Jésus a-t-il rencontré le diable ?
Question à partir du récit des tentations Mt 4
Après avoir lu le récit des tentations de Jésus en Matthieu, plusieurs maisons d’Evangile s’interrogent sur ce que fut la rencontre de Jésus avec le diable, dans le désert. (Matthieu 4, 1-11)
Le désert, est-il de sable, de cailloux ou désert virtuel?
Notre représentation du désert est très souvent celle du Sahara, aux vastes étendues de sable. Les pèlerins en Israël qui descendent au désert de Judée ou au Néguev, ne découvrent pas une immensité de sable, mais des lieux rocailleux, calcaires, falaises parsemées de grottes, ravinées par les eaux des torrents occasionnels. Il s’y développe une végétation et une vie animale que l’on peut observer dans le silence des lieux retirés. Il n’est pas difficile alors de se représenter Jésus qui se retire loin de la foule et des bords du Jourdain.
L’expression aller au désert
Ce n'est pas immensité de sable, mais rocaille, lieu de vie, dépouillé, mais fertile."Aller au désert" est une formule biblique et chrétienne qui évoque un temps où l'on se met à l'écart. On peut évoquer Moïse qui fuit l’Egypte, sa vocation dans le Sinaï. Elie qui s'enfuit au désert, loin d’Achab et Jézabel. Il marchera 40 jours au désert à la rencontre de Dieu dans la montagne (I Rois 19). On peut aussi penser aux Hébreux, 40 ans au désert entre Egypte et Terre Promise. Ce temps est au désert est tantôt temps de l'épreuve et de la tentation, temps de purification, mais surtout temps à la rencontre de Dieu (le mont Sinaï). Ces récits anciens ont une dimension symbolique où s’exprime quelque chose de la relation de l'homme à Dieu.
Jésus a-t-il réellement rencontré le diable?
Les chapitres 1 à 4 de Matthieu sont une introduction à la Vie publique de Jésus. Ils sont écrits dans un langage de type symbolique. Notre difficulté d'aujourd'hui est que nous faisons une lecture historicisante, comme si l'objectif de Matthieu était de raconter les évènements tels qu'ils se seraient passés. Or l'objectif de Matthieu est de présenter, sous forme de récits imagés qui est Jésus, quel est le sens de sa vie. Matthieu et nous sommes donc en désaccord sur les objectifs de ces récits. Par exemple, le récit des mages résume en quelque sorte la vie de Jésus : bien accueilli par les lointains (cf Le récit du centurion 8, 10) et rejeté par les siens (Hérode et les grands prêtres évoquent la condamnation de Jésus à Jérusalem)... Le récit des tentations est aussi une mise en scène pour exprimer que Jésus a, lui aussi, subi la tentation, mais il en est sorti victorieux, en se référant aux Ecritures pour déterminer comment il comprend la volonté de Dieu. Pour le chiffre de trois tentations, ne pas oublier que "trois" signifie “beaucoup”, tout comme le chiffre trois dans "Dieu trois fois saint". Matthieu a choisi de récapituler les tentations au tout début de l’Evangile. Cela ne signifie pas que Jésus n'ait eu aucune tentation au long de son existence. On retrouvera, à Gethsémani, la tentation de passer à côté de ce qui se prépare...
Qui est le diable?
Matthieu ne donne aucune description du Diable, mais nous sommes tellement influencés par l'imagerie et l'imagination des artistes que nous oublions la définition étymologique du mot. Diable, de dia-bolos, c’est celui qui divise, qui sépare. Les tentations manifestent une volonté de séparer Jésus de Dieu son Père. En français, le mot contraire à diable est symbole (ce qui unit, met ensemble). Le livre de Job présente le diable comme celui qui cherche à séparer Job de Dieu son ami. Nous-mêmes pouvons faire l'expérience de la tentation: tout ce qui peut nous éloigner, nous déparer de Dieu et de nos frères.
La première signification du récit des tentations est de faire comprendre que Jésus, n'est pas au-dessus de la condition des hommes en ce qui concerne les tentations. Tout comme nous, il a subi, mais n'a pas succombé, en s'appuyant sur les Ecritures pour comprendre la volonté de Dieu.
Dieu est-il l’auteur des tentations ?
Dire que Dieu veut envoyer à quelqu'un la tentation ne correspond pas à l'image d'un Dieu amour qui veut entrer en dialogue avec chacun de nous comme avec un ami.
Cette présentation inexacte provient d'une traduction imparfaite réalisée par St Jérôme pour la Vulgate: "et ne nos inducas in tentationem", traduite par "et ne nous fais pas entrer dans la tentation".
Dans la révision actuelle de la traduction du Notre Père, le débat porte sur "et ne nous fais pas entrer en tentation"... ou "et ne nous laisse pas entrer en tentation.". Une meilleure connaissance de la grammaire hébraïque nous fait comprendre l'existence d'une forme permissive (ne nous laisse pas) à côté de la forme indicative (et ne nous fais pas...).
Pour exprimer la certitude que Dieu n'est pas l'auteur de la tentation, un livre entier de l'Ancien Testament est consacré à cette question. Dans le livre de Job, le diable -ou tentateur- demande à Dieu l'autorisation de provoquer l'ami de Dieu qu'est Job en lui envoyant de multiples malédictions afin qu'il s'éloigne de Dieu... or, Job reste fidèle, malgré les détours qui lui sont envoyés par le diable et non par Dieu. Comme Job, comme Jésus, les tentations ne nous épargnent pas. "Fais que nous n'entrions pas en tentation" semble être une traduction qui respecte l'amour que Dieu peut avoir envers nous.