Fiche 14 Matthieu 27-28

¨Passion et résurrection

Passion et résurrection. 26, 57 à 28, 20.

Résumé des ch. précédents

 

Avec la fiche 13, nous avons lu le récit de la Cène, l’annonce de la trahison de Judas et du reniement de Pierre. Jésus est arrêté par les envoyés de l’autorité religieuse de Jérusalem. Le voici maintenant dans le palais de Caïphe, puis devant Pilate. Matthieu intercale un récit sur Judas et un sur Pierre. Les silences de Jésus et la présentation de Jésus comme juste persécuté invitent à relire les psaumes (Ps. 3, 5, 22, 69…), ou les chants du Serviteur en Isaïe 41 à 53, Daniel ou Zacharie 12 et 13. C’est en relisant la Bible que les premiers chrétiens ont confirmé leur foi en Jésus au milieu de nous… Les prophètes avaient déjà dit : “il n’avait pas figure humaine”. Au fil de la lecture, gardons notre attention sur chacun des personnages, ce qu’ils font ou disent, selon Matthieu.

 

Parcours de l’ensemble

Devant le grand-prêtre
La citerne chez Caïphe La citerne chez Caïphe   A Jérusalem, on visite toujours “la maison de Caïphe”, plus exactement la cour, les sous-sols, et les citernes. C’est le lieu probable de la comparution devant l’autorité religieuse juive. Le Sanhédrin est le conseil supérieur de la nation, composé de 71 membres, dont les grands prêtres, les anciens, les sadducéens, quelques scribes et pharisiens. Il était reconnu par les Romains et se réunissait deux fois par semaine au Temple. Matthieu nous décrit une “comparution” plutôt qu’une scène de jugement, car le conseil n’est pas complet. Deux témoignages sont apportés sur l’enseignement de Jésus concernant le Temple qu’il détruirait.

 

En fait, Jésus s’était montré maître du Temple en expulsant les vendeurs et leurs commerces. Plus tard, la même accusation sera portée contre Etienne (Actes 6, 13-14). Depuis longtemps, Jésus était épié. Ne nous égarons pas en discussions sur la véracité des témoignages. Ils font partie du dossier d’accusation, mais le cœur de la comparution met en évidence le refus de reconnaître Jésus comme le Messie de Dieu, celui qui siège à la droite du Tout-puissant.


Saint Pierre in Gallicante; palais de Caïphe Jésus aux liens  
Saint Pierre in Gallicante; palais de Caïphe
Saint Pierre in Gallicante; palais de Caïphe
Le dialogue entre Jésus et le grand prêtre
pose l’acte d’accusation, sujet religieux, qui deviendra l’objet du face-à-face à venir entre la foi chrétienne et l’autorité juive : “Es-tu le Messie, le Fils de Dieu ?” Ce sont les mêmes mots que dans la profession de Pierre en Galilée, et du diable aux tentations. La réponse de Jésus n’est pas un simple oui. Il développe et annonce la venue de l’envoyé de Dieu, le Fils de l’homme selon Daniel, 7, 13-14. Jésus revendique la dignité d’un rang qui l’égale à Dieu, c’est un blasphème ! L’accusation de blasphème avait déjà été prononcée lors de la guérison/pardon du paralysé (Mt 9, 3). Les premiers chrétiens s’appuieront sur la citation de Daniel pour redire l’identité de Jésus. Le judaïsme des années 70 refusera de reconnaître Jésus comme Messie (Christ), Fils de Dieu, et il exclura les premières communautés chrétiennes de la Synagogue.

 

Judas et Pierre.Saint Pierre in Gallicante reniement de Pierre  
Saint Pierre in Gallicante
Saint Pierre in Gallicante


St Pierre in gallicante reniement de Pierre  
St Pierre in gallicante
St Pierre in gallicante
    Trois lignes seulement séparent le reniement de Pierre et le remords de Judas. Manifestement Matthieu rapproche ces deux évènements pour inviter les croyants à méditer sur l’attitude à l’égard du Christ.

 

Jésus Bronze dans la cour de la maison de Caïphe Saint Pierre in gallicante, chant du coq  
Bronze dans la cour de la maison de Caïphe
Bronze dans la cour de la maison de Caïphe
vient de se reconnaître
comme Fils de Dieu, Pierre nie l’avoir un jour rencontré et reconnu.

Bien des chrétiens ont pu aussi se reconnaître dans l’attitude d’avoir connu Jésus lors du baptême puis de l’avoir nié et renié.

 

Judas ne saura pas croire au pardon de Jésus ; telle est la distance entre Pierre qui espère encore le regard de Jésus envers lui, et Judas qui éprouve du remords mais croit que tout est fini.

 

Chez Pilate 27, 1-31


Jésus prisonnier Jésus prisonnier   La condamnation à mort ne relevait pas de la compétence des Juifs, elle était réservée à l’autorité romaine occupante. Il fallait donc un acte d’accusation recevable par elle, une accusation politique et non religieuse : il s’est dit roi des Juifs ! Que Pilate pose la question au début de l’entretien suppose qu’il ait déjà été informé en sous-main. Ici aussi, comme devant Caïphe, Jésus n’ouvre pas la bouche. Cette attitude invite à penser à l’attitude du juste persécuté décrit par Isaïe 53, 7. Il semble que Pilate a vite compris que l’acte d’accusation était “bidon”, que Jésus a été livré par jalousie. Plutôt qu’un non-lieu, Pilate met Jésus-Barrabas et Jésus-Messie dans la balance de la justice. C’est pour lui un amusement de mauvais goût à l’égard des Juifs qu’il détestait royalement. Pendant ce temps, les anciens manipulent les foules.
Le songe de la femme de Pilate. Dans ce récit propre à Matthieu, Jésus est qualifié de “juste”. Faut-il l’entendre au sens d’innocent aux yeux des hommes, ou de juste au sens d’ami de Dieu, rejoignant par là la tradition biblique du juste persécuté ? En début d’Evangile, Il y a eu le songe de Joseph, puis celui des mages ; voici un autre songe présenté comme avertissement céleste. A partir de là, Pilate cherche à se désengager.


Le geste de Pilate qui se lave les mains est passé à la postérité. Pilate dégage sa responsabilité du sang innocent versé : “cela vous regarde !”. Le geste est inconnu en droit romain, mais il est décrit dans le Deutéronome (21, 1-9), pour désengager une communauté du sang versé. Dans le psaume 26, 6 c’est pour proclamer son innocence devant Dieu. En présentant le geste de Pilate, en fin de séance au tribunal, Matthieu précise : “il le leur livra”. Il fait donc reporter la responsabilité de la condamnation et de la mort sur le seul peuple juif et non sur l’autorité romaine. Les chrétiens interpréteront abusivement le geste : ils accuseront les Juifs de déicide et les persécuteront au fil des siècles. Il faudra attendre Vatican II pour voir levé cet ostracisme.
Crucifixion, mort et ensevelissement ch 27, 27-66


Il faudrait repérer l’attitude de chacun des personnages ou groupes. Par exemple, les officiels et leurs moqueries. A l’opposé le centurion et les gardes reconnaissent en Jésus le vrai Fils de Dieu. Dans le récit, peu de paroles de Jésus. La seule, selon Matthieu, est “Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” Ce sont les premiers mots du psaume 22. Dans la tradition juive, prononcer les premiers mots d’un psaume, c’est aussi prendre en compte et méditer l’ensemble du psaume. Après une supplication, le psaume se termine par la confiance mise en Dieu (et non la désespérance) et la certitude du salut : “Tous les lointains de la terre se souviendront et reviendront vers Yahvé” v.28. Il faudrait relire l’ensemble du psaume 22 pour déceler le décalque entre ce psaume et la Passion selon Matthieu.
Les heures sont égrenées, (midi, trois heures) rappelant la liturgie juive, mais aussi le rythme de la prière chrétienne qui deviendra par la suite l’Office des heures. La méditation de Matthieu et des premiers chrétiens les a amenés à décrire les évènements sous forme apocalyptique : ténèbres, tremblements de terre, tombeaux ouverts. Le voile déchiré du Temple signifie l’accès au saint des saints (Dieu) offert à tous. Les phénomènes cosmiques évoquent la venue du Jour de Dieu et Jour de salut pour les justes (cf. la vision des ossements desséchés selon Ezéchiel 37, 1-14).

 

La présence des femmes clôt le récit de la Passion. Elles avaient “suivi et servi” Jésus depuis la Galilée. Elles n’ont pas fui, elles ont continué à assurer le service de disciple : suivre et servir. L’importance accordée à l’ensevelissement et à la garde du tombeau est une volonté de signifier que Jésus est bien mort. L’histoire des gardes est une offensive des pharisiens contre les chrétiens et la résurrection, dès les premières années d’expansion du christianisme.

Zoom. Envoi final 28, 1-20.


Bronze porte basilique de Nazareth Jésus et les disciples  
Bronze porte basilique de Nazareth
Bronze porte basilique de Nazareth
Matthieu évite soigneusement de décrire le moment de la résurrection, à la différence de nos peintres qui, depuis le Moyen-âge, n’ont pas eu les mêmes scrupules. Si l’on avait du temps, il vaudrait la peine d’étudier les différences, entre Matthieu et les autres récits d’après la résurrection. Les femmes viennent “faire visite” et non compléter les rites d’embaumement. A elles reviennent la première annonce et la première mission.

 

Matthieu raconte la rencontre selon le style des annonciations bibliques : ange, crainte, soyez sans crainte, parole d’annonce de résurrection, signe donné, envoi en mission et mise en œuvre. L’ange est actif : il roule la pierre et “s’assied dessus”, manière de signifier que la mort n’a pas pu garder sa proie. Elles cherchent un mort, Jésus le crucifié…, mais trouvent un tombeau vide : il n’est pas ici, Dieu l’a ressuscité. Croire en la résurrection n’est pas le fruit d’un constat. La résurrection est objet de foi, fait qui échappe aux représentations sensibles. Aux femmes qui ont cru (v.8) Jésus se donne alors à voir ; il leur revient de ranimer la flamme des disciples et d’annoncer le rendez-vous en Galilée.
 

Cette rencontre en Galilée, sur la montagne, est brève. L’évocation des doutes de quelques-uns nous fait découvrir que la foi n’est pas automatique, qu’elle est une libre décision qui se construit peu à peu. Le dernier message est un appel à aller à la rencontre de toutes les nations, à appeler les païens à devenir disciples, par le baptême au nom du Père, du Fils et de l’Esprit et à leur partager ce que Jésus à enseigné. A la différence des Actes qui laissent entendre une séparation, Jésus affirme “Et moi je suis avec vous tous les jours”. Cela rappelle étrangement le début de l’Evangile où le nom donné à Jésus est “Emmanuel, Dieu-avec-nous”. La mission est donc de “faire communauté avec Jésus”, de faire l’expérience de sa présence, d’enraciner les liens fraternels des chrétiens dans les liens du Père, du Fils et de l’Esprit. Cette formule trinitaire témoigne d’un usage déjà bien ancré dans la liturgie des premiers chrétiens, non pas le jour de la résurrection, mais au moment où Mathieu met la dernière main à l’Evangile qui porte son nom, son témoignage.

 

Pour aller plus loin : les titres donnés à Jésus


Le Fils de l’homme. C’était d’abord une expression d’humilité chez les Juifs. Par exemple, on dira “Le fils de l’homme pense que…” pour ne pas dire “je pense que…” Mais c’est devenu, dans la tradition juive, un personnage céleste que Dieu envoie de la nuée pour sauver son peuple ; il lui confie la royauté et le jugement (Daniel 7).


“Fils de David”. Titre donné sept fois à Jésus chez Matthieu. Il désigne le messie des Juifs acclamé au jour des rameaux (Mt 21, 9-15). Au temps de Matthieu, les chrétiens d’origine juive privilégiaient ce titre dans leur liturgie.
Nazôréen, Galiléen. Nazôréen renvoie au récit de l’enfance, où les deux mots sont utilisés en 2,23. Faut-il rattacher Nazoréen à Nazareth ou à Nazir ? Il y a là un jeu de mot hébreu où Nazir signifie “consacré tout entier à Dieu”, tandis que Galiléen est une manière de souligner l’universalité de Jésus, en raison de l’expression “Galilée des nations”.


Roi des Juifs. C’était la question des mages au début de l’Evangile ; c’est la question de Pilate, c’est le titre sur la croix. Roi des Juifs (formulation politique), et non roi d’Israël (formulation religieuse).
Le juste persécuté. La mort de Jésus en croix, est-ce l’échec de la mission et la fin d’une espérance ? Comme nous connaissons la fin de l’histoire, nous oublions ce que fut l’attitude des disciples au soir du vendredi… La mort de Jésus remet en cause toutes ses paroles, prédications et activités. Rejeté par les hommes, abandonné par Dieu… c’est la figure du juste souffrant, injustement persécuté. Cette identification de Jésus avec le juste de la Bible va permettre aux disciples de dépasser l’épreuve. La prière du juste persécuté se retrouve dans de nombreux psaumes et prophètes : Jérémie 17, 14-18. Isaïe 53, 3-10 ou Jérémie. C’est “l’agneau conduit à l’abattoir” Jr 11,16-28 ou Is 53. Daniel évoque l’injuste condamnation de Suzanne (ch.13), celle qui est restée fidèle. Les outrages chez Caïphe, chez Pilate renvoient à cette figure du juste. C’est lui que Dieu a ressuscité.

Et maintenant ?

 En maison d’Evangile, nous avons pu comprendre un peu mieux les récits sur Jésus, les rapports avec l’Ancien Testament, échanger entre nous. Notre foi en Jésus ressuscité repose sur des témoignages transmis de génération en génération. Nous arrive-t-il d’affirmer que “Jésus est avec nous” ? A qui le disons-nous, en quelles circonstances ? A qui souhaiterions-nous le dire ? Vous pourriez prévoir une dernière rencontre sur ces questions, et prévoir qui inviter l’an prochain. Cette fiche est la dernière sur Matthieu.

Jean Evangile Jean Evangile  

 

L’an prochain nous lirons l’Evangile selon Jean. Ainsi nous aurons visité les 4 évangiles.

Nous aurons été fidèle à Dei Verbum de Vatican II qui insiste pour que les chrétiens lisent la Bible, en tout premier lieu les Evangiles, car "nous Lui parlons quand nous prions, mais nous l'écoutons quand nous lisons les paroles divines".

Lire et prier “pour que s'établisse le dialogue entre Dieu et l'homme”.

 

 

 

Prier la Parole


Tous les dimanches, c’est Pâques !

Serions-nous là, chrétiens du XXI siècle si,
un certain jour, pas n'importe lequel,
le premier de la semaine,
le ressuscité ne s'était pas manifesté
aux femmes et aux disciples?

 

Serions-nous là si, depuis deux millénaires,
une multitude de croyants n'avaient pas tenu
au repas dominical comme à l'eau vive qui abreuve leur foi?

 

Et serions-nous fidèles à l'appel des cloches
si nous n'étions pas certains que l'assemblée du dimanche
est pour nous, non une obligation formelle, mais une nécessité vitale ?

Michel Wackenheim

 

Lire l’Évangile, Maison diocésaine BP1016 – 62008 Arras cedex
Ou par mail à hennart-eh@orange.fr
Retrouvez le dossier des évangiles : http://arras.catholique.fr/matthieu  
 

Article publié par Emile Hennart - Maison d'Evangile • Publié • 4636 visites