Enjeux et Questions: femmes, hommes dans l'Eglise
Femmes, Hommes dans l’Eglise : Annoncer ensemble l’Evangile. Un partenariat effectif et inventif
Femmes, Hommes dans l’Eglise :
Annoncer ensemble l’évangile.
Un partenariat effectif et inventif
Deux temps structurent la journée Enjeux et Questions du 12 novembre : le matin : « Dans la Bible » avec Anne Soupa bibliste, et l'après-midi: « dans l’Eglise », avec Alphonse Borras, canoniste.
“Annoncer ensemble l’évangile. Un partenariat effectif et inventif”, tel était le sujet de cette journée Nous y étions 53 participants, 48 femmes et 5 hommes : une disproportion qui reflète sans doute l’actualité du sujet, et l’importance d’une telle réflexion et d’un tel débat…
Anne Soupa
Ouvrons la Bible : que dit-elle de l’homme et de la femme ?
Durant la matinée, Anne Soupa, une bibliste, parcourra avec nous différents lieux bibliques. A plusieurs reprises elle va pointer à la fois ce que dit la Bible - et ce que parfois, assez différent, on lui a fait dire.
Dans la Genèse
La Genèse ‘raconte’ deux fois la création du premier couple. Premier récit (1, 26…), plus récent, racontant le sixième jour : à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. Image, ressemblance à Dieu et entre eux, égalité, identité. Second récit (2, 7…), plus ancien, une création en deux temps : d’abord Dieu modèle l’Homme, lui donne souffle de vie, et l’Homme devient un ‘être vivant’, un être humain, qui n’est pas le masculin : Adam n’est pas le prénom du premier Monsieur. Et ensuite cet être vivant, mais qui est seul, va être comme ‘dédoublé’ par Dieu, en deux ‘côtés’, tels les deux ‘côtés’ d’une armoire, tels les deux ‘côtés’ de l’arche d’alliance. Avant de ‘dédoubler’ cet être humain Dieu décide de donner ‘une aide’ : ce mot a nourri la culture d’une instrumentalisation de la femme. En fait il s’agit de ‘l’aide’ que chacun(e) des deux, en totale égalité, devient pour l’autre. L’homme et la femme doivent investir leur différence, en refusant d’obtempérer aux impératifs de telle ou telle culture…
Et cependant, la culture de l’époque, invention humaine, impose au récit lui-même son empreinte de la domination masculine (2, 23) : après l’acte de création, l’homme prend la parole - la femme se tait - l’homme accapare la femme en parlant de l’os de mes os, et de la chair de ma chair. De même (3, 16), la sanction du péché écrase la femme de lourde façon, et dans l’intime de son être : la convoitise la porte vers l’homme - de la part de qui elle subit un pouvoir dominateur - elle souffre la peine de la grossesse - et les souffrances de l’enfantement. Pour l’homme, la sanction, toute ‘externe’, consiste en l’hostilité du sol et la sueur du travail : avouons-le, une sanction moins sévère…
D’autres lieux bibliques sont loin d’obéir aux critères au nom desquels on a amoindri le ‘genre’ féminin. Trois femmes, Esther, Judith, Ruth jouent dans l’histoire un réel rôle politique. Sarah, Rébecca, Rachel ont une place éminente et reconnue dans la vie sociétale et familiale… Non qu’elles soient détentrices d’un ‘pouvoir’, mais elles sont choisies par Dieu pour parler et agir de sa part.
Dans l’évangile, des femmes
Elles sont nombreuses… Deux seulement y sont présentes sans avoir parlé à Jésus ni même l’avoir rencontré : Hérodiade, et l’épouse de Pilate. Quinze autres femmes sont évoquées dans les quatre évangiles (certaines en plusieurs occasions) en lien avec Jésus, soit qu’elles aient fait partie de sa vie familiale, soit qu’elles aient été accueillies, guéries, pardonnées par lui, en simples rencontres (Madame Zébédée), ou en longues conversations (la Samaritaine), ou comme fidèles disciples, parmi ceux et celles qui le suivent… Toujours, Jésus défie les préjugés du temps, qu’ils soient d’ordre physique, moral, ‘patriotique’, social, ou religieux. Jamais de dérobade, ni de tri, ni d’exclusion.
Pour Marie, on peut se référer à son Magnificat, une hymne de révolution, dont les paroles (de dangereux slogans !) seront interdites lors des manifestations de l’Argentine au temps de ses dictatures. Mais on a édulcoré la personne de Marie, on en a fait une femme qui toute entière se serait concentrée sur son silence intérieur, car elle méditait toutes ces choses dans son cœur. Quant à sa virginité, elle a été, au fil des ans, célébrée et honorée en des termes d’idéale pureté et sous des images fades et naïves, alors que sa virginité parle, non pas d’elle, mais de son fils Jésus lui-même, proclamé Fils de Dieu.
Deux femmes représentatives dans l’évangile
- la Samaritaine. La femme aux cinq ‘maris’… Il s’agit en fait des cinq ‘dieux’ que le roi d’Assyrie, l’envahisseur, a importés, et imposés à la Samarie : la femme est comme ‘mariée’ avec ces cinq dieux. Et quand Jésus lui demande d’appeler son ‘mari’, elle répond qu’elle n’a pas de mari, car en fait elle n’a pas - ou n’a plus - de vrai Dieu, le Dieu de son peuple Israël, ce peuple soit déporté, soit écrasé, par l’occupant. La femme de Samarie est témoin et victime de la tragique privation du mari (Dieu) qu’elle attend et qu’elle n’a pas - et qui est Jésus lui-même : « C’est moi, qui te parle ».
- Marie de Magdala. La femme aux sept démons. Elle sera guérie de ses désordres psychologiques, et elle découvrira et reconnaîtra le ‘Ressuscité’ (son Corps, qui est l’Eglise). Mais dans les récits cette Marie sera plus ou moins confondue avec Marie sœur de Marthe, et avec la pécheresse, la femme de l’onction d’huile : il n’y a alors plus dans la piété populaire qu’une seule Madeleine, pécheresse, pardonnée ! On a oublié celle qui a fait la rencontre du Ressuscité…
Alphonse Borras
Et dans l’Eglise ?... Hommes et femmes, un chantier ouvert
C’est Alphonse Borras, de la faculté de Louvain, qui l’après-midi aborde le sujet de la place des hommes et des femmes dans notre Eglise. De fait, notre actualité voit surgir sur ce même terrain bien des questions diverses - celle de la famille - celle du mariage - celle des divorcés - et voici celle de la responsabilité des uns et des autres en Eglise…
Des faits
En entrée en matière, et pour bien situer la réalité, Bénédicte Jacquemont nous livre un certain nombre de chiffres dont, selon les domaines, les disproportions sont éloquentes (prêtres/laïcs, hommes/femmes), dans un sens ou dans l’autre. Au Concile, d’une session à l’autre, on était passé de ‘aucun laïc’ à ‘des laïcs hommes consultés’, puis à ‘quinze femmes sans droit à la parole’. Chez nous, les Conseils Diocésains (Episcopal, des Affaires Economiques, de Pastorale, du Synode) sont très masculins (2 d’entre eux), ou respectent la parité. Mais combien de services et de lieux où les femmes sont très majoritaires : EAP, Catéchèse, équipes/funérailles, service de la liturgie, préparations de baptêmes, laïcs salariés, aumôneries du monde scolaire ou de la Santé, associations : ces tâches et responsabilités exercées en Eglise manifestent un déséquilibre certain. Ainsi le CDAE (affaires économiques) : 37% prêtres, 63% laïcs hommes. Le CDP (conseil diocésain de pastorale) : 7 prêtres, 6 diacres, et 87 laïcs, (soit 38H et 49F) - les EAP : 36% H, 64% F . Les ALP (animateurs laïcs salariés: 4H, 74F).
En 50 ans, les relations Hommes/Femmes ont fortement évolué, en tout domaine : professions, droit social, droits civils (droit de vote des femmes en 1945 !), maîtrise de la fécondité, rôle au sein de la famille. Dans l’Eglise, où les évolutions se font lentement, il y a non seulement le clivage clergé/laïcs, mais aussi ce clivage, perçu comme naturel, d’une hiérarchie Homme/Femme où l’androcentrisme fait loi. (2) Les qualités féminines sont à l’œuvre dans la vie de l’Eglise, mais suscitent parfois de la crainte ou des réticences, et leurs contributions ne s’inscrivent pas toujours dans le cadre de projets bien formalisés.
(2) Dans le même sens, on sait l’interdiction faite parfois aux servantes d’autel de se tenir dans le chœur, ou le refus, ici ou là, de confier à des femmes le service de donner la communion, au motif qu’il s’agit d’un geste de ‘paternité’.
Les ministères ordonnés, lieu de débat - ou de conflit ?
Alors la place que, de fait, les femmes tiennent dans la vie de l’Eglise ne peut pas ne pas poser la question d’un réel partenariat H/F pour les ministères ordonnés. Selon la Congrégation pour la doctrine de la foi, la loi n’est pas seulement de discipline ecclésiale, mais elle est surtout le fruit de l’histoire de la pensée et des acquis de la théologie. Le non-accès des femmes à l’Ordre est un principe qui s’appuie sur l’image du Christ époux de l’Eglise - le ‘persona Christi’ au nom de qui elle agit - ainsi que sur la façon dont Jésus s’est comporté, et, ensuite, sur la pratique des apôtres et de la Tradition. L’Eglise n’a que faire des revendications de la société, et, du reste, la diversité H/F ainsi affirmée n’entame en rien leur foncière égalité. En 1994, Jean-Paul II, ‘en vertu de sa mission de confirmer ses frères’, affirme ‘définitive’ la doctrine qu’il rappelle, et la Doctrine de la foi, en 1995, précise généreusement que cette loi relève de ‘l’infaillibilité du pape’. Dans son Exhortation Evangelii Gaudium, § 103, le pape François affirme que « le sacerdoce réservé aux hommes est une question qui ne se discute pas », tout en admettant « qu’il peut devenir un motif de conflit particulier, si on identifie trop la puissance sacramentelle avec le pouvoir… La grande dignité vient du baptême. La configuration du prêtre au Christ Tête n’entraîne pas une exaltation qui le place en haut de tout le reste ».
Et cependant, surtout en Occident, on veut porter un autre regard sur une loi et une réalité séculaires. L’ecclésial ne peut d’abord ignorer les acquis socio-culturels et politiques qui colorent et régissent désormais nos vies quotidiennes. Et, bien plus profondément, la Bible comporte des présupposés culturels qui ont beaucoup trop marqué la pensée et la théologie de l’Homme et de la Femme. La symbolique nuptiale, du Christ époux de l’Eglise, a favorisé l’image paternelle des pasteurs ; mais, sur le plan de l’engendrement à la foi dans et de l’action éducative de l’Eglise, la même symbolique pourrait renvoyer à une image maternelle : les deux images se rejoignant alors pour former une image parentale… Et surtout, on s’en tient officiellement à un noyau originel et irréductible du ministère sacerdotal ; or ne devrait-on pas regarder ce noyau initial comme constituant et proposant un principe de germination et de développements ultérieurs ? D’autant que, dans l’anthropologie biblique, si la complémentarité de l’homme et de la femme est évidemment ancrée dans leur altérité, - elle l’est aussi et surtout dans leur commune humanité…
Une présence féminine qui interpelle
La présence et l’action multiformes des femmes dans l’Eglise sont parfois présentées, par un cléricalisme forcément masculin, comme une vitrine de l’institution qui l’utilise comme un faire-valoir de sa modernité et de sa largeur de vue : « Voyez, elles ont leur place, elles sont prises au sérieux… »… Alors que cela relève simplement de leur baptême, qui est le sacrement premier. Or l’imaginaire ecclésial dans lequel baigne depuis des siècles le peuple chrétien pourrait alors développer un climat de deux peurs symétriques : la peur, chez certains, d’un renversement du rapport de forces, et la peur, chez d’autres, d’un inexorable et définitif statu quo…
Un indispensable apprentissage
Pour l’heure, dans notre vie quotidienne en Eglise, l’inculturation de la foi exige absolument une collaboration ecclésiale entre femmes et hommes - en particulier prêtres. Respect réciproque entre baptisés, travail en commun, réduction d’un certain imaginaire, refus des stéréotypes, mise au point de réelles parités dans les instances de concertation et de gouvernance : autant d’efforts qui modifieraient l’environnement. La crédibilité de l’Eglise ne se joue-t-elle pas (aussi) dans sa visibilité sociale ?
Pierre Névejans
A Invitation à lire: Douze femmes dans la vie de Jésus