De Lubac et le Concile
Conférence de Loïc Figoureux
Le père Henri de Lubac (1896-1991), jésuite, est l'une des grandes figures de la théologie catholique au XXe siècle. Avec d'autres, ce professeur de théologie fondamentale a beaucoup œuvré au bouillonnement théologique des décennies qui ont précédé le Concile.
Son œuvre est animée par quelques orientations de fond. D'une part, la volonté d'un ressourcement biblique et patristique. Celui-ci semblait, en effet, perdu de vue par une théologie néoscolastique, caractérisée trop souvent par la répétition de thèses fondées sur un Magistère récent (depuis le XIXè siècle), en réponse à la Révolution française et aux mouvements libéraux par un catholicisme intransigeant avec le monde moderne.
D'autre part, Lubac est convaincu qu'un christianisme installé délibérément sur la défensive, renonçant à toute ouverture, ne serait déjà plus le christianisme, car il perdrait de vue l'essentiel : l'Evangile est une Bonne Nouvelle qui doit être annoncée. Le ressourcement, tant souhaité par le père de Lubac, doit permettre de dépasser les rétrécissements auxquels a conduit cette théologie néoscolastique. Il faciliterait, par exemple, la compréhension de l'Eglise avant tout comme un Mystère, replacé dans le dessein de Dieu, et renvoyant à quelqu'un d'autre qu'elle-même, le Christ. Il s'agit là de ne pas rester focalisé sur les questions d'institutions, de pouvoir et d'obéissance. Si elles ont leur importance, elles ne sont pourtant pas l'essentiel de ce qui constitue l'Église.
A contre-courant de l'enseignement qui domine bien des lieux de diffusion du savoir, Lubac doit endurer les rigueurs des autorités romaines de son ordre. En 1950, sa charge d'enseignement lui est retirée, tandis que les publications théologiques lui sont rendues très difficiles. A tant remettre en cause cette théologie néoscolastique qui, avec son allure très rationnelle, se présente comme la meilleure arme contre les agressions d'un monde moderne jugé décidément bien hostile, le père de Lubac se voit opposer des accusations de relativisme. Pourra-t-on vraiment, si on le suit, affirmer quelque chose de sûr au sujet de Dieu ? Le jésuite l'affirme pourtant clairement. Après de telles sanctions, on comprend que l'annonce de sa nomination comme consulteur de la commission théologique préparatoire du concile Vatican II l'a pour le moins étonné.
Jean XXIII a, en effet, convoque un concile qui devait faire l'objet d'une longue préparation (1960-1962), pour mettre au point les textes qui seraient soumis aux pères conciliaires. Lubac est rapidement catastrophé. Lui qui souhaitait un ressourcement voit sa commission, alors dominée par le Saint-Office, œuvrer pour l’essentiel à la répétition de thèses, fondées sur le Magistère récent, sans prise en compte des problèmes contemporains. Dans de telles conditions, son influence ne peut être que très marginale.
Quand s'ouvre le Concile, en octobre 1962, le retournement de situation est manifeste. Alors que Lubac craignait que les pères conciliaires n'adoptent le travail préparatoire de la commission théologique, celui-ci est massivement rejeté. Pour le jésuite, un aggiornamento (une mise à jour) de l'Eglise est bien en marche. II ne s'agit nullement d'un accommodement a l’esprit du temps, mais d'un renouveau obtenu par une fidélité plus grande à l'Evangile, par un ancrage plus résolu dans le Christ. Si Lubac est bien un symbole du renouveau en cours, son influence directe reste très faible : le traumatisme de 1950, une santé chancelante, et une difficulté avec le travail d'assemblée
La deuxième moitie du Concile (1964- 1965) voit cette espérance d'un aggiornamento de l'Eglise se mâtiner d'inquiétudes, de plus en plus vives. L’opposition d'une minorité de pères conciliaires risque, pour le jésuite de saborder le Concile. II s'inquiète aussi de la future constitution Gaudium et spes, sur les relations de l'Eglise avec le monde de ce temps. Si Lubac est tout à fait favorable à un dialogue avec le monde, il ne voudrait pas que celui-ci se fasse au prix de la vigueur chrétienne : le dialogue ne doit pas, par souci de plaire, escamoter le Christ, ni conduire à sous-estimer le péché qui marque le monde.
Lubac craint enfin une mauvaise interprétation du Concile, en raison de la crise spirituelle qu'il discerne, et qu’il caractérise par un dédain pour la tradition, un relativisme risquant de mener à l’anarchie, et une critique généralisée. Aussi insiste-t-il sur la nécessité de ne pas comprendre le Concile comme une rupture, mais comme un renouveau permis par une plus grande fidélité. Malgré les vives inquiétudes, reste toutefois l'espérance, grâce aux pièces maitresses du Concile que sont, selon lui, Lumen gentium et Dei Verbum, grâce, aussi, à sa confiance en Paul VI et en le père Arrupe, général des jésuites.
Conférence de Loïc Figoureux à Dunkerque.
A lire : Carnets du concile, tomes I et II, par Henri de Lubac introduit et annoté par Loïc Figoureux - avant-propos de François-Xavier Dumortier, sj., et Jacques de Larosière – préface de Jacques Prévotat - paru en novembre 2007 aux éditions du Cerf.