Après Richard Simon,que de temps perdu
A Dieppe, 300ème anniversaire de Richard Simon
Fin octobre, le diocèse de Rouen organisait un colloque pour le 300ème anniversaire de Richard Simon (1638-1712), fondateur de la critique littéraire des Ecritures.
En introduisant le colloque, Mgr Jean-Charles Descubes rappelait qu'il a fallu "attendre le document de la commission biblique pontificale du 15 avril 1993 'L'interprétation de la Bible dans l'Eglise' pour que justice soit officiellement rendue à l'oeuvre de Richard Simon" et que ce colloque ouvrait à Rouen l'Année de la foi", soulignant qu'il est de nombreuses manières de nous associer à l'anniversaire de Vatican II.
Sans doute ce nom ne dit pas grand-chose aux lecteurs du diocèse ! Pourtant ce prêtre de l’Oratoire est considéré comme l’initiateur de la critique littéraire de la Bible. Il fait paraître “Histoire critique du Vieux Testament” en 1678, puis “Histoire critique du Nouveau Testament”. Dans ces études, il relevait des questions posées depuis bien longtemps, par exemple, comment Moïse, auteur du Pentateuque pouvait-il avoir écrit le récit de sa mort sur le mont Nébo (Deutéronome 34) ? Ou comment concilier des récits contradictoires entre les textes des évangiles ?
Dans la manière de lire et d’interpréter les Ecritures au XVIIème siècle, on avait oublié depuis longtemps les propositions de saint Irénée pour lire l’Histoire du salut et le temps du salut autrement qu’en lecture historicisante. Les pères de l’Eglise, en effet, invitaient à repérer les quatre sens des Ecritures en commençant par la recherche du sens littéral, suivie d’une recherche du sens allégorique (symbolique), puis par la découverte du sens tropologique: voir comment l’Ecriture stimule les attitudes et pratiques morales), enfin un quatrième sens qui oriente notre réflexion vers l’eschatologie et la vision de Dieu.
C’est pour avoir ignoré les recommandations des pères de l’Eglise qu’un Bossuet, à la plume acérée, a anéanti le travail moderne de réflexion commencé sur les Ecritures. Lui et sa génération ont été incapables de percevoir les enjeux d’une lecture autre : il leur fallait sauver l’image de Dieu et de Jésus qu’ils avaient en eux, sans se poser les questions troublantes qui permettent de progresser dans la foi. Quand on n’empêchait pas de lire les Ecritures, on préférait taire les difficultés et accommoder les textes au plus commun dénominateur (par exemple créer un cinquième évangile en rassemblant des morceaux d’Evangile, comme l’avait fait Tatien pour son Diatessaron). Il est vrai que bientôt, les philosophes et encyclopédistes des XVIII-XIXème siècles utiliseront les contradictions, internes ou externes, pour semer le doute et nier l’existence de Dieu, sans chercher à comprendre l’intérêt d’étudier ces textes écrits dans une civilisation autre que la leur.
Pierre tombale à Dieppe Si Richard Simon, dont l’éloquence n’atteignait pas celle de Bossuet, dut se taire; d’autres ont repris le flambeau, tel Hermann Samuel Reimarus (1694-1768) ou David Friedrich Strauss (1808-1874). Il faudrait ici retracer toute l’histoire de l’exégèse moderne, celle du père Lagrange et de l’Ecole biblique de Jérusalem jusqu’à celles qui se continuent aujourd’hui. Les mises à l’index ont continué pendant bien longtemps, en raison des anathèmes publiés par Pie IX et le Syllabus ou Pie X et le décret Lamentabili.
La recherche a cependant continué et c’est avec Pie XII qu'elle est à nouveau encouragée. Le dynamisme du mouvement œcuménique pour la lecture de la Bible se développe dans les années 50 (la Bible du cardinal Liénart). Mais il faudra bien du temps pour que la Bible devienne le livre de chevet des catholiques. La constitution conciliaire Dei Verbum (1964), le document de la Commission biblique pontificale en 1993 puis l’exhortation apostolique Verbum Domini de Benoit XVI en 2011, invitent les chrétiens à lire et étudier la Bible afin qu’elle devienne familière à chacun et nourriture pour la foi.
Mais que de temps perdu ! Ne prenons pas le chemin de Bossuet. Aujourd’hui encore, l’expérience douloureuse des chercheurs au cours de ces trois siècles montre que l’effort de recherche biblique n’est pas encore pleinement compris ni intégré dans tous les discours théologiques comme dans les homélies ou commentaires d’Ecriture.
Abbé Emile Hennart
Sources : Dossier d’“Eglise de Rouen” ; “Le cas Jésus-Christ”, sous la direction de Pierre Gibert et Christophe Théobald, Bayard 2002.
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