Revenir à Noël
Edito de Monseigneur Jaeger dans l'Eglise d'Arras n°11
Au hasard de quelques achats, je m’étonne devant une commerçante de voir les abords et les allées d’un supermarché agrémentés des décorations et des lumières de Noël, dès le lendemain du 11 novembre. « Ne soyez pas surpris, me dit-elle, les rayons de jouets sont déjà bien dégarnis.» Je dois me rendre à l’évidence : le temps du commerce n’entretient plus qu’une lointaine relation avec celui de la liturgie !
En ajoutant la polémique récurrente sur l’installation des crèches dans l’espace public, il me faut conclure, si j’étais encore persuadé du contraire, que notre culture poursuit son émancipation à l’égard de la maîtrise du temps et du sens que lui a légué le Christianisme. Nous ne sommes plus loin de l’époque où, lorsque les chants de Noël résonneront sous les voûtes de nos églises, la société sera déjà passée à autre chose !
Je ne peux pas oublier que des paroisses et des établissements scolaires organisent bien avant le 25 décembre des célébrations et des veillées appropriées, puisque, de toute façon, pour Noël, les enfants et les parents ne seront pas là !
Nous continuerons, bien sûr, à parler des racines chrétiennes de l’Europe et à entretenir le débat à ce sujet, mais dans quel but ? Que valent, en effet, des racines quand le tronc, les branches et les feuilles disparaissent au fil du temps ? Il y aura probablement encore de bons apôtres pour se plaindre que les églises sont fermées et inoccupées, mais ils ne trouveront pas pour autant utile et approprié de figurer au nombre de ceux qui peuvent les remplir !
Je ne veux surtout pas rejoindre le chœur des pleureuses. Sans totalement disparaître, au moins pour le moment, une tradition évolue. Il faut, au minimum en prendre acte. Le monde n’attend plus l’Église pour faire la fête. « Bon hiver ! » Tel est, rapporte-t-on, le souhait que formule en cette période de l’année une chaîne hôtelière bien connue.
Déjà, des plus jeunes demandent : « Noël, c’est quoi ? » Faut-il se lamenter d’une telle question dont la réponse se perd dans les flots de lumière, la liste des cadeaux, la subtilité des invitations, les plans de table, l’organisation des déplacements. Devons-nous feindre encore l’étonnement quand une telle abondance ne supporte plus, même de façon minoritaire, le rapprochement public avec la touchante scène d’un enfant couché dans la paille ?
Finalement, les Chrétiens ne sont-ils pas invités à revenir insensiblement à Noël ? Le récit évangélique nous plonge dans une aventure qui n’a strictement rien à voir avec la manière dont elle a été transmise et orchestrée au fil des siècles. Nous ne devons pas gémir quand il faut à nouveau attendre, chercher, regarder, être étonné, bousculé. Pourquoi faudrait-il que le silence de l’Incarnation du Fils de Dieu cède à tout jamais la place à la magie d’une fête qui parle de tout sauf du dépouillement, de la pauvreté, de l’abaissement ?
La naissance de Jésus n’est pas révélée dans la débauche de consommation, dans l’émerveillement des marchés de Noël. Elle se manifeste sous la forme d’un mystère dont l’annonce est confiée à d’humbles bergers. Il n’est sensible qu’à celles et à ceux qui, au creux de leurs tâtonnements humains, guettent un amour bien plus fort que les signes généreux et pourtant fragiles qu’ils sont capables d’en laisser paraître. Il n’est perceptible qu’aux cœurs qui savent qu’ils ne se donneront jamais à eux-mêmes la plénitude de bonheur à laquelle ils aspirent.
Ne soyons pas désespérés si les circonstances ne figent plus une image idyllique de Noël dans les yeux et les mémoires des plus jeunes. Ce ne sont pas les guirlandes et les festins qui, pendant la Grande Guerre, ont fait sortir les soldats ennemis de leurs tranchées pour célébrer Noël, mais la soudaine conscience qu’il était absurde de s’entretuer alors que les uns et les autres se réjouissaient de la venue de l’unique Fils de Dieu et se redécouvraient, même furtivement, enfants du même Père.
Il n’a fallu, hélas, que quelques jours pour que ce chemin de fraternisation soit, à nouveau, obstrué par la stupidité de la guerre ! Dans le dénuement, la boue des tranchées, le froid, ces hommes pouvaient mieux que quiconque faire l’expérience d’un Dieu qui se fait pauvre et n’a que l’amour à donner.
Je ne sonde pas les reins et les cœurs, mais je pressens ce que des êtres humains expriment et se disent lorsqu’à leur manière et selon une tradition, ils répondent à l’appel de la fête. Ils veulent sincèrement ce qui est beau et grand pour les leurs, pour la famille humaine. Quels que soient les temps et les modes, l’Église est là pour leur révéler cette beauté et cette grandeur qui sont plus proches d’eux qu’ils ne sauraient l’imaginer. Elles se donnent en Jésus, enfant inconnu, ignoré et pourtant Dieu fait homme. Là se trouve la vraie joie, là est Noël ! Il suffit peut-être de réapprendre à le dire et à le montrer.
+ Jean-Paul Jaeger