Parcours dans l'histoire
Cinq siècles en quelques lignes
Si l’on souhaite comprendre la situation actuelle des relations entre l’état, l’Église et la société, il est intéressant de regarder très brièvement d’où l’on vient.
Comme le souligne Emile Poulat, un des auteurs les plus compétents dans ce domaine, la loi de 1905 dite de « séparation des Églises et de l’État » ne contient dans un aucun de ses articles le mot « séparation » et pourtant c’est ce terme qui frappe encore les esprits, comment cela se fait-il ? C’est de toute évidence l’histoire tumultueuse des relations entre l’État français et la Papauté tout au long des siècles écoulés qui a marqué la conscience collective et diminué sa lucidité dans l’appréciation des situations nouvelles.
La première situation stable de ces relations s’inaugure en 1516 quand le pape Léon X et François Ier signe le premier concordat. Le texte prévoit de donner au roi le pouvoir de nommer évêques et archevêques, ce qui peut être considéré comme le pouvoir spirituel, et il donne au Pape le pouvoir de prélever des impôts, c'est-à-dire le pouvoir temporel ! De ce fait les prétendants se pressent dorénavant à la Cour de France et non au Saint Siège…C’est grossièrement la situation qui prévalut jusqu'à la révolution.
La révolution de 1789 devait profondément bouleverser l’ordre ancien : les biens du clergé étaient mis à la disposition de la Nation, en 1790 les ordres religieux réguliers étaient supprimés « puisqu’ils portaient atteinte à la liberté individuelle », la constitution civile du clergé est imposée sans que le Pape soit consulté. On peut y ajouter les cultes et le calendrier révolutionnaires, la persécution du clergé.
Il faut attendre 1801 pour retrouver avec le nouveau concordat une situation entre les courants traditionnels et révolutionnaires. En fait Bonaparte voulait renforcer l’autorité de l’Etat : « dans la religion je ne vois pas le mystère de l’Incarnation mais celui de l’ordre social » disait-il. Ce concordat sera signé entre Pie VII et Bonaparte : les évêques et curés doivent prêter serment de fidélité au gouvernement de l’État qui leur assure un traitement convenable. Sous le couvert d’un compromis avec le Pape, Napoléon a voulu mettre l’Église de France au service de l’État. L’Église a ressenti sa condition nouvelle comme une humiliation : un service public sous l’emprise d’un maître manifestement indifférent à la valeur spirituelle de sa mission terrestre. L’autre changement qui vaut encore aujourd’hui vient de ce que dorénavant la religion catholique n’est plus que celle de la majorité des français. Désormais l’administration des cultes traitera aussi des affaires du protestantisme mais également du culte israélite définitivement reconnu en 1808.
Par la suite, tout au long du 19ème siècle la situation de l’Église variera quelque peu au gré des différents régimes politiques au pouvoir. Quand la période est favorable à l’Église, les cultes sont rattachés à l’Instruction publique de façon à permettre à l’État de mener de concert sa politique religieuse et sa politique d’instruction publique. Quant la période est moins favorable à l’Église, les cultes sont rattachés au ministère de la justice !
Vers la fin du 19ème siècle le vent va tourné, jusque là le contrôle de l’Église par l’État n’avait pas été très rigoureux. Jamais, depuis le choc de la révolution, les institutions congrégationnistes n’ont été aussi prospères (30000 hommes, 127000 femmes). Quatre cent congrégations nouvelles avaient été crées depuis le début du siècle, l’influence de l’Église était devenue surtout importante dans les écoles primaires et secondaires. Mais la république conservatrice avait laissé la place à la république des républicains qui veulent enraciner le régime et pour cela conquérir les esprits. Les congrégations deviennent ainsi l’obstacle majeur. Le temps du contrôle s’achève, celui du combat commence.
Paradoxalement cette période voit le déclin de la pratique religieuse, si 90% de la population a été baptisée, il n’en reste pas moins que la présence dans l’église se limite à la communion solennelle, au mariage et à l’enterrement. Cela n’empêche pas le pape Léon XIII de qualifier la France en 1892 dans son encyclique de « nation catholique par ses traditions et par la foi de la grande majorité de ses fils ». La France était très diverse dans ce domaine : l’observance religieuse était forte chez les catholiques là où avait traditionnellement existé une confrontation entre catholiques et protestants.
Le conflit qui naissait avec la IIIème république visait surtout le contrôle de la génération montante. Le souci majeur de beaucoup de républicains résidait dans le fait qu’une proportion considérables d’enfants français étaient élevés dans les écoles privées catholiques et soumis à un « système erroné d’instruction se référant à des sources irrationnelles telles que la Révélation et l’autorité de l’Église ».
Les années 1880 virent donc des tentatives de réduction de l’influence des congrégations enseignantes. A la fin des années 1890 un tiers des élèves de l’enseignement primaire se trouve dans le secteur privé en grande partie catholique. L’aile gauche des républicains souhaitait abolir le régime concordataire mais aucun gouvernement n’a envisagé d’abandonner ce moyen commode de tenir fermement l’Église sous contrôle. La suspension de salaire du clergé était un moyen efficace de discipliner des prêtres tentés de critiquer à trop haute voix la politique gouvernementale.
C’était l’époque du pape Léon XIII considéré comme francophile. Plus que ses collègues de la curie il comprit qu’une Église fermée aux aspirations de la société moderne perdrait beaucoup de son influence. Mais si l’on estime aujourd’hui que l’État et l’Église ont gagné plus qu’ils n’ont perdu par l’abolition du concordat en 1905, à l’époque, les ecclésiastiques et Léon XIII en premier, comme la plupart des anticléricaux tenaient beaucoup au concordat.
Si l’on regarde d’un peu plus près on s’aperçoit que les adversaires de l’Église étaient en fait divisés sur la politique à suivre. Ceux qui estimaient l’Église en déclin souhaitaient que le concordat fût liquidé. Ils croyaient que l’Église s’effondrerait une fois privée du soutien de l’Etat. D’autres, en revanche, pensaient que l’Église était loin d’être moribonde. Ils redoutaient les conséquences qu’aurait le fait de la laisser libre de choisir son personnel et d’organiser ses activités en dehors de la surveillance vigilante de l’État. Pour ces adversaires, la seule solution était une application plus stricte du régime concordataire afin de tenir l’Église dans une étreinte qui handicaperait son développement et étoufferait toute initiative.
L’Église désirait elle aussi conserver le concordat malgré ses imperfections. Rome et le clergé français y tenaient tout autant bien que pour des raisons différentes. Pour le Vatican, c’était une question de prestige international, tandis que pour le clergé français c’était avant tout sa propre survie économique qui était en cause. Pie IX n’avait fait que donner l’enseignement traditionnel (exemple : le syllabus) à savoir la nécessité d’une alliance étroite : l’Église et l’État, voulus par Dieu, devaient travailler en harmonie à le servir. Léon XIII, quant à lui, choisit un autre terrain, moins éloigné des réalités politiques de son temps. Il prit comme point de départ l’Homme en tant qu’individu dont les besoins spirituels et temporels se reflétaient dans la dualité institutionnelle de l’Église et de l’État. En conséquence la nécessité de « relations harmonieuses » entre les deux pouvoirs n’avait pas pour origine le fait qu’ils « faisaient partie de l’indivisibilité chrétienne » mais que « tous deux exerçaient leur pouvoir sur les mêmes hommes » qui étaient à la fois des chrétiens et des citoyens (encyclique Immortale Dei – 1885). « Si les deux pouvoirs qui règnent sur l’homme sont séparés, l’homme est écartelé ».
En ce qui concerne la France, Léon XIII faisait la supposition optimiste que sa population était en grande majorité catholique pratiquante ce qui rendrait impensable la séparation de l’Église et de l’État. Pendant la majeure partie de cette période, la politique du gouvernement eut un air rassurant de modération circonspecte et l’Église ne fut pas l’objet d’attaques directes avant 1899. C’était les ordres religieux qui servaient de cible. Le concordat, qui ne concernait que le clergé séculier, n’était pas en cause. Cependant, les choses changèrent en 1902 avec l’arrivée d’Émile Combes au pouvoir.
L’arrivée d’Emile Combes
Les premières escarmouches concernèrent la nomination des évêques. Le concordat permettait au gouvernement de les nommer mais Pie VII avait prévenu Napoléon qu’il n’accepterait que les hommes méritants. Il fut d’usage que le gouvernement donnât à l’avance au nonce la liste des candidats envisagés afin d’éviter les froissements. Lorsque COMBE fit ses débuts au ministère des cultes (1er novembre 1895) les choses se gâtèrent. Un doctorat de théologie en poche, un faux départ comme séminariste ajoutait une certaine amertume à sa croisade et donnait à son anticléricalisme un aspect obsessionnel. La plupart des avocats catholiques soutenaient que le principe du traitement des ministres du culte venait en dédommagement des biens d’Église confisqués sous la Révolution, cela n’empêchait pas le gouvernement de suspendre les traitements quand les prêtres étaient accusés d’ingérence dans les élections. Les déclarations pontificales relatives à tout autre sujet que la « foi intérieure » devaient obtenir l’autorisation du gouvernement afin de pouvoir être diffusées en France.
L’époque était celle de l’affaire Dreyfus qui divisa les français, celle du journal La Croix qui soufflait sur les braises et affichait un antisémitisme virulent. Pour Combes les congrégations demeuraient la cible principale. Son objectif était « d’arracher la jeunesse française aux griffes du clergé ». Il ordonna la fermeture de tous ces établissements. Beaucoup de congrégationnistes prirent la longue route de l’exil, d’autre restèrent en France en revêtant des vêtements civils. Ainsi sur 10.049 écoles primaires fermées avant octobre 1903 par les décrets Combes, 5389 d’entre elles avaient rouvert leurs portes pour certains avec un personnel de religieuses et de frères sécularisés.
Bien que partisan de la conservation du concordat, Combes brandissait l’éventualité de la séparation pour peser sur Rome, mais le nouveau pape Pie X se montrait insensible aux traditionnels arguments de personnalités françaises ce qui conduit Combes à hausser le ton et à rompre diplomatiquement avec Rome.
Le règne de Combes toucha à sa fin quand, après avoir été accusé de ficher les officiers militaires en fonction de leur appartenance à la religion catholique, il fut contraint de proposer son propre projet de loi de séparation. Celui-ci trouva insuffisamment de défenseurs et il fut contraint de démissionner le 18 février 1905.
La loi de séparation est votée
Un nouveau projet de loi de séparation apparut qui était défendu en particulier par Briand. Il fut voté au parlement le 3 juillet par 341 voix contre 233. Son caractère modéré avait mobilisé au-delà du parti radical. Il fut enfin voté par le sénat en décembre 1905.
La séparation était une tragédie pour Rome. Pie X reprenait les arguments anti séparation de Léon XIII (encyclique Vehementer Nos) mais était conscient que la Séparation redonnerait de la vigueur au clergé l’obligeant à prendre ses responsabilités. La Croix, dans son numéro du 12 décembre 1905, publie un éditorial sous le titre « Courage » qui évoque essentiellement l’avenir : « Oubliez le passé qui est mort. Craignez de perdre en récriminations un temps précieux…Considérons la situation présente, non comme un déclin, mais comme une aurore… ».
Tout député quelque peu attentif le savait : les éléments explosifs du projet de loi étaient l’expropriation des églises et la suppression des salaires du clergé. Même les indifférents se mariaient et pleurer leurs morts à l’église paroissiale .
Pour ce qui concerne les bâtiments du culte, la loi prévoyait qu’ils seraient laissés gratuitement à la disposition des établissements publics du culte, puis des associations appelées à les remplacer, mais elle ne prévoyait pas la situation des édifices construits après 1905.
Outre le cas des édifices du culte le problème le plus humiliant fut la suppression des salaires du clergé. Pour beaucoup c’était le point culminant de la grande entreprise qui devait aboutir à la neutralité religieuse en France. Dans certains milieux catholiques on craignait que s’installe une dépendance à l’égard des riches. On cite l’évêque d’Angoulême qui s’était entendu confié : « Si le concordat est supprimé, je me charge, Monseigneur, de tous les curés de mon canton et, si vous le permettez, de vous-même ». Quant à Marc Sangnier, fondateur du Sillon, il craignait que la tentation de concentrer tous ses efforts pour remplacer ce qui avait été perdu détournerait l’Église de son travail évangélique au sein de la classe ouvrière.
D’autres voyaient plutôt l’occasion de prendre conscience des vastes pans de la société qui restaient hors d’atteinte de l’Église. Pour l’abbé Jules Lemire, grande figure du Nord, la seule manière de servir ses ouailles était de vivre avec eux. Serait-ce là l’origine des prêtres ouvriers ? L’abbé Lemire déclarait : « …quant aux moyens de vivre…le peuple verra des intellectuels formés jusqu’à 25 ans dans les lettres et la théologie se mettre pour gagner leur vie aux travaux des champs… ».
Le Pape lui-même, sans partager tout cela, mettait en garde contre une restructuration du système paroissial. Il ne fallait pas, disait-il, retirer aucun prêtre des paroisses pauvres. Il exigeait qu’il y eut toujours dans la paroisse un prêtre accessible à toute heure pour exercer son ministère.
Néanmoins, trouver de l’argent était désormais un problème mais la défiance s’installait. Le système concordataire avait placé les ressources de l’Église sous stricte surveillance ; les anticléricaux craignaient à présent que les nouvelles associations cultuelles se transforment en comités électoraux. Alors que certains dans l’Église parlaient de pauvreté, les optimistes parlaient de liberté et la liberté qui leur tenait le plus à cœur était celle de choisir les évêques.
Le Vatican réagit, l’Église de France s’adapte
L’encyclique Gravissimo Officii du 10 août 1906 mit fin à toutes ces supputations. Le Pape interdisait solennellement aux catholiques d’organiser les associations cultuelles. L’Église se dépouillait ainsi de la seule forme que l’État pouvait reconnaître. Cet énorme sacrifice allait à l’encontre des vœux de la plupart des catholiques. Ils devaient faire vivre 42000 prêtres, acheter ou louer de quoi les loger et n’étaient pas disposer à ajouter à ces difficultés des obligations internes qui affaibliraient encore l’Église. La loyauté religieuse de la plupart des paysans allait à leur église paroissiale plutôt qu’à l’Église « Une, Sainte, Catholique et Apostolique ».
C’est ainsi que dès la fin de 1906, aucune association catholique ne les ayant réclamés, les presbytères et palais épiscopaux furent repris par les autorités publiques et utilisés à diverses fins. Il faut reconnaître que, dans de nombreuses régions à forte pratique religieuse, l’injonction ne fut pas appliquée ; on vit alors la confrontation entre un maire accommodant et un préfet qui l’était moins.
Seules les églises classées comme monuments historiques bénéficiaient des fonds publics. Beaucoup d’autres étaient condamnées à l’abandon parce que la paroisse était trop pauvre et les autorités locales indifférentes. Finalement, après s’être longtemps battu, BARRES parvint à convaincre Briand d’étendre le principe de l’aide gouvernementale à toutes les églises bâties avant 1800.
Si l’entretien des églises posait un problème, celui du clergé paroissial en soulevait un autre bien plus urgent. Les assemblées épiscopales plénières proposeront une nouvelle quête diocésaine : le denier du culte. Pour épargner aux prêtres l’humiliation de l’aumône, il sembla préférable de maintenir cette quête au niveau diocésain et d’en partager équitablement le produit entre les membres du clergé des différentes paroisses.
Dans le même temps des pourparlers s’engageaient entre des évêques français, des membres du gouvernement et le Vatican. Ils devaient aboutir à un projet d’associations, une par diocèse, avec à sa tête un évêque et constituée de membres du clergé diocésain, elle ne serait en fait qu’un comité consultatif chargé exclusivement de l’administration matérielle. Briand déclara en 1921 que la proposition était légalement conciliable avec la loi de séparation et la législation qui l’accompagnait. Le Pape Benoît XV considérait qu’un tel arrangement était une trahison vis-à-vis de ses prédécesseurs. Son successeur, Pie XI, par contre supprima l’interdit de Pie X par son encyclique « Gravissimamque » du 18 janvier 1924 en insistant sur la nature différente des associations cultuelles et sur l’évolution de la situation politique.
Grâce aux associations diocésaines, l’Église française pouvait désormais être propriétaire au lieu de compter sur des particuliers. On espérait ainsi que les associations pourraient récupérer ce qui subsistait des biens d’Église perdus en 1908. Malheureusement pour l’Église, les élections de 1928 virent la victoire du « cartel des gauches », dirigé par les tenants d’idéaux républicains traditionnels, les radicaux.
Et la guerre arriva…
L’occasion, quand elle se présenta, dut être acceptée des mains compromettantes du maréchal Pétain. Un décret de loi du 15 février 1941 donne à l’Église ce que Herriot lui avait refusé en 1924.
On aurait pu s’attendre à des vengeances anticléricales à la Libération. Au contraire, l’Église française entra dans le monde d’après guerre avec plus de poids politique qu’elle n’en avait eu pendant les soixante dix dernières années. Un tiers des principaux portefeuilles du gouvernement de De Gaulle à la libération se trouvait entre les mains de catholiques engagés. Cela était dû en grande partie à la carrière dans la Résistance d’une minorité étroite mais déterminée de catholiques pratiquants.
Ce fut ensuite un gouvernement socialiste avec Guy Mollet en 1956-57. Il entama des négociations avec le Vatican pour mettre fin au régime concordataire en Alsace-Moselle, en contre partie le gouvernement devait engager une restructuration du système éducatif qui aurait apporté des avantages matériels aux écoles catholiques. La chute du cabinet Mollet en mai 1957 mit fin à ces négociations.
Lorsqu’en 1956 les catholiques se remémoraient les cinquante premières années de la Séparation, la plupart d’entre eux avaient mis à profit son indépendance vis-à-vis de l’État. Le clergé avait sans aucun doute gagné en liberté et en estime publique parce qu’il ne devait compter que sur lui-même. De la même manière, la nécessité de trouver des finances avait resserré les liens entre le clergé et les laïcs, ces derniers étaient désormais plus conscients de leur responsabilité envers l’Église. La neutralité religieuse de l’État était devenue une neutralité bienveillante.
La liberté d’enseignement pointe son nez
Dès 1945 les partisans de la liberté de l’enseignement avaient engagé la lutte sur le terrain des rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privé. Il faut attendre le gouvernement présidé par Michel Debré qui déclare dès janvier 1959 sa ferme intention de résoudre le problème de la question scolaire.
La constitution de 1945, puis celle de 1958 déclarait que la France était une république laïque et pour Michel Debré : « la laïcité c’est l’indépendance de l’Etat à l’égard de toute force, de toute puissance qui cherche ailleurs que dans l’intérêt général les raisons de son intervention ou les objectifs de sa politique ». L’opposition de gauche contre attaque en dénonçant par la voix de Jacques DUCLOS : « une intrusion de l’Église dans les affaires de l’État en généralisant les aumôneries ». Guy Mollet énonce sa propre conception : « être laïque c’est, ayant conscience de son pouvoir, se refuser à en abuser pour faire partager à l’enfant ses propres convictions ». A l’opposé, Maurice SCHUMAN rappelle les origines révolutionnaires de la liberté de l’enseignement.
A l’Assemblée Nationale, le projet de loi Debré est adopté par une majorité massive. L’aide financière est consentie aux établissements sous contrat et une organisation statutaire voit le jour pour les aumôneries scolaires dans l’enseignement public.
Le sujet resurgit en 1984 avec le projet de loi SAVARY qui prévoit un grand service unifié et laïc de l’éducation nationale. La loi est votée, mais une manifestation organisée par les APEL réunit 1.000.000 de personnes et le 14 juillet Mitterrand retire le projet de loi. En janvier 1985, Jean-Pierre Chevènement remettra en selle la loi Debré.
En conclusion…
On conviendra avec Émile Poulat que la loi de 1905 était avant tout une loi sur la suppression du budget des cultes. Les cultes étaient un service public avec une administration qui disposait d’un budget. Ce service devient privé à la charge des Églises et de leurs fidèles, tandis que l’exercice des cultes reste public, dans le cadre des libertés publiques. La république garantit ce libre exercice public des cultes, ce qu’elle ne fait pour aucune autre réunion publique. Par ailleurs la République reste propriétaire des églises qu’elle met à la disposition de l’Église. Il y a donc un propriétaire et un affectataire qui sont bien obligés d’avoir de bons rapports pour vivre ensemble et gérer le patrimoine commun. La laïcité française c’est simplement, dit Émile Poulat, la sortie de la catholicité. La catholicité était un régime d’exclusion ; si vous n’étiez pas catholiques vous étiez privés de nombreux droits. Le principe du régime laïc c’est qu’il inclut tout le monde, même ses adversaires. Cette laïcité correspond à un processus d’émancipation de la conscience, elle est inséparable de la liberté de conscience. L’État pouvait s’appuyer sur l’Église pour gouverner les consciences. Maintenant c’est fini, l’État se trouve face à face avec ces 60 millions de consciences, si bien que le jeu des vieilles querelles entre l’Église et l’État devient quelque chose de dépassé.
On comprend dés lors que, 100 ans après la promulgation de la loi, beaucoup manifestent essentiellement de l’intérêt pour l’article premier seul :
Article 1er : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Jean-Pierre Thery, Responsable du service Incroyance-Foi