Homélie ordinations diaconales
Yves Audrain, Alain Lefebvre, Marc Lenouvel.
Actes 1-7. Marc 10, 17-30.
Imposition des mains Yves, Alain et Marc, vous êtes à l’origine du choix des textes de la Sainte Ecriture qui viennent d’être proclamés. Vous avez souhaité proposer à notre méditation commune un passage du livre des Actes des Apôtres et quelques versets de l’Evangile selon Saint Marc. La démarche se comprend. Pour vous, ces textes constituent une lumière et une nourriture pour votre futur ministère, pour nous, ils sont une source qui nous permettra d’accueillir et de comprendre ce ministère.
Je dois vous avouer que l’audace de votre option m’émerveille et me remplit d’admiration. Car, en fait, le croyant ne choisit jamais la Parole de Dieu, il se laisse choisir par elle. Les paroles qui ont retenti dans cette cathédrale et en nos cœurs ont une signification bien particulière. Elles ne constituent pas une référence extérieure à laquelle vous reviendrez de temps en temps. Elles sont le Christ Lui-même qui vous saisit et irrigue toute votre vie. Par elles, le Fils de Dieu vous façonne et vous modèle pour remplir sa mission, dans son Eglise, au bénéfice de ses frères et de ses sœurs qu’Il nous donne comme nôtres.
Soudain les mots prennent un relief spécifique. Par eux, Quelqu’un s’invite dans votre histoire et vous invite à partager la sienne. Il ne vous appartient pas d’entendre seulement, mais d’être et de vivre des mots du genre : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! » ou encore : « Personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il reçoive, en ce temps déjà, le centuple. »
Et voici que je vois, instantanément, vos épouses et vos enfants pâlir ! J’espère les rassurer en précisant qu’il ne vous est pas demandé de vivre le dépouillement des Trappistes, la solitude des Chartreux ou l’attachement communautaire des Franciscains. Ouf ! Il n’en demeure pas moins vrai qu’à la suite du Christ et comme Lui, vous êtes appelés à quitter des formes d’attachement tellement honorées dans notre société de consommation. Le diaconat peut se présenter, au premier regard, comme une forme d’anti-libéralisme. Il s’agit bien pour vous de servir, d’incarner le service pour que toute l’Eglise serve.
Soit, diront certains, mais pourquoi ordonner Yves, Alain et Marc ? Beaucoup d’entre vous les connaissent et peuvent témoigner qu’ils n’ont pas attendu l’appel de l’Eglise pour être d’authentiques serviteurs. Il est même possible que la présence d’un certain nombre d’entre vous dans cette cathédrale rende simplement hommage à leurs qualités personnelles, à leur disponibilité, à leur sens de l’autre, à leur désir de promouvoir contre vents et marins la dignité des personnes. Que va donc ajouter l’ordination qu’ils vont recevoir dans quelques instants ? S’agit-il de souligner l’excellence de leur engagement ?
Revenons à l’Evangile que les ordinands ont choisi. Il est redoutable. Qui peut dire comme le jeune homme qui interpelle Jésus : « Maître, j'ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse ? » Le Christ devrait être ravi de rencontrer un tel fidèle. Au lieu de se réjouir, il répond presque cruellement : « Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; puis viens et suis-moi. » Cette rudesse du texte s’explique par d’autres passages. Il y est question de vie éternelle, d’un Royaume de Dieu quasiment inaccessible.
Pour le coup, ces formules sont totalement déroutantes. Quels rapports peuvent bien entretenir le service, la générosité, la défense du plus petit et du plus faible avec la vie éternelle et le Royaume de Dieu ? Nul ne conteste à quiconque le droit de croire à ces réalités qui échappent totalement à d’autres, mais sur le front de la solidarité, il n’est quand même pas nécessaire de situer un clivage entre celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas !
Ce constat qui relève finalement du bon sens nous conduit au cœur même du ministère diaconal. Il nous mène au Christ. Laissons encore l’Evangile nous rejoindre. Jésus nous livre une formidable clé de lecture : « Personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Évangile … » Tout est dit. « A cause de moi et de l’Evangile. »
Diacres, Yves, Alain et Marc ne seront pas arrachés à leur famille, à leur enracinement, à leur profession, à leurs réseaux humains pour suivre un maître. Ils ne seront pas emmenés ailleurs pour vivre, autrement et mieux, loin des préoccupations heureuses et malheureuses de leurs semblables. Par leur ministère, le Christ en personne se révèle, aujourd’hui encore serviteur de son Père et de ses frères au cœur des joies et des peines, des succès et des échecs, des attentes et des désespoirs d’une humanité en état permanent d’enfantement.
Comme il est difficile, à notre époque, de passer le tablier du serviteur quand la culture ambiante vous propose, sans cesse, d’être maître. La compétition de l’avoir, du savoir, de l’argent, du pouvoir, de la science, de la technique, de la domination, de l’idéologie fait rage. Elle donne, sans cesse, à chaque être humain le sentiment de pouvoir s’installer au centre du monde et de le faire graviter autour de lui. Elle aigrit, marginalise et ronge, l’adulte, le jeune, l’aîné qui découvrent, très tôt ou tardivement, qu’ils sont exclus de cette ronde infernale.
En sa personne, le Fils de Dieu offre le service, le don total de soi, jusqu’à la mort comme un défi lancé à l’homme qui veut, pour lui, tout et tout de suite. Ce défi, Jésus Lui-même l’exprime dans l’Evangile quand il proclame : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. »
Yves, Alain et Marc, par votre ministère, c’est le Christ Lui-même qui proclame à la S.N.C.F., à l’hôpital, dans un cabinet d’architecte, sur les chantiers et en tant d’autres lieux qu’il existe une paix du service, un pardon du service, une joie du service, une fraternité du service, une justice du service, un amour du service. Là se manifeste déjà le Royaume de Dieu. Aux hommes et aux femmes qui, comme les apôtres, doutent d’eux-mêmes, de leur capacité de servir votre ministère proclamera : « Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. »
Aux premières heures de l’histoire de l’Eglise, les apôtres font l’épreuve de leurs limites. Déjà confrontés à la surcharge, ils savent qu’il est impossible de dissocier dans leur mission l’annonce de l’Evangile, la prière et le service fraternel. Pour que cet impératif, garant de la fécondité apostolique, soit respecté les apôtres ont besoin de collaborateurs. Ils appellent et consacrent les premiers diacres.
Aujourd’hui encore, votre évêque et les membres de son presbyterium ont besoin des diacres plus particulièrement appelés au service, mais qui partagent avec eux l’annonce de l’Evangile, la prière, la présidence de sacrements. Il nous faut ensemble nourrir, stimuler et guider le Peuple de Dieu invité, comme son Seigneur à servir ! Merci à vous, chers frères diacres, à vos épouses, à vos enfants. Yves, Alain et Marc, soyez dans la joie. Par vous, Jésus pose son regard sur chaque être humain rencontré et se prend à l’aimer.
Mgr Jaeger