Homélie de l'ordination diaconale de Jean-Christophe Neveu

Ordination diaconale Ordination diaconale  L’évocation de Tyr, de Sidon, de la Galilée ne laissent planer aucun doute. C’est bien chez les Païens que Jésus nous entraîne dans le passage de l’Évangile qui vient d’être proclamé.

 

Oublions un instant la coloration péjorative que peut prendre le terme « païen » dans notre culture. À l’époque de Jésus, il désigne par contraste, la masse des hommes qui n’a pas le privilège de la révélation du Vrai Dieu et de l’héritage de la promesse faite par Dieu à Abraham. Ils n’appartiennent pas au peuple choisi et aimé pour manifester au monde la grandeur et la miséricorde de Dieu.

 

Jésus est reconnu comme un maître à l’intérieur de ce peuple. En son sein, Il appelle des disciples, parle avec autorité et donne des signes qui, selon la parole des prophètes, accompagneront la venue du Messie.

 

On devine pourquoi la rencontre de Jésus avec ces fameux païens lui vaut bien souvent dans l’Évangile l’incompréhension, la réprobation et peut-être même le rejet.  Un sage en Israël  ne se compromet pas avec des hommes et des femmes qui confient leur destin aux idoles Non, les Juifs et les Païens ne sont pas du même monde. Ils ne jouent pas dans la même cour.

 

Cet antagonisme rend plus scandaleux encore les gestes de Jésus. Non content d’évoluer parmi les païens, il va guérir l’un d’entre eux. Il se permet des familiarités qui ne peuvent être perçues que comme une marque d’intimité inadmissible et choquante. Et pourtant, un homme retrouve la santé. Et de cette foule, jaillit un cri qui a la saveur d’une esquisse de profession de foi : « tout ce qu’Il fait est admirable. »

 

Cet après-midi, au cours de cette Eucharistie et même à l’heure d’une ordination, nous nous tournons d’abord et surtout vers le Christ. Et ce n’est qu’avec Lui, à travers Lui que nous pouvons poser notre regard sur Jean-Christophe. La saine théologie nous dit que, par l’ordination, il sera configuré au Christ. Je suis persuadé que, longtemps encore, on proposera à des candidats au doctorat de développer toutes les significations possibles de cette expression. Peut-être veut-il dire, cet après-midi, Jean-Christophe, que Jésus met les doigts dans tes oreilles, qu’Il touche ta langue de sa salive et qu’Il soupire avant de te dire « Ephata ! », « Ouvre-toi ! »

 

Homme parmi les hommes, tu as sans doute besoin, comme tout être humain,  de faire en Jésus Christ l’épreuve de la guérison. Pour que tu sois ministre du Fils de Dieu, serviteur de son Eglise, tes oreilles doivent encore s’ouvrir et ta langue se délier. Ce renouveau ne peut s’effectuer que par cette totale et extrême intimité avec le Christ dans laquelle t’introduira le don de l’Esprit Saint.

 

Une société a toujours le droit de s’interroger sur ce que signifie la présence et la mission de ministres ordonnés. Elle peut s’étonner d’attitudes qu’elle perçoit comme des choix personnels, après tout, possibles parmi tant d’autres. Elle se révolte contre une Église qui, à certaines heures, prend, à ses yeux, les traits d’une marâtre qui impose à ses enfants des obligations aussi inintelligibles qu’inacceptables, le célibat et l’obéissance, par exemple. Nous sommes les membres de cette société, mais nous voulons, dans l’Église, lui donner le témoignage des richesses qu’engendre en elle la profonde humanité que manifeste le Christ ainsi que celles et ceux qui lui sont intimement liés.

 

Nous n’avons ni la volonté, ni la possibilité d’imposer cette profonde union des hommes avec le Christ et dans le Christ. Mais nous recevons la joyeuse mission de lui faire voir et de lui dire ce que réalise ce profond attachement. Jean-Christophe, si le Christ te dit « Ephata », c’est pour que toute l’Église dont tu seras le diacre puisse, par la rencontre et l’intimité avec le Christ, faire entendre, à ses frères humains que nous aimons tellement, la Parole qui guérit et faire les gestes qui sauvent.

 

Trop des nôtres savent, à leur corps défendant, que la maladie, l’infirmité excluent et rejettent. Ce n’est pas par hasard que la Parole de Celui qui libère est attestée par des signes de guérison. Ils n’ont nullement pour but d’affirmer la puissance d’un être doué de qualités supérieures et inégalables. Ils montrent que dans l’être du Christ, la Parole du Christ, l’Amour du Christ, la Mort et la Résurrection du Christ, se trouvent la guérison, l’accomplissement, le resplendissement, la libération de chaque être et de tous les êtres.

 

Quand Jésus qui n’a jamais renié son appartenance au peuple juif, tant s’en faut, entre en contact avec les Païens, Il ne joue pas naïvement les provocateurs, Il va jusqu’au bout de son appartenance et de sa mission. Ce peuple n’est pas voulu pour Lui-même, Dieu le met au service de la famille humaine pour que Lui soient annoncées son adoption et sa grandeur.

 

L’Église, dont sans doute l’immense majorité d’entre nous sommes les membres, n’a pas davantage sa fin en elle-même. Elle est le signe et l’instrument de l’œuvre tout aimante de Dieu si bien incarné dans ce comportement tellement étrange de Jésus. Il est si profondément humain qu’il révèle la divinité de ce Fils bien aimé.

 

Quand l’Église, tant par les plus humbles de ses fidèles que par ses ministres les plus écoutés, part à la rencontre des plus démunis, des sans-voix, des marginaux, des malades, des infirmes, des blessés de la vie, des cœurs brisés, elle ne cherche pas à rivaliser avec d’autres sur le terrain de l’assistance, de la générosité, de la compassion. Elle est pleinement elle-même. Elle ne serait pas l’Église si elle ne courait pas le risque de cette aventure. Saint Jacques nous le dit avec réalisme et vigueur.

 

L’Eglise ne se contente d’annoncer une parole qui, selon l’enseignement de Saint Paul, peut fort bien ressembler au retentissement d’une cymbale qui finit toujours par s’évanouir dans le silence. La Parole de l’Eglise, comme celle du Christ, fait ce qu’elle dit.

 

En retour, disciples de Jésus, nous savons bien que nos démarches les plus altruistes attendent de s’épanouir dans le Christ en lien filiaux et fraternels qui, seuls, peuvent garantir la cohésion d’une humanité qui se fait famille. Depuis les premiers jours de la création, les conflits se sont succédés aux conflits, les réconciliations aux réconciliations. Dans de rudes combats, les hommes ont su vaincre l’égoïsme, l’oppression, la domination. Et pourtant de nouvelles formes de rejet et de divisions apparaissent dans nos sociétés tellement fières de leur haut niveau de développement.

 

Nous croyons, et l’ordination d’un diacre, serviteur  à l’exemple et au nom du Fils de Dieu,  nous le redit, oui, nous croyons que nos efforts et nos engagements pour guérir toutes les blessures du corps, du cœur, du couple, de la famille, de la société, de l’humanité trouveront leur plein achèvement dans le Christ qui meurt par amour. Il reçoit la vie nouvelle au matin de Pâques. Il nous la propose  dans une relation inespérée de proximité. Elle ouvre les oreilles et délie les langues. Nous entendons enfin des frères. Nous partageons enfin avec eux les paroles de l’amour !

 

Jeunes amis, pour faire souvent  route avec vous, je pressens ce que représente pour vous notre rassemblement de cet après-midi. Je suis convaincu que vous attendez beaucoup de Jean-Christophe. Vous n’êtes pas venus entourer un bon copain qui, cela le regarde, fait sa vie comme il veut.

 

Son ministère, celui qu’il va recevoir aujourd’hui, celui qui, avec la grâce de Dieu lui sera conféré dans quelques mois, vous le désirez et vous êtes capables d’en exprimer le besoin. Vous l’avez entendu tout à l’heure. Il est prêt, avec toutes les fragilités de notre commune humanité à donner toute sa vie.

 

Regardez en lui Jésus qui brave les préjugés et les interdits et qui ose la rencontre, notamment avec les plus petits ! Pensez-vous que, par lui, le Christ, le Fils de Dieu vous propose, dans une proximité permanente, de guérir toutes vos surdités, de mettre dans votre bouche sa Parole de Vie et d’Amour, d’ouvrir vos cœurs si pressés de se refermer sur ce qu’ils estiment être leurs trésors et leur bonheur ?

 

Aurez-vous l’audace de crier à votre manière que tout ce que le Christ fait et dit au-delà même des critiques, de la persécution et de la mort sur la Croix est bon pour l’homme, tellement bon que ses bienfaits ont le goût de la vie nouvelle d’un matin de Pâques, une vie plus forte que la mort ?

 

Vous l’avez compris, mes amis, quand l’Église parle, témoigne, agit, s’engage, qu’elle transmet et communique ce qu’elle a  elle-même reçu, elle ne recrute pas pour son club, elle invite joyeusement à entrer dans une relation où tout est bon pour l’homme. Allez-y ! Croyez, dites, faites, témoignez ! Le Christ vient à vous.  Pour ce service, Jean-Christophe est ordonné diacre.

 

Laventie, le dimanche 11 septembre 2006.

 

+ Jean-Paul JAEGER.