Messe Chrismale
Église d'Arras n°08
Église Saint Pierre Calais
Messe Chrismale
Isaïe 61, 1-3a. 6a. 8b-9.
Apocalypse 1, 5-8
Luc 4,16-21
Ce jour-là, Jésus ne manque pas d’audace. À Nazareth où, « il avait été élevé », il sort de l’anonymat. Le fils du charpentier lève le voile sur sa mission. Par lui, va se réaliser la prophétie d’Isaïe. La vie des pauvres, des captifs, des aveugles, des opprimés sera bouleversée. Ils vont être guéris, libérés, sauvés.
À partir de ce moment, les paroles se répandent, les gestes se multiplient. Ils provoquent l’émerveillement, l’enthousiasme, l’espérance. Hélas, le même Jésus suscite la jalousie, la haine, la rancune des pouvoirs en place.
Plus tard, lors de l’entrée à Jérusalem le Christ est acclamé en qualité d’envoyé de Dieu. Presqu’immédiatement après, il est arrêté, jugé, condamné et mis à mort. Ô, Il a tendu les marteaux et les clous pour se faire crucifier. Il s’est fait l’égal de Dieu. Il a blasphémé. Quelle aubaine ! C’est l’honneur de Dieu lui-même qui est en jeu dans cette mort. N’y voyez surtout pas un quelconque calcul d’intérêts.
L’essentiel du culte juif se déroule au temple de Jérusalem, dans la cité royale. Les foules y viennent régulièrement en pèlerinage, notamment pour faire mémoire de la Pâque. Les prêtres y célèbrent le culte. Les docteurs de la loi dispensent leur enseignement. Jésus respecte les lieux, les personnes, les lois, les coutumes. Il ne vient pas abolir, mais accomplir. C’est à Jérusalem qu’il offre sa vie en sacrifice. C’est à Jérusalem qu’il triomphe de la mort.
C’est pourtant dans des endroits plus méconnus, loin des turbulences de la ville sainte, de ses rigidités, de ses luttes d’influence qu’Il annonce plus habituellement la venue du Règne de Dieu. Il y relève des frères humains qui ploient sous le poids de fardeaux de toute nature. Sa parole suit tous les méandres d’existences marquées par les plus belles aspirations comme par les plus traîtres faiblesses.
Plus tard, c’est à Jérusalem que les apôtres reçoivent le don de l’Esprit Saint, mais ils se dispersent aussitôt pour propager une Parole qui, telle le sel va imprégner toutes les réalités humaines et leur donner une saveur nouvelle. Ils n’auront pas peur de s’enfoncer dans toutes les ténèbres. Ils portent en eux Celui qui est la Lumière.
Mes amis, ce matin, nous sommes rassemblés et unis pour nous laisser emporter, une fois de plus, par le Fils de Dieu, avec les apôtres dans ce mouvement de la foi. Il nous faut tenir ensemble Jérusalem et la Galilée, le cœur et la totalité du corps, le centre et la périphérie, nos églises et le vaste monde, les sacrements et la mission.
La splendeur de Jérusalem nous habite toujours. Il est tentant et gratifiant de retenir de l’histoire de notre Église les périodes où elle apparaît sous les traits d’une institution forte et puissante. Elle est alors en mesure d’entrer en relation avec d’autres institutions. Dans le meilleur des cas, elle leur donne l’âme et le sens dont elles ont besoin. Dans le pire des cas, elle se laisse asservir par elle et les imite.
De façon heureuse, l’Église, en Europe, a naguère servi de matrice à des cultures, des sociétés, des nations. Elle a mis, alors, à leur disposition les trésors les plus précieux qu’elle avait elle-même reçus de son Seigneur. Ils s’appellent paix, justice, fraternité, vérité, liberté, respect, reconnaissance, pardon, réconciliation. Par-dessus tout, elle a offert l’Amour venu du Père, dans le Fils, par l’Esprit.
L’histoire nous apprend qu’une telle institution, parce qu’elle a l’humanité pour matière première, est guettée par l’idolâtrie d’elle-même, un irrépressible sentiment de supériorité, l’instinct de domination.
Pour demeurer servante, l’Église doit refaire, de façon permanente, l’épreuve de la pauvreté, de la faiblesse, du dénuement. Elle ne porte authentiquement l’Évangile qu’en revenant perpétuellement au don de soi qui est celui du Christ en personne.
Tout porte à croire que c’est dans cette expérience que Dieu Lui-même nous fixe rendez-vous aujourd’hui. Nous vivons, de façon parfois douloureuse, un dépouillement qui fait mal. Nul ne renonce sans larmes à la richesse. Nous n’avons pas, aujourd’hui, face à nous et dans l’Église d’autres choix possibles. Nous ne pouvons que prendre le chemin de la croix qui laisse déjà entrevoir la lumière de Pâques.
Avec une sévérité qui ne concerne pas que la Curie romaine, le Pape François s’attaque aux résistances qui voudraient entretenir l’illusion d’une Église à l’image de l’homme et de ses productions. Devant des bouleversements qui nous remettent en cause, il nous faut revenir avec Jésus à la synagogue de Nazareth. Ce qui s’accomplit alors n’a rien à voir avec des cadres, des structures, des stratégies, des organisations, une planification, une entreprise.
Que se passe-t-il ? Les pauvres entendent le Bonne Nouvelle, les captifs retrouvent la liberté, les aveugles voient, les opprimés sont débarrassés de leurs jougs. Église dans le Pas-de-Calais, est-ce bien cet appel là que tu entends ? Est-ce bien ce que, fidèle au Christ et en son nom, tu annonces et accomplis ?
Qu’advient-il lorsque nous nous replions sur nous-mêmes, quand nous cédons à l’autoritarisme, à la caporalisation, aux luttes de clans et de pouvoirs ? Nous ne voyons plus, nous n’entendons plus la foule des frères et de sœurs humains qui guettent une Bonne Nouvelle dans un quotidien trop souvent fermé et hostile.
Ils supportent les souffrances, hélas devenues communes, du manque de travail, de logement, de santé, d’accueil, de reconnaissance, de respect. Ils sont les victimes de conflits, de guerre, du terrorisme. Ils sont exécutés de façon cruelle parce qu’ils n’ont pas fait les mêmes choix que leurs bourreaux ou parce qu’ils sont chrétiens.
La longue réflexion voulue par le Pape François nous remet sous les yeux et dans le cœur toutes les familles nourries et soutenues par la Bonne Nouvelle. Nous rendons grâce avec elles et pour elles. Elles sont une inestimable richesse pour l’Église qui a le devoir de les chérir et de les soutenir. Nous partageons aussi le doute et l’angoisse d’autres familles qui redoutent de ne plus entendre cette Bonne Nouvelle ou qui tendent désespérément l’oreille vers elle. Quel prix, quel poids ont pour nous toutes ces familles ?
Quoi qu’il advienne, dans l’opulence ou la disette, avec des moyens ou dans l’indigence, l’Église continuera à proclamer l’Évangile, à baptiser enfants, adolescents et adultes, à confirmer, célébrer l’Eucharistie, notamment celle du rassemblement dominical. Elle administrera les autres sacrements. Elle ne cessera pas de prier et d’initier à la prière. Elle ne renoncera pas à catéchiser à tous les âges, dans toutes les circonstances, en s’accommodant parfois de tous les cadres horaires. Elle n’abandonnera pas le service du frère, surtout le plus petit, dans lequel elle retrouve le visage de son Seigneur.
Le synode n’inventera pas ces responsabilités. Il nous aidera certainement à les assumer avec un cœur neuf, un regard neuf, des pratiques neuves. Il ne répond pas à un changement de mode. Il se met et il met nos communautés à l’écoute de l’Esprit-Saint lequel souffle où Il veut et comme Il veut ! Nous en sommes avertis.
Cette Église ne se résignera jamais à la diminution du nombre des prêtres. Leur image peut changer, l’exercice de leur ministère prendre des formes nouvelles, leurs modes de collaboration avec l’ensemble du Peuple de Dieu s’intensifier. Les prêtres seront toujours, en eux-mêmes, les signes efficaces du Christ qui annonce la Bonne Nouvelle, sanctifie l’humanité et se fait bon pasteur pour ses frères. Ce ministère lié, de façon privilégiée à celui de l’évêque, ne constitue pas une option, un plus dont, tout étant bien pesé, les communautés finiront par se passer. Le ministère des prêtres est, avec la présence et la mission d’autres membres, bien sûr, constitutif de l’Église. Le vent de l’histoire ne serait, paraît-il, pas favorable à l’éclosion des vocations sacerdotales. Soufflerait-il plus fort que l’Esprit par qui l’impossible devient réalité ?
Les prêtres ont la chance d’être rejoints sur le terrain du ministère par des diacres permanents régulièrement ordonnés dans notre diocèse. Ils se réjouissent aussi de retrouver des fidèles laïcs toujours plus conscients de la responsabilité qui leur revient d’assumer dans l’ouverture des cœurs au Christ et à la Bonne Nouvelle. Ne nous lassons pas de les appeler.
Tous savent que la vie consacrée fait déjà toucher du doigt le monde nouveau qui se dévoile quand s’accomplit en Jésus-Christ la prophétie du prophète Isaïe. Les religieux, religieuses, l’ensemble des consacrés que nous saluons particulièrement, cette année, nous donne l’avant-goût des bienfaits promis par Dieu.
Comment ne pas saluer et remercier les épouses des diacres permanents ! Dans le sacrement du mariage, elles aident leurs époux à vivre l’engagement dans le ministère diaconal.
Cette rapide évocation ne veut pas nous rassurer comme s’il fallait nous persuader nous-mêmes que malgré ses fragilités l’édifice prestigieux de nos structures tient et tiendra toujours debout et qu’il suffit de colmater quelques brèches pour qu’il puisse affronter les tempêtes futures.
En nous invitant à vivre l’Église comme un hôpital de campagne, le Pape François nous pousse à nous écarter de la nostalgie. Il nous envoie retrouver le Christ loin de nos salles, de nos couloirs, de nos ordinateurs, de notre gestion des personnes et des biens. Ces réalités sont incontestablement utiles, mais elles sont secondes et ordonnées à une démarche bien plus fondamentale. Le Pape nous conduit là où l’homme est blessé, meurtri, défiguré et assassiné. Il nous apprend avec insistance et nous apprendra, à compter du 8 décembre prochain, à privilégier parmi tous les remèdes celui de la Miséricorde.
Frères prêtres, vous allez dans un instant renouveler les engagements de votre ordination. Les diacres vous emboiteront le pas. Vous utiliserez l’huile des catéchumènes, l’huile des malades, le Saint Chrême, dans la célébration de plusieurs sacrements. Que ces dons de Dieu soient dans les campagnes les plus éprouvantes de la vie comme les aventures les plus lumineuses, les signes et les instruments de la Miséricorde infinie du Père pour chacun de ses enfants ! Pour elle, le Christ est mort ressuscité. Pour, elle l’Esprit souffle sur nous !
+ Jean-Paul JAEGER.