Evangiles, sens et histoire
Les Maisons d’Evangile
L’intérêt pour la lecture des Evangiles en Maisons d’Evangile se manifeste dans le diocèse et au-delà. Il y eut près de 400 participants aux différentes rencontres de mise en route dans le diocèse. Des rencontres relais ont été organisées dans plusieurs paroisses. D’autres diocèses sollicitent de l’information et du soutien en vue de la mise en route de maisons : diocèse de Nîmes l’an dernier (formation permanente), de Cambrai (conseil presbytéral) de Chartres, de Liège cette année (Formations permanentes), de Luçon en Vendée. Des paroisses aussi nous sollicitent : Marseille, Gaspé (Canada), Boulogne-Billancourt ainsi que des communautés religieuses (Roubaix-Tourcoing).
L’intérêt se manifeste aussi par le courrier en retour des maisons sous forme de questions à propos des chapitres 1 et 2 de Matthieu, les récits de l’enfance. Notre esprit scientifique et historicisant des temps modernes peine à entrer dans la signification de l’existence de Jésus tel que Matthieu l’exprime dans le langage de son époque. Les questions portent sur la généalogie, la visite des Mages, la place de Joseph, la fuite en Egypte. Dans un premier temps, il importe de mémoriser les récits avec ce qu’ils comportent de détails (sans rajouter les détails de légendes, hors texte de l’Evangile). La perspective de Matthieu est avant tout une présentation théologique de Jésus, alors que nous attendons une présentation de type historique.
Evangile de l'enfance: Que s'est-il passé? Qu’est-ce qui est vrai ?
Quand nous lisons les deux chapitres Mt 1-2, nous avons l'impression que Matthieu nous décrit avec exactitude comment les choses se sont passées. Son souci n'est pourtant pas de nous donner une description détaillée du déroulement de ces événements. II veut nous aider à découvrir qui est ce Jésus, quel est le sens de son existence, non pas tel qu'on pouvait le voir au jour de sa naissance, mais tel que les croyants de son époque l'ont découvert et rencontré et surtout compris, après la Résurrection.
Sermon sur la Montagne Pour faire cela, Matthieu nous présente, sous la forme de récit historique, à la fois le fait et l'interprétation qu'il en donne. Il repart donc de faits bien réels et connus : la naissance d'un enfant, à qui Joseph donnera le nom de Jésus, la place de Marie et de Joseph, le personnage d'Hérode dont on sait qu'il a fait tuer plusieurs de ses fils par crainte d'être détrôné. Mais en même temps, il présente et développe ces événements de manière à nous faire partager ce qu'il a compris de Jésus à partir de toute sa vie, à la lumière de la Résurrection, avec l'aide de l'Ecriture : ce petit enfant est le Fils de David qui vient accomplir l'attente de son peuple, qui suscite la méfiance et l'hostilité, qui est adoré par ceux qui acceptent de se mettre en route pour le reconnaître.
Matthieu a donc fait tout un travail de relecture. Il ne nous est pas toujours facile de départager le fait et son interprétation, tellement ils sont liés dans la manière de raconter. Nous pouvons comparer Matthieu 1-2 avec une autre relecture des mêmes événements dans Luc 1-2.
Une des clés de lecture : Jésus et les Ecritures
La volonté de Matthieu est d’inscrire Jésus dans la lignée de David et dans les Ecritures. Les chrétiens d’origine juive à qui écrit Mathieu sont fortement contestés par les Juifs. En effet, depuis le jugement et la condamnation de par le grand prêtre, il ne leur était pas possible de laisser croire que Jésus accomplit les Ecritures. Matthieu soutien le contraire. Il réalise d’abord une généalogie d’Abraham à David puis Jésus. Il y précise les noms de femmes fort connues quoique non légitimes, manière de signifier que tous sont en quelque sorte intégrés dans le salut qu’apporte Jésus, malgré les règles d’exclusion fort en vogue au temps de Jésus. Ensuite, il rédige de manière à établir des rapprochements entre Jésus et Moïse : Jésus sauvé de la mort programmée par Hérode rappelle Moïse sauvé des eaux. La sortie d’Egypte et le retour en Israël rappelle la longue itinérance du peuple d’Egypte vers la terre promise ; bientôt nous verrons Jésus présenter la Loi nouvelle sur a montagne (ch.5), tout comme Moïse au Sinaï.
Nous pourrions multiplier les occasions de montrer comment ces récits d’Evangiles sont le fruit de longues méditation des premières communautés et sont tissés de multiples sens. A nous de nous laisser inspirer par l’Esprit Saint et l’interprétation donnée en Eglise pour faire grandir en nous la foi.
La Bible nous raconte-t-elle des carabistouilles?
Ainsi posée, la question est irrévérencieuse...
Maison diocésaine de RaismesAdmettons cependant que le soupçon nous en est quelquefois venu. Prenons par exemple les deux récits de la Création en Genèse 1 et 2: sur quoi porte le récit: sur la volonté de Dieu d'entrer en relation positive avec l'humain (homme et femme).
Or l'existence, aux Etats-Unis et dans le monde protestant, d'un courant de pensée assez bruyant qui, sous le nom de créationnisme, prétend que Dieu a réellement créé le monde en sept jours peut nous déstabiliser dans notre recherche à comprendre, comme s'il n'yavait rien à comprendre. Ces mêmes courants de pensée ont aussi cherché désespérément le jardin d'Eden, où l'arche de Noé au sommet d'une montagne... Tous ces courants nous déstabilisent et remettent en nous des soupçons au lieu d'aider à comprendre.
Et les patriarches qui vivent neuf cents ans! Et le géant Goliath !
Et la baleine qui recrache Jonas comme un noyau d'olive !
Les récits des Ecritures utilisent le support humain pour dire tout autre chose que le "comment cela s'est passé". Ainsi le récit de l'enfance esst un mini-Evangile où l'on trouve la Bonne Nouvelle de Dieu avec nous, le conflit entre Jésus et les chefs des prêtres, le rejet de Jésus par Jérusalem, l'accueil des étrangers (de l'Orient ou du levant ...). C'est autour de la signification de la vie de Jésus que les récits sont intéressants à interpréter, signification, ou, plus précisément quelles sont les relations entre Dieu et nous, aux yeux des croyants, et en particulier selon les chrétiens. Voir aussi : "Pourquoi ces généalogies qu'on ne peut pas vérifier?"
Que penser de tout cela?
Comment-expliquer toutes ces énormes invraisemblances? Surtout au gamin ironique à qui les parent
essaient de faire un peu de catéchisme?
Je crois que la première chose à expliquer est que la Bible, spécialement l'Ancien Testament, n'a pas été écrite par des hommes modernes, mais par des hommes d'il y a deux, et même trois millénaires! C'est-à-dire à une époque où on n'a pas encore inventé l'histoire scientifique, où la philosophie se sert de la mythologie pour se faire comprendre, où enfin l'on est habitué à employer des images pour expliquer la réalité. Bref, l'Ancien Testament emploie un langage imagé où, pour le dire de façon plus savante, figuré.
Déjà, du temps de Jésus, les Juifs avaient développé l'art d'interpréter ces images, d'aller chercher la vérité qu'elles contiennent au-delà de l'apparence des mots. L'invraisemblance est presque un signal : attention, lecteur, il y a dans ce passage historiquement suspect un sens spirituel à trouver. Dans le cas de Jonas, qui n'a jamais existé, il s'agit de croire que Dieu désire parler aussi aux païens, alors que le prophète ne le soouhaite pas... même les forces de la nature et la baleine amènent Jonas à prendre le bon chemin. Plus tard les pères de l'Eglise verront une figure de la résurrection, comme Jésus lui-même l'interprète (Luc 11, 29).
Que Dieu ait créé la Terre en sept jours et Adam avec de la glaise mouillée, nous en doutons. Que ['intelligence de Dieu, toute emplie d'amour, soit à l'origine des merveilles qui nous entourent, de l'Univers à la bestiole microscopique, et qu'elle soit à l'origine de cette chose étonnante qu'est l'homme, son corps, son esprit, sa capacité d'aimer, d'espérer, de se donner et de créer, cela, nous le croyons. Mais si nous oublions que le récit des origines se termine par le désir de Dieu d'être en alliance avec nous (Genèse 9) nous avons raté quelque chose!
Pour lire la Bible, il faut donc se servir de son cerveau : interpréter, comprendre en profondeur. En somme, la foi et l'intelligence vont ensemble. C'est une bonne nouvelle, n'est-ce pas ?
Fr. Yves Combeau, o.p.