Dans le secret
Eglise d'Arras n°04
N signe de démarche de pénitenceous nous attablons. Mon interlocuteur prend place en face de moi. Il pose son smartphone à sa droite. Pendant tout le temps de l’échange, le regard dévie régulièrement vers ce nouvel oracle qui délivre ses célestes messages ou est susceptible de le faire. Leurs contenus n’ont probablement rien à voir avec notre conversation, mais ils s’y invitent et justifient de fréquentes agitations d’un index qui balaie frénétiquement la surface de ces nouvelles tables de la loi. Elles sont les plus fidèles compagnons que nous puissions imaginer et nous ne sommes pas prêts de souhaiter nous séparer d’eux. C’est désormais avec eux que nous entretenons une relation fusionnelle quasi permanente.
Je me garde bien de porter un regard critique sur l’attitude de mon commensal de ce jour. Je n’ai rien à lui envier. Il m’arrive, à mon tour, de caresser mon smartphone lors de l’une ou l’autre des nombreuses réunions qui font les délices de la vie en Eglise.
Il semble impensable d’exister aujourd’hui et d’être reconnu si l’on quitte un seul instant la sphère du tout savoir, tout entendre, tout dire, tout répéter, tout enregistrer, tout effacer. Chacun, à chaque moment, devient une tour de contrôle qui emmagasine et émet.
A l’approche du carême, je relis le triple appel que Jésus lance dans l’Evangile selon Saint Matthieu. « Quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fais ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret… », « Quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton père qui est présent dans le secret… », « Quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret… [1]»
Quelle horreur ! Avec une insistance dérangeante, le Christ invite à entrer dans le secret. Tant pis pour Internet, Facebook et Twitter. Une part de l’homme, la part essentielle, ne se révèle que dans la relation silencieuse et cachée avec Dieu ! La prière, le jeûne, l’aumône la manifestent et la nourrissent. Ces trois sources ne peuvent sourdre que par l’œuvre de conversion que le Seigneur est seul capable d’opérer en nous et pour nous.
Loin de la frénésie d’une communication qui est à elle-même sa propre fin, la prière laisse Dieu parler à notre cœur, lui fait place pour nous dire son Amour de Père et susciter en nous la réponse de l’enfant. Le jeûne nous débarrasse de toutes les richesses réelles ou artificielles qui nous dissimulent nous-mêmes à nous-mêmes. Il nous dispose à nous regarder tel que Dieu nous voit et nous désire. Le partage sous toutes ses formes permet de découvrir le frère ou la sœur que Dieu met sur notre route et qu’il nous faut apprendre à considérer comme tel.
La rencontre avec Dieu fuit l’ostentation pharisienne et le rabâchage des païens. Elle établit une attitude nouvelle que seul l’Esprit de Dieu peut susciter et enraciner dans le cœur des hommes. L’abondance des moyens, la perfection des techniques, le développement et la rapidité des échanges ne nous affranchissent pas d’une nécessité profonde. Il nous faut encore entrer dans le long cheminement du Peuple choisi à travers le désert. Le Christ nous adresse toujours sa Parole de vie, de salut et de guérison. Il nous fait entrer dans sa mort et sa résurrection. Là se murmure le secret de la conversion !
Il ne nous suffira pas de nous laisser marquer d’un peu de cendres. Nous sommes appelés à brûler toutes nos idoles, à nous convertir et à croire à la Bonne Nouvelle ! Ce programme dépasse largement nos capacités. Dans le secret, Dieu vient le réaliser en nous !
+ Jean-Paul JAEGER
[1] Matthieu, chapitre 6.