Marc 7 l'étrangère, les miettes de pain

Marc, section 3, chapitres 6,7 à 8, 30

 

Jésus ne semble pas très gentil quand il refuse de répondre à la demande de guérison formulée par une l’étrangère. On s’en étonnera d’autant plus que, quelques lignes auparavant il avait dit aux pharisiens que les lois sur le pur et l’impur devaient être revisitées. Que voit-on immédiatement après : Jésus fait le contraire de ce qu’il dit. Marc précise que cela se passe en territoire païen. Dans ce qui suit, c’est une invitation à prendre en compte l’ensemble de la section des pains, ch 3,7 à 6,6, au milieu, et ce n’est pas un hasard, se trouve le récit au sujet de l’étrangère et des miettes. Au moment de lire il faut se rappeler que Marc écrit en vue de l’éducation des communautés chrétiennes de Rome en particulier. On récit est influencé par le souci d’être compris de ses destinataires.
 
Une personne disqualifiée par ses origines
Avez-vous repéré comment cette femme est disqualifié par l’accumulation des adjectifs : voici le texte traduit plus proche de l’original : une femme dont la fille avait un esprit impur. Cette femme était païenne, syrophénicienne, de naissance. En précisant par deux fois que c’est une femme, Marc insiste sur son statut dans la société de l’époque : elle est disqualifiée. Marc précise encore, avec insistance qu’elle est païenne, qu’elle est syro-phénicienne et il ajoute ‘de naissance’. Cette accumulation vient préciser que cette femme était « impure » absolument ;  sa fille est possédée par un esprit impur. Donc Jésus ne devrait pas la fréquenter ! C’est ce qu’il fait, dans la logique de ne pas fréquenter l’impur, selon la loi juive. Or, quelques lignes auparavant, Jésus avait discuté du pur et de l’impur avec les pharisiens, les invitant à changer leur regard. Et voici maintenant que Jésus fait le contraire de ce qu’il a dit. Cette contradiction évidente laisse entendre qu’il y a anguille sous roche. A nous de faire la vérité en lisant et relisant l’environnement du texte !
 
Décrypter des chiffres et des mots
Je m’explique. Marc écrit non pas pour raconter une succession d’histoire les unes à côté des autres sans liens entre elles. Le mot pain revient souvent dans la section, c’est un indice d’unité du texte. La question du pur et de l’impur, de la rencontre avec des païens est le cœur de la section. Vous avez peut-être repéré qu’il y a deux multiplications, récits un peu différents, l’un avant la rencontre avec l’étrangère, l’autre après. D’un côté le chiffre 12 (12 corbeilles) apparait, qui nous renvoie aux douze tribus d’Israël ; ajoutez-y l’allusion à l’herbe verte et vous penserez au psaume « le Seigneur est mon berger »…  
 
De l’autre côté voici le chiffre sept (5+2), puis sept paniers. Sept renvoie aux sept serviteurs (ou diacres) choisis par la communauté au ch. 6 des Actes. Les Sept ont des noms à consonance grecque ; ils sont chargés de servir les veuves des hellénistes (païens). Dans cette seconde multiplication, il est précisé que la terre est aride, déserte. Ces détails de la 2ème multiplication invitent à comprendre qu’on s’adresse à un monde païen. D’autres détails plus subtils peuvent encore être apportés, par exemple la corbeille (mot davantage hébreu) et panier, mot d’origine latin.
 
Mosaïque de Tabga Mosaïque de Tabga  
 
Du partage du pain au partage eucharistique
Certains ont remarqué que les expressions de bénédiction ressemblent étrangement au repas pascal. Ce n’est pas seulement le partage du pain, c’est aussi une allusion à l’Eucharistie. Reprenons les deux récits : pour des spécialistes un peu fouineur : le premier récit évoque le partage entre juifs ; le second, le partage entre païens. Comment passe-ton du récit d’une eucharistie pour les chrétiens d’origine juive à une eucharistie pour les chrétiens d’origine païenne : par le récit de la femme étrangère. Marc nous montre Jésus qui passe du refus à l’acceptation. Il montre ainsi aux premiers chrétiens, pour qui il écrit, que Jésus a su accueillir une étrangère, donc vous aussi, disciples de Jésus, dans votre repas eucharistique vous devez accepter les chrétiens d’origine païenne… pour passer du premier récit de partage au second récit, c’est-à-dire à l’eucharistie ouverte aux païens, il y a l’histoire des miettes…. Mine de rien, Marc fait comprendre aux chrétiens qu’il y a une “ouverture à faire” en accueillant la demande des étrangers
 
A la fin, les disciples ne ramassent pas quelques miettes seulement, mais douze corbeilles (mot hébreu) ou sept paniers (mot d’origine romaine). Ce qui signifie que Jésus donne en abondance, et que l’eucharistie est donnée en abondance, et à tous, juifs ou païens ! Le partage des pains est une image qui renvoie au partage eucharistique des premiers chrétiens.
  
Le conflit entre chrétiens d'origine juive ou païenne
On peut légitimement parler de deux niveaux de lecture : d’une part en regardant du côté de Jésus, et de l’origine du récit, d’autre part, du côté des premiers chrétiens, les destinataires du récit. Cet ensemble est Dans une manière, pour l’évangéliste Marc, de “faire la leçon” aux premiers chrétiens qui se disputaient sur la question d’accueillir ou non dans leurs eucharistie des chrétiens d’origine païennes qui ne se seraient pas d’abord convertis au judaïsme et n’observaient pas toute la Loi de Moïse.
Dans les Actes des apôtres, ch 15, un chapitre est consacré à cette difficulté. On retrouve cette bagarre dans la lettre de Paul aux “stupides” Galates, dans les années 50. Paul y affirme, en conclusion : “Il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, en Jésus Christ nous sommes un”. Galates 3,28). S’il l’affirme, c’est que, dans la réalité quotidienne des communautés, ça ne passait pas ainsi partout.
 
Et aujourd'hui?
Lorsque Marc, quelques années après Paul (vers 65-70) évoque la même difficulté, il montre Jésus qui est passé du refus à l’accueil de l’étrangère. Cette femme représente en quelque sorte les païens qui frappent à la porte des chrétiens. La lecture de cet évangile engage,  aujourd’hui encore, au XXIème siècle, la manière dont les chrétiens acceptent ou refusent ceux qui ne sont pas comme eux…