Le concile de Trente, ce qui s’est vraiment passé

Par John O'Malley

Le concile de Trente, ce qui s’est vraiment passé de John O’Malley
Editions Lessius, 344 p., 25 €


Il est au moins deux bonnes raisons de se plonger dans l’histoire du concile de Trente de John O’Malley. La première, c’est qu’à l’heure où un vent de réforme souffle sur la Rome du pape François, les questions posées, au milieu du XVIe siècle, les évolutions nécessaires d’une institution ecclésiale alors décriée pour la corruption de la Curie, prennent, toutes proportions gardées, une résonance particulière. La seconde c’est que, avant l’anniversaire des 500 ans de la proclamation des thèses de Luther en 2017, il est utile de revisiter les débats qui entérinèrent le schisme de la chrétienté occidentale.


De fait, le P. O’Malley, jésuite américain, est un spécialiste des conciles, dont il a l’art de décortiquer les enjeux, mais aussi de démystifier les représentations. On avait apprécié son formidable livre sur Vatican II (1). Cette immersion dans un événement autrement plus complexe, qui marqua de son empreinte durant près d’un demi-millénaire le catholicisme se révèle tout aussi passionnante.


Trente est un mythe. Référence indépassable de grandeur catholique pour certains, début au contraire de la fermeture de l’Église à la modernité pour les autres. Pas si simple ! Le Trente de l’histoire est en réalité un concile long, dix-huit années, laborieux, qui donna lieu à d’âpres débats, et dont les participants n’ont pas formé, loin s’en faut, un bloc monolithique. Il n’est devenu que par la suite le symbole de l’identité et de la fierté catholiques retrouvées.
 

Il s’ouvre en 1545, dans une Europe en proie à la question religieuse et à la guerre civile. Les souverains européens des pays du Nord, confrontés à la vague protestante, pressent le pape de réformer l’Église, barque qui prend l’eau de toute part. La Curie se montre réticente, craignant de perdre ses prérogatives. Mais les papes (Paul III, Jules III, Pie IV) ne peuvent reculer : Luther par la doctrine de la justification (on est sauvé par la grâce, et non, comme semble alors le prôner l’Église, par les œuvres) lui pose un redoutable défi théologique.
 

Aussi, tout au long des dix-huit années, Trente va hésiter : faut-il une réponse doctrinale face à Luther ? C’est la vision des papes et de la Curie. Ou bien n’est-il pas plus urgent de réformer l’Église, de façon à couper l’herbe aux arguments – souvent fondés – des protestants ? C’est ce que pensent les souverains européens, mais aussi les cardinaux espagnols et français, qui vont influencer en ce sens. Au final, Trente est un concile à la fois doctrinal et pastoral. Au plan doctrinal, il forge la réponse catholique à la doctrine de la justification et réaffirme face aux luthériens l’importance des sacrements, notamment de l’Eucharistie.
 

Au plan pastoral, la réforme de l’Église fut une entreprise encore plus difficile. La Curie et les papes firent leur possible pour la différer, prenant justement prétexte de cette autre Réforme qui se mettait en place dans l’Europe du Nord. Il est vrai que les papes ne sont guère des modèles de vertus, alors que, sur le terrain, les fidèles sont laissés à eux-mêmes par des évêques absents, ou cumulant les diocèses par souci du gain, et des prêtres guère plus présents : en moyenne, à peine la moitié des curés résident dans leurs paroisses…
De ce point de vue, le concile fit œuvre considérable. L’institution de séminaires, pour les futurs prêtres, est souvent considérée comme sa réussite majeure. Mais Trente réaffirme aussi le rôle du curé, lui donne pour charge de prêcher, et en remettant le sacrement de la confession au centre de la vie catholique, le place dans le rôle de « juge des consciences ». Le confessionnal, inconnu avant le concile, devient en quelques décennies l’indispensable mobilier des lieux de culte catholique. Le rôle de l’évêque est redéfini.
 

Le concile précise qu’il doit prêcher, s’occuper des séminaires, visiter les institutions, tenir des synodes avec le clergé, et parfois des laïcs. Bref, il « appartient » à son diocèse comme les pasteurs à leurs paroisses. À Milan, Charles Borromée incarne parfaitement ce nouveau modèle de la Contre-Réforme, dévoué à son peuple et formidable organisateur de la réforme interne (plus de onze synodes diocésains et six provinciaux en dix-neuf ans !).


Et le pape ? En début de concile, la papauté est contestée par les souverains européens, mise à mal par les cardinaux réfractaires au pouvoir de la Curie, décrédibilisée par son propre comportement, et défiée par les hérésies protestantes. Mais à la clôture du concile, le pape symbolise l’unité préservée du catholicisme. Le concile lui donne la possibilité d’unifier et donc de contrôler la formation des fidèles et des prêtres (publication d’un catéchisme), l’organisation des diocèses, le rite et même la langue, avec le latin, désormais langue liturgique. Face à l’émergence des Églises protestantes nationales, le catholicisme s’organise. Mais il le fait autour de l’institution papale, qui en sort, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, plus que jamais, renforcée.
Isabelle de Gaulmyn (La Croix)