ce début d’année, particulièrement dramatique.
Le pays est reconnu comme le plus pauvre du monde par les instances internationales. La capitale, Port-au-Prince, concentre une forte proportion de la population. Les plus fortes secousses y ont été ressenties. Toutes les formes d’organisation humaine et sociale ont été touchées dans leurs acteurs, leurs bâtiments, leurs moyens. Le palais présidentiel, la cathédrale, des ministères, des hôpitaux, des centres de production, de commerce ont été détruits.
Cette rapide description suffit à faire comprendre pourquoi il a été difficile d’acheminer les secours, de prendre des décisions, de réinstaurer un minimum d’organisation. Les vivants ont côtoyé les morts pendant de longues journées sans qu’il soit possible de garantir la survie des uns et de donner une sépulture aux autres. Une sorte de lutte pour la survie s’est lentement imposée.
Dans pareil cas, les secours arrivent toujours trop tard ! Leur acheminement demande du temps et leur mise en place réclame des maîtres d’œuvre qui ont fait cruellement défaut puisque toutes les formes de pouvoir étaient décimées.
Une fois de plus, nous devons saluer l’engagement, l’investissement et l’épuisement d’hommes et de femmes accourus de partout. Ils n’ont pas ménagé leur peine pour sauver et soigner ceux qui pouvaient l’être et redonner force, courage et confiance à des hommes, des femmes, des enfants, soudain devenus membres épars et errants de familles disloquées, endeuillées et angoissées.
Comme beaucoup sans doute, je n’oublierai pas les images de désolation qu’ont déversées pendant quelques jours tous les médias dont nous disposons. Nous retiendrons aussi les sourires et les simples mots de rescapés retirés de leurs prisons de béton et de fer par l’acharnement des sauveteurs. Ils devenaient, soudain, des privilégiés ou des miraculés !
Certains parmi nous ont été surpris, choqués peut-être, par ces processions chantantes et presque joyeuses qui traversaient les rues jonchées de cadavres. Des fidèles rendaient grâce à Dieu tout simplement parce qu’ils étaient vivants. Ils confiaient au Seigneur leurs défunts et voulaient déjà sourire à leur propre avenir.
Non, il n’y avait pas de résignation et de révolte dans leur prière, mais une double certitude : Dieu est plus grand que tout, que la mort elle-même. Tant qu’existe un souffle de vie, un avenir est possible.
Nous ne pouvons pas décevoir l’espérance du peuple d’Haïti. Nos pays et leurs populations ont le devoir de l’aider à reconstruire et à se reconstruire. Il serait inhumain de vider Haïti d’une partie de sa substance humaine pour n’y laisser se réinstaller qu’une fraction de la population que d’autres pays ne verraient aucun intérêt à accueillir.
L’émotion ne dure pas. Les élans généreux risquent vite de se briser sur des préoccupations hexagonales réelles mais tellement hors de proportions par rapport aux besoins de nos frères haïtiens. Notre Eglise a une mission de vigilance et d’entraînement à remplir. Ses petits gestes de solidarité fraternelle seront toujours bienvenus. Ils se joindront à tant d’autres. Il y a en déjà eus dans notre diocèse, bravo et merci, mais nous savons qu’il faudra plus qu’un feu de paille pour redonner chaleur et vie à tout un peuple.
Ce drame secoue les consciences. Il souligne, une fois de plus, la fragilité de l’humanité. Ce qu’elle a patiemment édifié peut être instantanément anéanti.
Chantant sur les ruines de leur ville, face à la mort et aux blessures, les habitants de Port-au-Prince et d’autres lieux ont quasiment tout perdu de ce que l’on peut posséder. Ils nous ont rappelé que l’être vivant restera toujours le plus grand bien et le plus merveilleux trésor.
Il faut se réjouir avec l’homme, quel que soit son nom et son histoire, quand les circonstances nous lancent ensemble sur les chemins d’une existence dont le contenu reste à inventer. Il y a là une extraordinaire interpellation dont nous avons un grand profit à retirer.
Des sauveteurs français exténués viennent de rentrer au pays. Ils ont été bouleversés par ce qu’ils ont vu, parce qu’ils ont fait et surtout parce qu’ils n’ont pas pu faire. Ils ont mesuré le prix inestimable en même temps que la pauvreté de notre humanité. Pardonnez-nous, chers amis, si pour vous remercier et vous accueillir nous n’avons à vous offrir qu’un épisode supplémentaire du feuilleton Clearstream. Oui, notre humanité a la curieuse faculté de mêler en elle le sublime et le dérisoire !
Mgr Jaeger